Avec Donald Trump, l'économie mondiale titube sur le fil du rasoir. Et le baromètre de la santé économique qu’est le business travel, menace de passer de “variable” à “tempête”. On en fait le pari : la question n'est plus de savoir si elle va frapper, mais quand, avec quelle violence, et quels territoires seront les premiers submergés.
Le monde entier est suspendu aux moindres borborygmes de Donald Trump, et particulièrement les marchés financiers, ces créatures nerveuses et impressionnables. Le sursaut boursier du 8 avril n'aura été qu'un mirage dans le désert de l'incertitude. Dès ce mercredi, en réponse aux droits de douane américains pharaoniques - 104% sur les importations chinoises, l'Empire du Milieu a dégainé sa riposte : 84% de taxes sur les produits américains.
Résultat ? Un massacre boursier planétaire. Le CAC 40 chute de près de 4%, tandis que Londres et Francfort perdent plus de 3%. Les places asiatiques vacillent : Taïwan plonge de 5,8%, le Nikkei japonais recule de 3%. Et Wall Street prend l'eau avec un Nasdaq en berne de 2,15%.
L'hubris trumpien n'a peut-être pas encore contaminé l'économie réelle, mais la fébrilité des bourses mondiales résonne comme le glas d'une prospérité en sursis. JPMorgan estime désormais à 60% la probabilité d'une récession planétaire. Soixante pourcents.
Les premiers symptômes d'un mal qui s'étend
Si le voyage d'affaires est bien ce miroir fidèle de l'économie réelle que l'on prétend, alors l'interrogation qui taraude les esprits n'est plus de savoir si la contraction viendra, mais quand elle frappera, comment elle se manifestera, et quels territoires seront les premiers touchés.
Dans les tranchées de l'économie réelle, les acteurs du travel perçoivent déjà les premières secousses sismiques :
Oli Byers, grand argentier de Virgin Atlantic : "Au cours des dernières semaines, nous avons commencé à observer certains signaux indiquant que la demande américaine ralentissait". Une "réaction tout à fait naturelle à l'incertitude générale des consommateurs", ajoute-t-il avec ce flegme britannique qui masque mal l'inquiétude.
Ben Smith, aux commandes d'Air France-KLM, joue la carte de l'optimisme prudent : "Nous ne voyons rien à ce jour, mais c'est préoccupant pour nous et nous surveillons de très, très près". Une façon élégante de dire qu'on scrute l'horizon, la main sur le frein d'urgence.
L'Amérique, premier domino d'une réaction en chaîne
Mais certains mesurent déjà les effets concrets sur le business travel. Les coupes budgétaires de l’Etat confiées à Elon Musk produit déjà ses effets sur les voyages gouvernementaux. Scott Kirby, PDG de United Airlines, chiffre l'impact : "Le gouvernement représente 2% de notre activité. Les secteurs adjacents, tous les consultants et contrats associés, représentent probablement 2% à 3% supplémentaires. C’est en baisse d'environ 50% actuellement". Un "impact assez important à court terme", euphémise-t-il.
Craig Fichtelberg, d'AmTrav, enfonce le clou : "L'incertitude économique sur les marchés financiers rend certainement difficile pour les clients un engagement sur des budgets de voyage fermes pour 2025. La demande des entreprises n'a actuellement pas d'orientation claire, et cela pourrait durer".
La réponse à "quand" est donc limpide : maintenant. Et "où" ? Pour l'instant, aux États-Unis. Mais l'Amérique n'est que le premier domino d'une réaction en chaîne inexorable.
La contagion planétaire, une question de temps
De Joseph Stiglitz à Martin Feldstein, en passant par le prophète des crises Nouriel Roubini, la chorale des économistes entonne le même requiem : une crise économique américaine est un tsunami qui ne connaît pas de frontières. L'Europe, cette éternelle suiviste (pas forcément quand on parle de croissance américaine, malheureusement), ne sera pas épargnée.
Et le mécanisme de propagation est d'une simplicité terrifiante : l'élévation des barrières douanières provoque des ripostes, qui engendrent d'autres ripostes, dans une spirale infernale aux effets multiplicateurs.
Donc "où" et "quand" ? Aux États-Unis dans l'immédiat, et partout ailleurs - Europe en tête - dans un avenir si proche qu'on peut déjà en sentir le souffle glacial.
Un nouveau paradigme en gestation
Mais une troisième question se profile à l'horizon : pour combien de temps ? Sir Tim Clark, président d'Emirates, évoque une "forme de réinitialisation à un niveau que l'économie mondiale n'a probablement pas connu depuis peut-être la crise financière de 2008-09". Avant d'ajouter, avec cet optimisme propre aux capitaines d'industrie : "dans le passé, le retour de la demande a été très robuste. Beaucoup plus fort qu'avant la crise".
Ce terme de "réinitialisation" (reset) est fascinant. Il suggère non pas une simple fluctuation cyclique, mais un changement de paradigme. Un nouveau jeu avec de nouvelles règles. C’est pourquoi la comparaison avec 2008 semble manquer de pertinence.
Si Trump met ses paroles en actes et si ses actes se pérennisent, c'est davantage 2020 qui devrait nous servir de boussole. Les effets sur l’économie et donc le voyage d’affaires ne seront certes pas aussi dévastateurs que ceux de la pandémie, mais contrairement à la crise des subprimes qui a finalement accouché d'un monde relativement similaire à celui d'avant, l'ère Trump.02 pourrait, comme le Covid, créer une rupture durable pour le business travel. Et on serait alors loin du “pauvre” 1,3 milliard de dollars que le travel ban de 2018 aurait coûté à l’industrie du voyage d’affaires, selon la GBTA…
> Lire aussi : Trump va-t-il encore faire perdre 1 milliard au business travel ?
Comme c’est le cas du Covid qui fit advenir pour toujours un monde avec visioconférences, il y aurait un "avant" et un "après" Trump en matière de voyages d'affaires. Un nouveau standard qui s'imposerait, redéfinissant pour longtemps les contours du business travel mondial.
“Si Trump met ses paroles en actes et si ses actes se pérennisent”, disions-nous. Finalement, ce sont, à l’heure qu’il est, les seuls “si” qui comptent.