Inde : Navan s’installe-t-elle dans le nouvel eldorado du business travel ?

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Inde : Navan s’installe-t-elle dans le nouvel eldorado du business travel ?
Bangalore, pôle technologique majeur de l'Inde.

Quelques semaines après l'acquisition par Navan (ex-TripActions) de la TMC indienne Tripeur, état des lieux et perspectives de l'industrie du voyage d'affaires dans le sous-continent.

"Si vous m'aviez dit il y a trois ans, que nos clients exigeraient que nous fournissions une solution entièrement en ligne en Inde, je ne l'aurais pas cru. Et pourtant, nous y sommes." Cet étonnement, peut-être un peu feint, est celui d’Ariel Cohen, CEO de Navan, au moment du rachat de la TMC indienne Tripeur, au début du mois d’avril.

Un peu feint car, même il y a 3 ans, on connaissait la puissance et le potentiel économiques de l’Inde alors 5 ou 6ème PIB mondial (3ème, selon l’IRIS, en 2027). Il y a 3 ans, Amazon avait déjà inauguré, sur quatre hectares du financial district de Hyderabad, son plus grand building au monde et seul campus en dehors des États-Unis, accueillant 15.000 de ses 62.000 employés du pays (notre photo). Et l’on pourrait multiplier ainsi les chiffres et faits qui, depuis de nombreuses années, sont autant d’indices du dynamisme de l’économie indienne. Et donc, potentiellement et très probablement, du développement du business travel. De fait, il est là…

Selon le cabinet IMARC, le marché du BT indien, évalué à 35,6 milliards de dollars, est le 7ème du monde, et sa croissance annuelle est de 9%. En 2028, il atteindrait donc près de 60 milliards. Mais il reste à structurer…

Peu de temps avant la pandémie, Capgemini, la plus indienne des boîtes françaises avec quelque 200.000 collaborateurs indiens sur 350.000, décide d’externaliser ses voyages domestiques en Inde. Vu d’Europe, imaginer un traitement en interne jusqu’il y a 3 ou 4 ans de son business travel pour une entreprise de l’envergure de Capgemini semble anachronique. C’est la conséquence d’une offre "agence" peu développée dans le pays. Elle existe mais est très "processée", très manuelle, le offline y règne en maître, un comble pour un pays très connecté.

Confirmation avec le témoignage de Bertrand Lacotte, intéressant à double titre : en tant que membre de l’AFTM (Association française des travel managers), il connaît bien le voyage d’affaires; en tant que responsable des achats de la multinationale indienne Wipro, il connaît bien le pays : "Sur nos 260.000 collaborateurs, 200.000 sont en Inde. Et ils voyagent beaucoup entre nos différents sites. Or, nous traitons ces déplacements via Wipro travel Ltd, notre agence interne. C’est bien le signe d’un manque de maturité du marché dans ce domaine."

Egencia en pionnière

Revenons à Capgemini. Quand l’entreprise native de Grenoble externalise son travel indien, elle le confie à Egencia. La TMC avait ouvert son antenne indienne une dizaine d’années auparavant, en 2008, alors qu’elle était propriété d’Expedia depuis quatre ans. Quand Amex GBT acquiert Egencia en 2021, elle est fort aise de pouvoir capitaliser sur l’historique indien de sa nouvelle entité. 

Yorick Charveriat, DG France de la TMC américaine : "Aujourd’hui, notre groupe (GBT+Egencia, ndr) compte un millier de collaborateurs en Inde, répartis sur sept sites dont deux centres d’excellence à Gurgaon et Bangalore. Les besoins clients sont énormes et augmentent, tant pour les voyages vers l’Inde que pour les déplacements domestiques."

En Inde, Egencia travaille avec un sous-traitant local, IBS, riche de cohortes de développeurs. De la main d'œuvre "tech" qualifiée et bon marché, c’est ce qui pousse, depuis une vingtaine d’années, de nombreuses entreprises - tout secteur confondu - à délocaliser tout ou partie de leur activité IT dans le sous-continent. Dans le cas particulier d'IBS, les tâches sous-traitées pour le compte d'Egencia dépassent de loin l'Inde; il s'agit notamment d'une partie de la production Traveldoo (acquise par Egencia en 2012) qui s'adresse au marché européen.

Mais, la division internationale du travail n'étant pas gravée dans le marbre, les choses évoluent. L'exemple de la collaboration Egencia/IBS révèle un modèle qui perdure largement mais s'inverse en partie aussi. Concetto Labs, par exemple. Cette entreprise indienne qui s'est fait les dents sur des travaux de développement en sous-traitance ouvre désormais des bureaux dans les pays de ses anciens donneurs d'ordre : Etats-Unis, Canada, Royaume-Uni et Norvège. La montée en gamme des compétences fait que le prix n'est plus l'argument de vente. 

Des compagnies lowcosts et des bus inter-états

Preuve, pour prendre des cas "travel" : Verteil, un agrégateur NDC. Ou encore Tripeur, la TMC que Navan vient d’acquérir. L’ex-TripActions suit une stratégie d’acquisition de TMC pour s’installer en Europe. Il aurait été étonnant qu’elle ne fasse pas de même dans un marché tellement plus éloigné de son marché américain d’origine. D’autant donc, que Tripeur "a été, selon Ariel Cohen, CEO de Navan, le fer de lance de la transformation du marché indien du voyage hors ligne vers le voyage en ligne." En ajoute qu'en conséquence : "Cette acquisition permet à Navan de résoudre immédiatement les obstacles locaux."

Et ces obstacles, ils sont nombreux. Parmi eux : des visas business dont l’obtention est particulièrement malaisée, un réseau ferroviaire complexe à intégrer, une kyrielle de compagnies aériennes, lowcost le plus souvent, dont le contenu n’est pas directement accessible, un duty of care à tirer au cordeau, des transports spécifiques (bus inter-états, location de voitures avec chauffeur…). Et encore quelques surprises, Bertrand Lacotte : “Je commande un Uber dans un aéroport. Je n’accède pas au paiement mais je reçois un numéro d’ordre. Je dois le présenter à la station Uber de l’aéroport. On m’indique quelle voiture je dois prendre et on me demande de payer… uniquement en cash.

Global et local

Alors, dans cet environnement atypique, la solution full tech de Navan se propose de mettre un peu d’ordre et beaucoup de fluidité. Et l’on se dit que pour ses concurrents, y compris ceux dont la part de offline est plus importante, avec une main d'œuvre qui reste très bon marché, les opportunités existent aussi.

Si vous m'aviez dit il y a trois ans, que nos clients exigeraient que nous fournissions une solution entièrement en ligne en Inde, je ne l'aurais pas cru”, déclarait donc Ariel Cohen. Il évoquait aussi ces "Unilever, Adobe et Thomson Reuters", qui feraient montre d’une telle appétence. Des clients globaux, très loin de constituer le gros du business de Navan… Mais dans ce même communiqué, il cite une statistique : l’Inde comptera 1 milliard d’utilisateurs de mobiles en 2026… 

Ah oui, c’est vrai : le marché local aussi ! A la mi-2023, l'Inde deviendra officiellement le pays le plus peuplé du monde, avec 1,4286 milliard d'habitants.