Voyage d’affaires, les acheteurs se méfient désormais de Ryanair

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La fin du business model fondé sur l'exploitation des salariés plane désormais au-dessus de la tête de Ryanair qui va devoir se réinventer. Les grèves européennes associées au besoin attendu par les acheteurs de sécuriser les déplacements professionnels mettent à mal la volonté annoncée par la compagnie irlandaise de développer le business travel.

Peut-on encore parler de marché low cost ? Le terme lui-même ne veut plus rien dire. Air France, en classe éco, était parfois plus compétitif cet été sur New York que des Norwegian, Level et autres compagnies qui se présentaient pourtant comme plus agressives en termes de prix. D'autres transporteurs ont préféré bousculer leur image au risque de décevoir. C'est le cas de Corsair, sur Montréal, qui a affrété l'appareil d'un transporteur portugais peu habitué à gérer de la haute contribution. Finalement, les compagnies régulières - si tant est que le mot établisse une classification encore d'actualité - récupèrent ces clients déçus, victime d'un best buy qui n'en est plus un.

A l'évidence Ryanair, qui a donné le ton du low cost en Europe, est le transporteur qui déçoit le plus les acheteurs et travel managers. Deux raisons pour expliquer cette désillusion. La première, à une époque ou le dumping social européen risque de coûter cher aux partis politiques "libéraux", vivre sur l'exploitation des salariés passe mal. Beaucoup de groupes européens qui veulent se refaire une image sociale condamnent cette approche. Des syndicats sont montés au créneau en Allemagne et en Grande-Bretagne pour signifier à leurs entreprises qu'ils n'accepteraient plus cette course aux meilleurs prix fondés sur "l'esclavage moderne" du personnel. Les pilotes, notamment, sont pour beaucoup payés en auto-entreprise, et cela se sait. Mauvaise image pour la compagnie.

L'autre raison est économique. Face à l'intransigeance de Michael O'Leary, l'avenir pourrait bien s'assombrir rapidement. Les pilotes, fortement sollicités par les compagnies aériennes concurrentes, s'interrogent sur leur contrat actuel avec Ryanair. Selon les experts, 30% d'entre eux pourraient quitter la compagnie irlandaise dans les deux ans. Ils seraient impossibles à remplacer rapidement. Une situation qui obligerait Ryanair à revoir son plan de vols. La compagnie a passé des accords en Italie, mais avec les PNC, et la grève du 28 septembre a contraint la compagnie a annuler des centaines de vols

Économie toujours avec l'application des décisions européennes sur les aides occultes apportées par les collectivités publiques. Certaines feront jurisprudence et plusieurs jugements attendus pourraient bousculer le modèle irlandais.

Enfin en refusant l'application des règles européennes sur le dédommagement des passagers victimes de la grève, la compagnie s'expose à de très fortes amendes. "Pire", selon un conseiller européen cité par la presse allemande, "La non application des règles européennes pourrait conduire à une interdiction des vols de Ryanair en Europe si la compagnie persistait dans son refus"

Bref, pour les acheteurs et les travel managers, le regard sur la low-cost change et doit changer. Il en va de la qualité et de la sécurisation du voyage d'affaires. "Nous sommes confrontés aujourd'hui à des annonces marketing qui ne reflètent plus la qualité réelle de l'offre aérienne et où le prix n'est pas un marqueur suffisant pour choisir", détaille le travel manager d'une entreprise européenne de produits chimiques. Pour ce spécialiste qui dépense plus de 50 millions par an en déplacements professionnels, "l'acheteur a le sentiment de s'engager à chaque vol sans savoir si le choix qu'il proposera sur son SBT sera bien celui que vivra le voyageur".

Beaucoup restent persuadés que les outils du business travel devront s'enrichir rapidement de données qualitatives pour aider le voyageur à bien choisir. Tous veulent plus de clarté dans les affrètements ou les code share, les deux bêtes noires des voyageurs d'affaires. "Aujourd'hui, la maîtrise de l'avion par les salariés qui se déplacent est telle qu'un prix ne signifie plus rien", expliquait voici quelques semaines Stéphane Vallageas, le patron de la GBTA France. "Il faut que l'information transmise par nos fournisseurs ne soit pas simplement destinée aux acheteurs mais qu'elle puisse aussi être utile à celles et ceux qui consomment le produit". Le jeu des alliances et code share est montré du doigt

On comprend mieux les discussions animées à l'occasion de la convention annuelle de la GBTA qui a eu lieu à San Diego en Californie. Pour une majorité d'acheteurs, "Il est grand temps de repenser l'achat de l'aérien". Un sentiment que partage Rob Greyber, le Président d'Egencia, pour qui "la consolidation du business travel passe par une refonte de la relation entre les agences, les compagnies aériennes et les clients". Une sorte de "nouveau contrat social et commercial" pour le bien-être de toute la chaîne de valeur.

Marcel Lévy