Transport décarboné (2/3) : la technologie, un levier parmi d’autres…

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La première partie de notre dossier (ici) mettait l’accent sur l’accélération de la conversion de l’avion et du train à des modes de propulsion plus propres. Parmi ceux-ci l’hydrogène, présenté comme une solution miracle mais qui suscite bien des interrogations. Et l’innovation technique à elle seule ne suffira pas à atteindre les objectifs fixés par les accords de Paris sur le climat.

Le secteur du transport aérien en est convaincu : l’avion zéro émission sera « la » solution à tous ses problèmes. Il conjuguera développement technologique et transition écologique. Et permettra de présenter un bilan carbone tel qu’il coupera court à toutes les critiques des écologistes. Mais la maitrise des futurs modes de propulsion est aujourd’hui encore un défi. L’avion à hydrogène n’est pas attendu avec 2035… Et encore faut-il que de nombreux obstacles soient surmontés (notre encadré à la fin de l’article). Il faudra ensuite des années avant qu’il ne constitue la totalité des flottes court-moyen courrier. Et l’on ne parle pas des long-courriers…

Aujourd’hui, les avions de dernière génération tel l’A350 et le développement de la filière des carburants alternatifs contribuent à rendre le transport aérien plus vertueux. Mais l’urgence climatique impose des changements autrement plus ambitieux. Et on peine à croire que les objectifs fixés par le secteur du transport aérien lui-même, soit une réduction de 50% des émissions de CO2 d’ici à 2050, par rapport à 2005, soient atteignables s’ils s’appuient pour l’essentiel sur l’innovation technique.

« Un facteur clé, l’acceptabilité »

Une petite musique s’est déjà largement diffusée dans l’opinion : il faut inciter les voyageurs à moins prendre l’avion. Par le biais de mesures coercitives ? Faut-il notamment s’attaquer à cette minorité qui voyage souvent en avion, comme le préconise une association comme Stay Grounded (dont le nom souligne l’objectif…), laquelle rappelle que 80% de la population mondiale n’a jamais pris l’avion. Un chiffre au passage très inférieur en Europe, du fait d’une démocratisation de l’aérien qui doit beaucoup aux low-costs.

Difficile d’imaginer qu’on va limiter demain le nombre de vols par an et par personnes. « Comme on le voit aujourd’hui avec les mesures liées à la crise sanitaire, l’acceptabilité est un facteur clé dans l’adoption de mesures…« , souligne le chercheur Aurélien Bigo, spécialiste de la transition énergétique dans les transports, dont nous publierons l’interview demain, dans le cadre du troisième volet de notre dossier. Peut-être le cadre des entreprises est-il plus favorable à de tels engagements, souvent à l’initiative des collaborateurs, une démarche volontariste qu’elles peuvent inscrire dans leur politique voyage et engagement RSE.

Face à l’urgence climatique, certains préconisent l’instauration d’une écocontribution renforcée en France, comme frein à l’expansion du transport aérien, tel que cela a été préconisé dans le cadre de la Convention citoyenne pour le climat. Quitte à affaiblir encore davantage un secteur au bord de l’asphyxie ! En admettant qu’elle voit en effet le jour, cette augmentation aurait pour conséquence de favoriser les départs de l’étranger et les grands hubs des concurrentes d’Air France. On peut aussi rappeler que certains États ont appelé de leurs vœux la création d’une écocontribution européenne sur le transport aérien…

Une initiative récente de l’Autriche pourrait aussi faire des émules ailleurs en Europe. Vienne a décidé d’instaurer un tarif minimum du billet d’avion, soit 40 euros, une décision visant surtout les compagnies low-costs, lesquels vendent bien souvent une partie de leurs sièges en deçà du coût réel du vol.

La compensation carbone, quelle efficacité ?

D’autres mesures fortes des États pourraient inciter à prendre le train plutôt que l’avion quand la durée du trajet rend ce choix pertinent. Et ils pourraient aller bien au-delà des trois ou quatre heures couramment évoqués aujourd’hui. Le train de nuit est aussi une option sur des distances encore plus lointaines.

