Yann Ricordel (G7) : « Nos tarifs réglementés sont un atout »

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Yann Ricordel est DG délégué des taxis G7. Son entreprise a participé à la Bataille de la Marne en 1914 et a survécu au débarquement des VTC. La crise Covid a donc dû y être ressentie comme une douce plaisanterie. Nous avons malgré tout abordé le sujet. Ainsi que celui de son offre corpo, qui représente 50% de ses revenus.

G7, comme tous les acteurs de la mobilités, a souffert de la crise sanitaire. Dans quelles proportions ? Où en êtes-vous à présent, notamment en ce qui concerne votre clientèle business ?

Yann Ricordel : Nous sommes tombés à 30% de notre activité lors du premier confinement. Aujourd’hui nous sommes revenus aux niveaux antérieurs à la crise, et même un peu au-dessus, mais grâce au grand public. Du côté corpo, on a pu distinguer trois typologies de clients : ceux qui repartent très fort très vite, d’autres plus progressivement et, enfin, les grosses organisations qui ont institutionnalisé davantage de télétravail et/ou font moins de MICE. Nous avons essayé d’établir ce qui relevait du structurel et du conjoncturel. On estime que 10 à 15% de cette baisse de la demande corpo est structurelle. Mais ça reste à vérifier : c’est, pour l’heure, compliqué de tirer des conclusions.

Avec un peu d’optimisme on peut imaginer cette crise comme conjoncturelle. Il n’en fut pas de même de l’arrivée, sur votre marché, des VTC. Résignation ou stimulation ?

Beaucoup l’ignorent : G7 n’est pas une compagnie propriétaire de taxis avec des chauffeurs salariés. Nous sommes une plateforme de réservation. D’ailleurs notre première centrale de réservation date de 1960 ! Par téléphone, bien sûr. Nous avons donc d’une certaine manière inventé le métier d’intermédiation dans ce domaine. Et nous l’avons digitalisé dans les années 1990, d'abord avec internet, puis avec les appareils mobiles avec la démocratisation des smartphones à la fin des années 2000 et même dès 2008 avec Blackberry. 

Cependant, lorsque les VTC sont arrivés, il y a eu des difficultés durant quelques années, le temps que s’organise une certaine régulation qui permette d’obtenir un équilibre concurrentiel et qu’on se batte tous avec les mêmes armes. Aujourd’hui, cette concurrence - virulente - accélère effectivement la transformation car elle stimule aussi l'usage, l’adoption des nouveaux outils. Notre appli mobile, c'est aujourd'hui 65% des commandes et c’est en fait +10% par an. Ça justifie nos investissements ! Quelque soixante-dix personnes travaillent à temps plein sur notre tech…

Mais la donne n’est pas la même : vous, taxis, n’êtes pas libres de vos tarifs…

En 2016, au plus fort de nos difficultés face aux VTC, nous nous sommes dit : “nos tarifs régulés sont un avantage”. Ça peut apparaître comme une contrainte mais c’est le contraire : pour les chauffeurs, ça les préserve d'une politique de prix de la part de leur plateforme de réservation partenaire qui peut tuer leur business; et côté utilisateurs, on est protégé de tarifs qui vont augmenter en fonction des aléas de l’offre et de la demande. 

L’inconvénient c'est qu’on ne sait pas baisser les prix quand il y a moins d’activité. Alors on a trouvé notre salut par le haut - par la “premiumisation". Et les chauffeurs ont joué le jeu. Ça s'est retrouvé sur la flotte de véhicules, une couleur uniforme noire, un forfait cravate pour les deux tiers de nos chauffeurs, un forfait “approche” fixe...

Mais dès lors, c’est votre business model qui est différent. Quelle part y jouent vos clients "entreprise" ?

Un tableau rapide : G7, ce sont 9.000 taxis affiliés en région parisienne et 4.000 en province, répartis sur 180 villes. Nous avons une double mission : faciliter le quotidien des taxis pour améliorer leur CA et optimiser la mobilité pour le public. Ils sont les uns et les autres nos clients. Donc notre écosystème repose sur les revenus émanant des uns et des autres : contrairement à la concurrence, on ne prend pas de commissions sur les courses, c’est un abonnement mensuel - qu’on appelle “redevance” - qui, selon les cas, oscille entre 300 et 400€ par mois. Ce qui correspond à un coût bien inférieur à ceux supportés par les chauffeurs de VTC. Certes, nos chauffeurs indépendants doivent supporter le coût de leur licence mais cette dépense lourde doit être considérée comme un investissement. Cette redevance correspond à 50% de nos revenus. Et l’autre source de revenus, ce sont les utilisateurs. Deux tiers des courses (sur 12 millions de courses par an (et 20 millions de personnes transportées)) sont “grand public” et ne génèrent pas de revenus pour G7. Le reste, ce sont les entreprises abonnées, l’autre moitié de nos revenus. Et ces dernières sont de tout type : de l'administration, des PME de toutes tailles, des grands groupes - trente-neuf des entreprises du CAC 40 sont abandonnées à G7.

