Vaccins, passeport sanitaire européen : « Il y a des raisons d’être optimiste » (Ch. Drezet, EPSA)

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Directeur associé au sein du cabinet de conseil EPSA GROUPE, Christophe Drezet salue les premiers résultats de la stratégie de vaccination française et croit en la mise en place du passeport sanitaire européen en juin prochain. Entretien teinté d’optimisme.

La vaccination est la voie à suivre pour sortir de la crise mais si on veut voyager, elle ne sert à rien sans passeport sanitaire…

Christophe Drezet : Exactement. Personnellement, je suis vacciné, j’ai reçu mes deux doses, mais la semaine prochaine, je devais me rendre à l’étranger… Impossible : à date, je ne bénéficie d’aucun droit supplémentaire par rapport aux personnes non vaccinées, et c’est bien normal, tant que le passeport sanitaire n’existe pas. C’est donc l’objectif à atteindre et, d’après moi, pas uniquement pour le voyage, également pour l’accès à un certain nombre de lieux à risque sur le territoire national. Au mois de décembre, les Français étaient majoritairement contre la vaccination, aujourd’hui, c’est l’inverse. De la même façon, je fais le pari que l’idée de ce passeport sanitaire va devenir majoritaire. C’est en tout cas ce que montrait un sondage Opinion Way la semaine dernière. Mais bien sûr, pour des raisons éthiques, un tel dispositif ne peut être mis en place que lorsque l’ensemble de la population désireuse de se faire vacciner pourra l’être.

Il n’empêche, des passeports sanitaires d’initiatives privées – émanant de IATA ou d’Air France, ont été mis en place. Qu’en pensez-vous ?

La mobilité… c’est tendance !
Christophe Drezet

Pour prendre l’exemple du Travel Pass de IATA, peu de compagnies s’en sont emparées. Et IATA, malgré sa force de frappe, na pas été en mesure de convaincre des pays d’utiliser sa technologie. Tant que les restrictions au voyage perdureront, ces solutions ne servent pas à grand chose, ce n’est ni nécessaire ni suffisant. C’est beaucoup de communication et de marketing visant à recréer de la confiance avec le passager. Cependant, ces initiatives ont au moins un avantage : montrer que, techniquement, c’est possible. Mais sur ce sujet, il me semble important que ce soit la puissance publique – que ce soit à l’échelon national ou au niveau de l’UE, pour parler de l’Europe, qui ait la main sur ces technologies, notamment en matière de protection des données.

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Justement, en la matière, la grosse actu, c’est la présentation en début de semaine du projet de passeport sanitaire par la Commission européenne…

Il faut remarquer que, pour le moment, l’Europe est la seule région du monde à porter cet objectif de se doter d’un passeport sanitaire qui concernera 450 millions de personnes. Aux Etats-Unis, par exemple il n’existe pas d’initiatives de cet ordre. A New-York, on voit bien que le passeport mis en place ne fonctionne qu’à New-York. Là, l’enjeu est de retrouver de retrouver une liberté de circulation au sein de l’espace Schengen…

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L’Europe a été défaillante à bien des égards durant cette crise. Lui faites-vous confiance pour faire aboutir ce projet ?

L’Europe n’a pas su rêver au vaccin, pour reprendre l’expression d’Emmanuel Macron. Quand il a fallu se fournir en vaccins, elle s’est comportée comme une centrale d’achats. Pour poursuivre l’analogie avec l’entreprise, il y a parfois des sujets prioritaires traités directement par le board, et c’est ce que n’a pas fait l’Europe, tout cela est vrai. Pourtant, oui, je fais confiance à l’Europe sur ce sujet car elle n’a pas le choix. Je crois que l’UE a pris conscience de ses insuffisances et qu’elle sait que c’est sur ce sujet-là quelle peut se rattraper.

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Mais l’Europe n’est pas une entité abstraite, ce sont des Etats membres. Les croyez-vous capables de se mettre d’accord sur la proposition de la Commission et de soumettre un texte au vote du Parlement courant juin, comme annoncé ?