Les grandes compagnies aériennes ne restent pas non plus les bras croisés. La compensation du CO2 d’un vol en est un exemple. Une trentaine d’entre-elles ont mis en place des programmes de compensation carbone, certaines depuis plus de dix ans. Une démarche qu’elles rendent aujourd’hui plus facile. Ainsi, Lufthansa vient par exemple d’intégrer la plateforme numérique Compensaid à l’application Miles & More, permettant de compenser avec ses miles. Sur ce point, on rappellera que le coût de la compensation est assez modeste (et indolore pour les compagnies lorsqu’il est répercuté dans le prix du billet), soit par exemple l’équivalent de trois euros pour un passager émettant 1,65 tonne de CO2 lors de son voyage en classe économique sans escale entre Paris à Hong Kong.

En matière de compensation, dans la majorité des cas, les compagnies aériennes font appel à des ONG pour planter des arbres aux quatre coins du monde. La Convention citoyenne pour le Climat souhaite qu’elles aillent plus loin en compensant intégralement leurs émissions.

Cette démarche de compensation est-elle réellement efficace ? La réponse est bien sûr positive. Mais il faut que l’arbre planté atteigne son âge adulte pour qu’il capture du CO2, soit entre 7 et 20 ans… Compagnies aériennes et voyageurs se donnent ainsi meilleure conscience. Or, pour l’effet immédiat de la démarche, on repassera…

L’hydrogène, la solution vraiment idéale ?
On commence à mieux cerner les atouts de l’hydrogène « décarboné », celui qui n’émet pas de CO2 dans sa production ni son utilisation, et ne rejette que de l’eau, permettant ainsi de s’affranchir du pétrole. On comprends ainsi que les États européens, Allemagne et France (1) en tête, aient décidé d’investir massivement dans cette nouvelle solution. Le recours à l’hydrogène, comme source d’énergie dans le transport, nécessite toutefois de lever de nombreux obstacles. Ce carburant est léger mais volatil et explosif.

A l’état liquide dans des réservoirs (2) cryogéniques (température de -253°C), il occupe plus d’espace, ce qui nécessite des capacités de stockage plus importantes, près de quatre fois supérieures à celle du kérosène. Autre souci, son coût. Aujourd’hui, la production d’hydrogène issu d’énergies renouvelables est jusqu’à cinq fois plus coûteuse que le gris provenant des hydrocarbures. Le défi est donc de générer la quantité nécessaire en hydrogène décarboné à un coût compétitif, ce qui suppose une forte hausse de la production d’énergie solaire et éolienne, et un recours probablement croissant à l’hydroélectricité et surtout au nucléaire… Dans le même temps devraient ainsi être construites des usines d’électrolyse de plus ou moins grande taille. On peut déjà citer en exemple la start-up Lhyfe, laquelle investit 6 millions d’euros dans un électrolyseur aux pieds des éoliennes de Bouin (Vendée).

Bref, on imagine l’effort logistique nécessaire pour créer à la fois des outils de production, des lieux de stockage et de distribution d’hydrogène vert… tout en maintenant les structures dédiées à l’essence et au kérosène le temps de la transition énergétique. Ainsi, Vinci Airports, le gestionnaire de 45 aéroports répartis dans le monde entier, travaille déjà à la conception et aménagement de ses futures infrastructures pour répondre à cette nouvelle demande, en partenariat avec des industriels dont Airbus. Il n’est jamais trop tôt pour bien faire…

(1) Le gouvernement français a annoncé en juin dernier qu’il allait octroyer 1,5 milliard d’euros sur trois ans (jusqu’en 2022) au Conseil pour la Recherche Aéronautique Civile (CORAC), afin de soutenir la recherche et développement de l’hydrogène comme carburant neutre en carbone dans les transports. La France a engagé 7,2 milliards d’euros d’ici 2030 pour devenir un acteur majeur de l’hydrogène en dix ans.

(2) L’hydrogène peut être utilisé sous deux formes. Pour les avions de petite taille, une pile à combustible produit l’électricité pour alimenter le moteur. Pour des appareils de plus grosse taille, l’option retenue est celle d’une propulsion par l’hydrogène utilisé directement comme carburant dans un turboréacteur.

 
Lire aussi les autres articles de notre dossier :
Transport décarboné (1/3) : l’avion et le train à l’amorce d’une révolution
Transport décarboné (3/3) : « l’aérien déjà en retard sur les trajectoires climatiques »