Aujourd'hui, la seule façon de voyager sans masque, sans test PCR et sans risque de quarantaine est de substituer l'espace au temps. On vous invite donc à un périple chronologique dans l'histoire du voyage d'affaires. Fasten seat belt !
Sur cette frise chronologique qu'on vous propose*, des dates sont indiscutables; d'autres, par leur présence ou leur absence, feront débat - et tant mieux, la subjectivité est ici revendiquée ! D'autre part, si, parmi les événements répertoriés, certains sont clairement identifiables, d'autres relèvent du symbole, donnant corps à une tendance lourde irréductible à un événement particulier.
Pour cette première livraison de nos Douze événements qui ont changé le voyage d’affaires, précisons une chose : nonobstant sa culture encyclopédique, la rédaction de DP n’est pas la plus qualifiée pour parler de Marco Polo ou de Vasco de Gama, business travelers éminents, dont, par ailleurs, la littérature historique traite abondamment**.
En conséquence, on se contente de partir du début du XXe siècle jusqu’au mid-Seventies, passant sans coup férir des belles bacchantes et des chapeaux melon aux pattes d’eph et rouflaquettes : une sorte de Préhistoire.
1 - Début du XXe siècle, Les prémisses du voyage d’affaires moderne
A l’occasion du 100ème anniversaire de la création de son agence de voyages, American Express, en collaboration avec le cabinet History Associate, a publié en 2015 autant d’histoires de business travel (BT) qu'elle méritait de bougies. Cette compilation n’est malheureusement, à notre connaissance, plus disponible sur le net. Et c’est dommage car les quelques miettes récupérées ouvrent l’appétit.
Il y a, par exemple, l’histoire de l’homme d’affaires W.H. Pilkington qui, ayant raté son "train/bateau" entre Londres et Paris, a dû trouver une solution d’urgence pour se rendre à un important rendez-vous avec des industriels français. Nous sommes en juillet 1919, et c’est la compagnie d’aviation Airco, en pleine restructuration post-Guerre Mondiale, qui l’acheminera finalement vers Le Bourget... avant de déployer, un mois plus tard, une liaison quotidienne Londres-Paris.
Ou encore ce vol de 1953 durant lequel le président d’American Airlines fit connaissance avec le senior sales representative d’IBM. Une rencontre et des discussions qui déboucheront, 7 ans plus tard, sur la création de Sabre Corporation. Rien moins qu'un acte fondateur qu’on retrouve ci-dessous…
2 - 1962, un événement qui va trancher : Sabre
“Magnetronic Reservisor System”, c’est le doux nom, qui fleure bon le rétro-futurisme, de l’outil qu’American Airlines a mis en place dans les années 50. Mais ce n’est qu’en 1962, à la faveur de son partenariat avec IBM, qu’AA lance la société Sabre. Le transporteur américain automatise ainsi son système d’information (horaires, disponibilités, prix) et de réservation des vols, afin que les agences de voyages puissent délaisser bottins et téléphones pour se pencher sur leurs ordinateurs qui devaient alors ressembler à des télés à tube cathodique. C’est la naissance du GDS, Global Distribution System. Mais il faudra attendre une quinzaine d’années pour assister à son avènement...
3 - Les Seventies, Naissance du business traveler moderne
C’est bien connu : le volume des voyages d’affaires est intimement lié à la croissance économique. Alors, bien sûr, la période faste de la reconstruction suivant la Deuxième Guerre mondiale infléchit à la hausse le nombre de déplacements professionnels. Mais les niveaux restent modestes car pour un boom du business travel, il faut du business - il est là - mais il faut aussi du travel - et, à l’international, on en est encore aux balbutiements… Jusqu’aux années 1970 qui voient l’explosion de l’aérien. On se met donc à voyager et le voyageur d’affaires commence à être considéré autrement qu'un voyageur loisir de CSP+. Signe tangible de cette nouvelle perception et, par voie de connaissance, de la prise en compte de nouveaux besoins : les classes Affaires font leur apparition dans la deuxième moitié de la décennie (1981 pour Air France).
Côté hôtels, ça évolue aussi. Entre les établissements de grand luxe (peu compatibles avec un travel & expense responsable quand les voyages se multiplient) et les hôtels modestes (jugés peu dignes des cadres dirigeants qui forment alors le gros des troupes de business travelers), se développe un standing intermédiaire, souvent de chaîne, qui explosera dans les années 1980. Certaines prestations adaptées à la clientèle d’affaires se développent, voire se généralisent. Elles s’adressent parfois également au leisure : télévision dans la chambre ou climatisation ; de manière privilégiée aux voyageurs d’affaires : mini-bar, cireuses de chaussures ou service laundry ; ou même exclusivement : aménagement de salles de réunion (notre photo).
Le voyageur d’affaires existe. Les agences de voyages ne sont pas longues à en prendre conscience. Les plus grandes d’entre elles créent un département qui leur est dédié, qui signe des contrats avec les entreprises.
4 - 1978, Généralisation du GDS
Certains sympathisants de gauche reprochent à Jospin d’avoir “privatisé Air France”... Que la décision soit considérée comme une forfaiture ou non, il existe un précédent : c’est un président démocrate, Jimmy Carter, qui, en 1978, signe le “Airline deregulation Act”... En 10 ans, le nombre de compagnies domestiques passe de 80 à 200 ; doublé aussi, le nombre de passagers durant cette même décennie. Dès lors, le Global Distribution System est rendu d’autant plus indispensable. Dans un contexte concurrentiel, le prix des billets, les horaires, les routes et les commissions ont engendré complexité et volume. Les autres compagnies américaines suivent le mouvement. L’Espagnol Amadeus, créé en 1987 par Air France, Iberia, Lufthansa et SAS (SAS s’est retiré par la suite et Continental s’y est joint en 1995), les Américains Worldspan (créé en 1990 par Delta Airlines, Northwest et TWA) et Galileo (créé en 1993 par United Airlines, British Airways, Swissair, KLM, US Airways, Alitalia, auxquels se sont joints Aer Lingus, Air Canada, Austrian Airlines, Olympic et TAP Air Portugal) participent à faire du GDS le canal principal de réservation de l’aérien par les agences. S’y ajoutent progressivement les offres des groupes hôteliers, des entreprises de location de voitures… Au fil du temps, les GDS sont devenues des sociétés indépendantes : les compagnies aériennes se sont en effet progressivement retirées de l'actionnariat, et sont ainsi devenues des partenaires commerciaux des GDS, à l'exception de Amadeus, dont Air France, Iberia et Lufthansa conservent une part du capital.
GDS mis en place, busines traveler identifié, entreprises qui contractent avec des agences de voyages, ça y est, là, on touche la modernité du doigt... Suite au prochain épisode !
(*) Cette liste a été établie avec l'aimable (et très enrichissant) concours de Charles Petruccelli, ex-dirigeant d'Amex GBT, et, pour ce 1er volet, de la consultation d'un très bon dossier datant de 2015 et dû à l'AFTM.
(**) On ne résiste pas, à cette occasion, d’évoquer le formidable Légende et Tribulations de Vasco de Gama, Vice-roi des Indes, par Sanjay Subrahmanyam, paru au mitan des années 1990 et considéré comme une oeuvre majeure de l’Histoire non occidentalo-centrée, et de l’Histoire en général.