SNCF : 3 mois de vraies perturbations à l’horizon

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Ça ressemble à une grille de Loto® ces journées de grève annoncées à la SNCF en avril, mai et juin. Un cycle de 2 jours de grève, suivi d’une reprise pendant 3 jours, puis de nouveau 2 jours d’arrêt de travail, etc. 36 jours de grève sur cet agenda social. Mais nul ne doit s’y tromper, surtout pas les voyageurs d’affaires, c’est bien 3 mois pleins de perturbations si le conflit doit durer. Ça commence le mardi 3 avril et ça s’étend jusqu’au 28 juin. Au-delà, on verra le cas échéant.

Le corps social cheminot a souvent expérimenté ou été tenté par des formes d’action nouvelles : les coordinations, la grève par procuration, la grève de la pince… Un corps social, peut-être le dernier, qui recourt aussi à l’occasion aux conflits longs (29 jours en 1986, 22 jours en 1995, 10 jours en 2014), avec plus ou moins de succès au bout, plutôt plus que moins d’ailleurs. En cette année d’élections professionnelles au sein du Groupe Public Ferroviaire, aucune des quatre organisations syndicales représentatives (CGT, UNSA, SUD-Rail, CFDT *), ne prendra le risque de se désengager trop vite sans bien mesurer les conséquences sur son audience future.

Certaines organisations syndicales présentent l’affaire positivement en soulignant ainsi gêner le moins possible les voyageurs. Mais elles ne peuvent pas ignorer que cette forme d’action est redoutable par les nuisances qu’elle va occasionner. Il n’y a qu’à voir la mine désemparée de Guillaume Pepy (TF1) ou d’Elisabeth Borne (BFM) dans leurs premières interventions après cette annonce pour s’en convaincre ! Car manifestement, même si Guillaume Pepy est réputé pour avoir toujours au moins un coup d’avance, il n’avait pas prévu celui-là.

Après un arrêt de travail à la SNCF (ou même, on l’a déjà vu, une simple perturbation d’ampleur pour des raisons techniques autres que sociales), il faut bien 48 heures pour remonter toute la mécanique réglée comme du papier à musique. A la reprise, le matériel et le personnel sont rarement là où il faut pour reprendre le cycle des roulements, des rotations, des passages en atelier, des travaux sur le réseau. C’est d’ailleurs ce qui conduit assez souvent l’entreprise à annuler bien davantage de trains que le taux de participation à la grève le nécessiterait dans l’absolu. Tout simplement, pour pouvoir à l’heure H redémarrer très vite et dans des conditions normales.

Cette fois, la réorganisation après le premier arrêt de travail de deux jours aura à peine été menée à bonne fin, que la deuxième salve aura déjà été tirée. En première semaine, ça tiendra plus ou moins. En deuxième semaine, ça deviendra problématique. Et en troisième semaine, tout sera complètement désorganisé, y compris sur les journées désignées comme étant en dehors de la grève.

Sans compter la surcharge de travail pré-opérationnel pour gérer les "déclarations individuelles d’intention" (D2i dans le jargon RH de la SNCF) sur lesquelles reposent toutes les prévisions de trafic dans le cadre du service garanti (lire : circulation programmée = circulation assurée) et non pas service minimum comme souvent désigné par abus de langage.

Les organisations syndicales avaient promis un conflit long, évoquant une durée prévisible et nécessaire d’un mois de grève. Le gouvernement lui-même semblait disposé à ce que les voyageurs en paient le prix. Et les cheminots aussi, bien évidemment. Car, dans tout conflit social, il y n’y a qu’une seule certitude, c’est que la grève finit bien par s’arrêter un jour. Et au bout d’un mois de grève, chacun pouvait prédire sans trop de risque de se tromper que les rangs des cheminots dans l’action se seraient éclaircis.

Mais, las ! C’est 3 mois de perturbations qui sont sur cette fois sur la table pour 21 jours d’arrêt de travail par cheminot. En effet, ce cycle de grève ressemble à un roulement comme ces derniers les connaissent. En fonction de ses jours de travail, le cheminot lambda sera une semaine ou l’autre en repos sur un ou plusieurs jours de cessation concertée de travail (le terme RH à la SNCF pour une grève) et donc pas systématiquement concerné par l’appel. Une mobilisation à tour de rôle, ce qui permet évidemment de durer et de tenir. Les estimations donnent pour chacun une probabilité de 21 jours d’arrêt de travail, non rémunérés comme il se doit (et comme il a toujours été, quoique d’aucuns en disent ici ou là !). Soit trois semaines de grève, durée sur laquelle les organisations syndicales préparaient et testaient leurs mandants. Tout ça, pour 3 mois de perturbations très significatives, si ce n’est paralysie, de l’entreprise ! Une grève en pointillé certes, mais aussi une grève à… tempérament, comme un crédit !

Élément tactique supplémentaire ou pas, cette grève en pointillés est assortie d’un préavis classique de SUD-Rail pour des journées de 24 heures reconductibles dès le 3 avril, au bon vouloir des assemblées générales "démocratiques et souveraines" conformes à la vision de l’action syndicale de l’organisation réputée plus radicale.

Que ce soit le signe d’une division ou d’un désaccord dans le front syndical n’a que peu d’importance. Car ce préavis distinct de SUD-Rail est en sus du programme des trois autres organisations (CGT, UNSA et CFDT), auquel SUD-Rail ne renonce pas non plus. Le cas échéant, ce n’est donc pas seulement à l’une (la grève en pointillé) ou l’autre (la grève reconductible en continu) que les voyageurs auront affaire : c’est potentiellement les deux, SUD-Rail ayant ses bastions.

Les conflits sociaux, à la SNCF plus qu’ailleurs, s’apparentent à la stratégie militaire. Avant la confrontation, chaque camp s’approche et s’organise sur ce qui deviendra la ligne de front. Tant que les hostilités ne sont pas commencées, il est toujours possible de faire appel à la diplomatie.

Jusqu’à présent, la doctrine du patron de la SNCF c’était que la négociation doit rapporter plus que la grève. Il lui reste deux semaines pour ça en obtenant, si ce n’est déjà fait, que sa tutelle lui laisse les mains libres. Sinon, comme la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens, la grève reste une forme de confrontation sociale. Le problème pour la direction et le gouvernement est qu’ils changent alors d’interlocuteurs et se retrouvent face à des cheminot(e)s chauffés à blanc !

Que les organisations syndicales soient encore suffisamment influentes pour contenir tout ça, c’est finalement ce que tout un chacun peut souhaiter.

PAT

* La CFDT, c’est aussi la FGAAC, le syndicat national autonome des agents de conduite (un bon quart des 15 000 conducteurs).