Pour l’instant, l’élément bloquant principal, c’est la position de la France et de l’Allemagne qui freine les choses au nom de l’égalité tant que les vaccins ne seront pas disponibles en nombre suffisant. Or, le passeport serait soumis au vote en juin. Puis il faudra quelques semaines de tests de l’appli, la mise en place d’une interface entre l’appli et les serveurs de la Sécurité sociale. Car il faudra un suivi… On va peut-être s’apercevoir que le vaccin Pfizer a une durée d’efficacité de 6 mois, et le Moderna, de 10 mois, ou encore que de nouveaux variants vont se développer : cette appli, on devra la faire vivre en s’assurant de la confidentialité des données. Bref, ça nous amène presque au 14 juillet, que Thierry Breton a présenté comme la date de l’immunité collective en France (il a, depuis, tempéré ses propos, ndr). L’argument de la rupture d’égalité ne pourra plus tenir. 

L’axe sur lequel les entreprises peuvent agir pour faire repartir l’Europe, c’est la vaccination de leurs salariés. Celles avec qui vous êtes en contact s’y préparent-elles ?

Elles sont prêtes à vacciner leurs salariés, il y en a même – Véolia ou Axa – qui ont fait de grandes annonces à ce sujet… Mais pour l’instant, il n’y a pas de vaccins ou alors pas pour eux. De toute façon, je pense que si les entreprises avaient de quoi vacciner ce seraient des chefs de production, des gens présents dans les usines, pour éviter les absences notamment, qui seraient prioritaires. La vaccination pour le voyageur d’affaires n’est pas du tout à l’ordre du jour dans les entreprises car, de toute façon, il y a des restrictions au voyage. Je pense que le pari des entreprises c’est que les voyageurs d’affaires se feront vacciner assez naturellement, comme tout le monde, d’ici la fin de l’été.

Septembre, c’est donc le moment que les entreprises attendent pour faire repartir leurs collaborateurs ?

Oui et on espère un retour à la quasi normale pour la fin de l’année. A cette période, on s’attend à une reprise assez forte avec un effet rattrapage, un peu à l’image du leisure à l’été 2020 où les Français ont beaucoup dépensé : les cadres auront besoin de revoir leurs équipes, leurs prospects, leurs clients. Il y aura une certaine euphorie mais qui s’accompagnera d’une tendance à la réduction des voyages au profit des solutions technologiques. En tout cas, le voyage ne repartira que lorsque le taux de vaccination sera élevé et que le passeport sanitaire sera en place.

Vous parlez ici de voyages intra-européens. Pensez-vous que le passeport sanitaire européen puisse enclencher un mouvement de reconnaissance mutuelle des différents passeports à l’international ?

Oui, de façon inégale selon les pays. Je pense qu’il n’y aura pas de difficultés entre l’Europe et les Etats-Unis. Pour la Chine, considérant les tensions actuelles, ce sera plus compliqué. Mais il y a quand même des centaines de milliards de business en jeu, une interdépendance forte des économies, et je ne suis pas sûr que les Chinois aient envie de batailler sur la reconnaissance du passeport sanitaire.

Vous êtes globalement très optimiste…

Je pense qu’il y a des raisons de l’être. En France, la stratégie de vaccination qui a consisté à prioriser les personnes âgées pour faire baisser le nombre de décès – et en acceptant un engorgement des urgences – commence à donner des résultats. Au niveau européen, on sait que les vaccins vont arriver en masse au mois d’avril. Et il y a bien sûr cet objectif « passeport sanitaire ». Au niveau médical, on sait que les vaccins sont efficaces contre les variants. On a l’exemple d’Israël où, avec un taux de vaccination très élevé et le « passeport vert », on est quasiment retourné à une vie normale avec, déjà, des accords bilatéraux de circulation avec la Grèce, la Crète et Chypre. Et peut-être une période estivale qui donnera le temps à l’Europe et au reste du monde pour reconnaître mutuellement les différents passeports sanitaires.