Nommé il y a quelques semaines Vice-président et directeur général France d’American Express Global Business Travel, Yorick Charveriat revient, pour DéplacementsPros.com, sur l’activité de la TMC, la situation sociale de l’entreprise, la sortie de crise, l’adaptation de l’offre aux besoins du voyageur 3.0, les évolutions en cours dans le secteur du voyage d’affaires…
DéplacementsPros.com : Vous avez intégré Amex GBT France en 2015 en tant que directeur commercial et directeur général adjoint. Il y quelques semaines, vous succédez à Julien Kauffmann à la tête de la TMC. Un mot d’abord sur le périmètre de cette dernière…
Yorick Charveriat : C’est une grande fierté pour moi d’être à la tête de la filiale française d’Amex GBT, laquelle compte environ 900 personnes, dont quelque 500 dans les opérations, et une grosse équipe Meetings & Events.
Pouvez-vous nous faire un point sur 2020 ?
Le bilan de l’année dernière est bien sûr très décevant, avec une activité en retrait de 62%. Mais tout n’est pas négatif. Dans le cadre de cette crise, nous nous sommes recentrés sur quelques priorités fortes, et notamment la sécurité de nos collaborateurs. Nous avons assuré dans le même temps une continuité de service tout au long de l’année. 2020 aura aussi été l’occasion de nous réinventer !
Des discussions sont engagées depuis quelques mois avec les syndicats, en vue de conclure des accords portant sur un plan de sauvegarde de l’emploi, un plan de départs volontaires, un accord APLD et un accord sur le télétravail. Où en sont les négociations ?
Nous avons une tradition de respect du dialogue social. Et c’est la raison pour laquelle nous n’avons pas commenté les articles publiés récemment dans la presse. Nous avons maintenant terminé nos discussions avec le CSE, et sommes en attente de validation de la Dirrecte (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, ndr). D’ici là, je ne confirme pas ce chiffre de 148 emplois supprimés. Nous voulons éviter les licenciements secs. Nos collaborateurs sont de grande qualité. Nous aurons besoin d’eux quand le rebond sera là. Et l’APLD (activité partielle longue durée, ndr) nous donne une flexibilité appréciable. J’ajouterais que nous avons beaucoup de chance d’être en France. Le gouvernement est à l’écoute et fait son travail. Et les Entreprises du Voyage nous aident énormément.
Allez-vous fermer des plateaux en province ?
Non. Ils ont vocation à perdurer, mais sous une forme un peu différente. Nous n’aurons probablement pas besoin de plateaux aussi grands. Ils coûtent cher, les marges dans notre industrie sont loin d’être extraordinaires, et nous devons gérer l’entreprise en bon père de famille ! Il nous faut dans le même temps introduire une certaine dose de modernité. Un exemple : dans le cadre de notre accord sur le télétravail, il y a la possibilité d’utiliser des lieux de coworking.
Certains s’inquiètent d’une possible externalisation de plateaux dans des pays francophones à moindre coût ?
Je tiens d’abord à rappeler que nous avons des lois en France. Nous avons discuté de l’organisation du travail avec notre CSE. Je ne pense pas qu’une telle externalisation soit souhaitable. Je suis toujours aussi surpris, six ans après mon arrivée chez Amex, de voir l’expertise de nos collaborateurs. A l’étranger, vous n’avez pas la main sur la formation, sur le turn-over… La qualité de notre service, ce n’est pas juste la rapidité pour décrocher, c’est aussi et bien sûr la qualité de la réponse aux demandes des clients. Si nous voulons conserver cette qualité de service, il faut garder nos collaborateurs en France.
Quelles sont les conditions d’une vraie reprise ?
Le vaccin va bien sûr aider à rassurer les voyageurs. Sur ce plan, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont de l’avance. Et les conditions de la reprise seront réunies plus tôt chez eux que chez nous. Leurs initiatives visant à rétablir la confiance feront tache d’huile. La reprise passe aussi par une harmonisation des conditions pour voyager, par une position commune de l’ensemble des acteurs concernés, lorsqu’il s’agit de prendre l’avion, de franchir les frontières…
Pensez-vous que la reprise sera graduelle ou au contraire rapide ?
Il y aura probablement une succession de paliers et de petites accélérations. Le domestique pourrait ainsi repartir avant l’été, puis l’international lors du second semestre.
Certains doutent que le secteur ne retrouve un jour son activité antérieure à la crise…
Je l’espère mais je n’en sais franchement rien. On entend des observateurs tabler sur un retour à l’activité pré-Covid en 2024 ou 2025. De nouvelles habitudes ont été prises, à commencer par le télétravail. Mais nous percevons aujourd’hui un vrai besoin de se parler en face à face, de partager des émotions en présentiel. Pour les affaires, c’est important de se voir en vrai. J’ai néanmoins une certitude : notre activité sera différente demain.
Qu’entend-on aujourd’hui par l’expression « se réinventer » ?
