Le secteur des transports traverse une crise sans précédent. Les entreprises sont mobilisées depuis des semaines maintenant pour limiter la casse. Mais on voit se dessiner aujourd’hui une nouvelle partition, celle des probables gagnants et perdants de cette crise. Car ceux qui ne seront pas tués – ou rachetés – en sortiront plus forts. Leur point commun : tous auront bénéficié de l’intervention de l’État, sous une forme ou une autre.
C’est dans les moments de crise qu’on apprécie en effet sa présence, son interventionnisme ! Ses contempteurs se félicitent dans le même temps de ses décisions de conditionner son aide à la réduction de l’empreinte carbone, sa volonté d’arbitrer en faveur des modes des transports les plus propres. En la matière, le ferroviaire va tirer davantage encore son épingle du jeu, alors que s’enclenche une nouvelle étape dans la libéralisation du rail européen. La SNCF tout en ayant emprunté 1,2 milliard d’euros sur les marchés financiers, en appelle aujourd’hui à l’État-actionnaire. Sa dette avait été allégée en janvier dernier… elle va de nouveau s’alourdir !
L’Etat est aussi au rendez-vous pour soutenir et accompagner d’autres entreprises leaders du secteur de la mobilité. Europcar, numéro un européen de la location de voiture, vient d’obtenir un PGE de 220M€, de quoi mettre aujourd’hui l’entreprise française en meilleure posture que ses concurrentes Hertz ou Avis qui attendent toujours un coup de pouce de l’État fédéral américain. Dans le même temps, son principal actionnaire Eurazeo, société d’investissement des familles Decaux et David-Weill, met en œuvre un important plan de réduction des coûts. Car Europcar subissait déjà, avant la crise, les coups de boutoir des sociétés d’auto-partage et de co-voiturage, à commencer par Blablacar dont les faibles coûts fixes sont aujourd’hui sa planche de salut.
Côté aérien, ADP – dont la privatisation n’est plus d’actualité – a adopté ces jours-ci un plan d’économie de 270 millions d’euros… tout en continuant ses emplettes, avec l’annonce ce samedi du rachat (via sa filiale TAV Airports) de l’aéroport kazakh d’Almaty pour 378 millions d’euros.
Air France se prépare aussi à affronter des lendemains difficiles. La compagnie a obtenu sept milliards d’euros de prêts par l’État français. Rien de surprenant, même les pays les plus libéraux mettent la main à la poche pour remettre à flot leurs «majors» (*). Mais Bercy lui demande dans le même temps de devenir la compagnie aérienne «la plus respectueuse de l’environnement de la planète». Pas évident quand on sait qu’Air France n’envisage pas de retrouver sa demande passagers d’avant la crise «avant plusieurs années». Elle va ainsi devoir réduire son offre et ses effectifs. Mais le transporteur aérien profitera des défaillances de certaines concurrentes.
Les «petites» compagnies aériennes françaises risquent d’être les grandes perdantes de la crise actuelle. Et si elles passent l’été, l’automne prochain sera celui de tous les dangers. Elles ont en effet des coûts fixes élevés et peu de trésorerie. Leur avenir dépend de la solidité et du volontarisme de leurs actionnaires.
Ainsi, l’État veut bien aider Corsair à condition que ses actionnaires fassent leur «part du chemin». Or, le groupe d’aviation privé allemand Intro Aviation (53% du capital) manque de surface financière pour recapitaliser le transporteur aérien. Et il n’est pas évident de trouver de nouveaux partenaires, par les temps qui courent. Au point d’entendre le PDG de Corsair déclarer ne pas être opposé au principe d’une participation de l’État dans le capital de l’entreprise…
Le groupe Dubreuil (Air Caraïbes, French bee) compte pour sa part sur sa «trésorerie solide» pour passer ce cap difficile ; son président n’attend pas «la manne étatique du sauveur». ASL Airlines France table, de son côté, sur la solidité de son propriétaire irlandais. Reste qu’un actionnariat public, dans le contexte actuel, surtout lorsqu’il se double de missions de continuité territoriale, est un atout. La réunionnaise Air Austral est doté d’un capital détenu indirectement par la Région et le département. La Polynésie française est le premier actionnaire d’Air Tahiti Nui. Et la Collectivité de Corse possède la majorité de l’actionnariat d’Air Corsica.
Corsair a contribué à la démocratisation du voyage en France. Elle emploie 1 200 salariés. Mais sa disparition constituerait une bouffée d’oxygène pour ses concurrents, dans le contexte de crise actuel. La faillite d’XL Airways a déjà réduit l’offre sur les DOM, de même que celle d’Aigle Azur sur l’Algérie. Comme l’affirment certains spécialistes de l’aérien, la concurrence ne joue plus en deçà de trois acteurs sur une desserte. Il est facile de s’entendre à deux, beaucoup plus difficile à trois… Avec un acteur de moins dans le ciel français, le consommateur pourrait bien voir les tarifs repartir fortement à la hausse sur certaines lignes… Beaucoup y verront l’opportunité de réduire le trafic aérien et son empreinte carbone. D’autres s’inquiéteront plutôt de voir freinée l’activité touristique de l’outre-Mer, et pénalisés les habitants des îles.
(*) Outre-Atlantique, environ 50 milliards de dollars vont être injecté dans le secteur aérien, sous forme de prêts. Outre-Manche, les compagnies aériennes britanniques ont demandé au gouvernement une aide financière d’urgence, jusqu’à 8 milliards d’euros. Iberia et Vueling, les transporteurs espagnols du groupe IAG (British Airways, Aer Lingus…), ont obtenu un milliard d’euros de prêts garanti par Madrid. Chez nos voisins transalpins, l’État italien va nationaliser Alitalia et réinjecter 3 milliards d’euros dans la compagnie. Lufthansa finalise pour sa part avec l’État allemand une aide de 9 milliards d’euros avec prise de participation (on parle de 25%). Et sa filiale Swiss va accéder à un crédit bancaire de 1,5 milliard de francs suisses garanti à 85% par la Confédération. En Asie enfin, l’État thaïlandais va accorder des prêts de l’ordre de 3,1 milliards d’euros à Thai Airways. Et la liste est loin d’être exhaustive…