Comment convaincre les entreprises de contractualiser avec vous alors que c’est presque une évidence en direction des compagnies aériennes ou dans le domaine de l’hébergement ?

Effectivement, les entreprises peuvent être tentées de laisser la liberté aux utilisateurs sur leur mobilité mais ce choix a des limites. Pour l’entreprise, le manque de visibilité et donc de possibilité de pilotage fin. Côté collaborateurs, une fiabilité du service plus aléatoire. Pour les entreprises abonnées, on propose une simplification de la facturation, du reporting, une plateforme de commande dédiée, un outil d’implémentation des spécificités de la PVE… On dispose en outre de quatre sites de relations clients par téléphone, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, pour des demandes particulières, des objets perdus (on en compte 60.000 par an).

Plusieurs niveaux de service sont disponibles : le service prioritaire (l’entrée de gamme pour les abonnés), le service Plus, le Club affaires, le Premium - pour les comités de direction, comex, cabinets d’affaires, banques d’affaires… On a donc ces offres packagées mais qui sont le plus souvent adaptées : c’est du sur-mesure.  L’abonnement coûte de 1.000 à 1.500 € selon l’offre, par type d’utilisateurs dans l’entreprise, ainsi qu’un coût additionnel par course.

Deux phénomènes récents et éventuellement accélérés par la crise sanitaire : télétravail, cœurs de ville de moins en moins ouverts aux voitures. Quel impact sur votre activité ?

Le télétravail ou le travail nomade sont des phénomènes que nous observons attentivement et ils peuvent être contradictoires dans leur interprétation. Ils impliqueraient des trajets du quotidiens moins nombreux, certes, mais plus qualitatifs : parce que plus longs ou justement parce que moins fréquents, peut-être seront-ils effectués avec un souci de confort (y compris sanitaire, horaire…) accru, ce qui joue plutôt en faveur des taxis.

Concernant les cœurs de villes… L’objectif des pouvoirs publics est de faire baisser leur fréquentation par les voitures individuelles, pas d’y interdire la voiture en elle-même et donc pas les taxis. Au contraire, ils ont bien compris que le taxi est un acteur complémentaire de la mobilité au même titre que les transports en commun, les modes de déplacement doux… C’est un mode de transport partagé puisqu’un taxi transporte une vingtaine de passagers par jour. Et ça ne substitue pas à la marche à pied. Donc effectivement les cœurs de ville changent rapidement, les vitesses de circulation y baissent. Mais si ça peut pénaliser le secteur ponctuellement on y voit davantage une opportunité. J'ajoute que la problématique de la voiture en ville ne concerne pas uniquement la pollution, c’est aussi la place qu’elle prend. A ce titre, chez G7, nous bannissons les SUV car ils sont disproportionnés par rapport à leur usage citadin.

Vos entreprises clientes sont-elles sensibles à la nature durable de vos véhicules ?

Je vais le dire très simplement : aujourd’hui, c'est un must-have, on ne pourrait pas s’adresser aux entreprises sans cette offre. Elle se matérialise par l’option G7 Green, une flotte de véhicules électriques et, surtout, hybrides. Elle a été créée en 2007 mais nous lui avons donné un coup de booster pour atteindre 50% de notre parc en 2021. Nous en sommes aujourd’hui à 55% contre 30% pour la concurrence, d'après les chiffres du ministère des Transports (qui comptabilise taxis et VTC sans distinction, ndr). L’objectif 100% est pour 2027 avec un objectif intermédiaire de 75% en 2024.

Pour les entreprises, on propose un service additionnel de préférence green : dans le dispatch, les véhicules green sont mis en avant, ou sont même présentés à l’exclusion des autres. On crée aussi des “antennes vertes” pour les participants à un événement d’entreprise. Nous regrettons la rareté des bornes électriques et nous travaillons sur ce sujet avec le pouvoirs publics. Il faut un investissement massif pour les professionnels.