Il y a plusieurs composantes, à commencer par le modèle financier. Les «contact fees» récemment mis en place doivent être maintenus car ils valorisent le service et le conseil que nous apportons, hors transactions. Je rappellerais, sur ce point, que nos clients peuvent aussi profiter sans frais des informations rassemblées dans notre nouvel outil Travel Vitals. Nous devons donc sortir du modèle financier basé uniquement à la transaction, avoir une approche hybride, nous inscrire dans une démarche client par client. Chacun d’entre eux est différent. Et cela doit bien sûr se faire dans le respect des contrats.
Il faut aussi davantage porter notre réflexion sur l’approche RSE. L’attrait pour le voyage n’est plus aussi important qu’autrefois, il n’est plus une fin en soi. On se déplace quand l’entreprise en a vraiment besoin. Et les collaborateurs veulent avoir leur mot à dire sur la façon de voyager, sur le choix des fournisseurs…
Il faut également se réinventer sur les produits. C’est un enjeu de s’assurer que les voyageurs sont en confiance, qu’ils puissent être sécurisés par les fournisseurs lors de leurs déplacements, qu’ils aient l’assurance qu’ils seront rebookés en cas d’aléas, qu’ils disposent d’une plateforme qui leur donne les informations sanitaires sur les fournisseurs, les pays…
Aujourd’hui, les entreprises trouvent-elles tous les outils dont elles ont besoins ?
En matière de technologie, il y a encore beaucoup de progrès à faire. Lesquels nécessitent de gros investissements. Depuis l’acquisition de KDS il y a quelques années, nous n’avons cessé d’améliorer l’outil Neo, de le faire coller au maximum aux attentes des collaborateurs et des voyageurs, de le rapprocher des interfaces BtoC. Nos pages hôtels ressemblent à celles de booking.com. Nous avons une même approche innovante avec l’affichage des tarifs en NFD (New Fares Display, ndr). Globalement, nos clients veulent de plus en plus de solutions end-to-end, consolidées, avec un seul point de contact. Cette demande est un atout pour une grande TMC comme la nôtre.
Quelle est la place du smartphone aujourd’hui ?
Les voyageurs entendent tout faire avec leur smartphone, de la réservation du voyage à la gestion des notes de frais. Mais nous constatons dans le même temps que les taux d’utilisation des mobiles restent encore assez faibles. Nous avons la chance, chez GBT, d’avoir l’outil Neo. Nous avons déployé toutes ses fonctionnalités sur smartphone, et ce depuis déjà un certain temps. Cette crise est l’occasion d’aller plus loin, d’inciter davantage à utiliser cet outil. Car c’est aussi à nous de rendre les smartphones plus conviviaux, d’y proposer davantage d’informations.
A vous entendre, le contact humain a encore de beaux jours devant lui…
Il est toujours plus simple d’avoir quelqu’un au téléphone. Nos lignes téléphoniques sont ouvertes 24 heures sur 24. Nous répondons présent si l’on a besoin de nous parler, d’être rassuré, si une personne au bout du monde doit changer son planning et souhaite le faire au téléphone avec un opérateur plutôt qu’en pianotant sur son smartphone. Nous aurons toujours besoin de l’humain, surtout pour gérer des voyages compliqués. Pour nous, cette approche n’est pas négociable.
Votre taux de « online » doit-il néanmoins continuer à augmenter ?
Chez Amex GBT France, il est déjà assez élevé et avoisine les 70%. Ce taux doit encore un peu progresser, notamment sur le rail qui va prendre une place plus importante dans les années à venir. Je ne crois toutefois pas qu’une entreprise puisse faire du 100% digital. Certains clients peuvent être intéressés, ceux qui veulent réduire leurs coûts au maximum. Et c’est là que s’inscrit la logique de l’externalisation. Je la comprends. Mais ce n’est pas ce que l’on souhaite faire. Nous voulons trouver le bon équilibre, avec une offre un peu plus onéreuse mais qui passe aussi par le contact téléphonique. Pour que nos clients soient prêts à payer ce service, il faut avoir une approche plus raisonnée et leur dire « voilà le service que je vous offre, voilà ce qu’il représente, voilà les avantages pour vous, et voilà ce que ça me coûte ! ».
Les TMC peuvent-elles être les gagnantes de la crise ?
Elles sont redevenues centrales pendant la pandémie. Avant la crise, une petite musique laissait entendre que les TMC n’étaient pas si utiles, qu’on pouvait tout faire en ligne. Elle a disparu dès le début de la crise, quand il a fallu rapatrier tous les collaborateurs, annuler, modifier et échanger des milliers de billets de train et d’avion. Aujourd’hui, le débat est derrière nous. Les TMC ne gèrent pas seulement des transactions, elles apportent une valeur ajoutée en termes de service, de conseil et d’analyse, sur le travel & expense comme sur des produits « green », afin d’accompagner les clients dans leurs nouvelles façons de voyager.
Des rapprochements et consolidations sont-ils possibles dans le secteur, comme c’est souvent le cas avec les crises ?
C’est une possibilité si ça ne repart pas rapidement, d’autant que de nombreuses entreprises ont déjà besoin de se refinancer. Heureusement, chez GBT, nous avons la chance d’avoir un actionnariat fort et de ne pas être endetté. Cela permet de voir le futur de façon assez sereine. Nous restons humble car la crise nous touche comme tout le monde. Mais je pense que nous en sortirons plus fort.