Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes. Créateur du World Air Transport Forum et de l’APG, il parle, dans cette tribune, de l'aérien africain disproportionnellement onéreux si on le compare aux prix qui se pratiquent en Europe. Et esquisse des pistes pour remédier à un tel écart.
La Cédéao (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) est un lieu où les échanges peuvent déboucher sur des mesures concrètes. Certes, l’organisation créée à Lagos le 29 mai 1975 est actuellement un peu en difficulté avec la pseudo exclusion de quatre États situés au beau milieu de cette zone géographique : le Burkina Faso, la Guinée, le Mali et le Niger, tous gouvernés par des pouvoirs militaires qui, soucieux de l’indépendance de leur pays, ont coupé les liens qu’ils entretenaient avec la France, ce qui, accessoirement a également des répercussions dans l’ensemble de l’Europe occidentale.
Dernièrement, lors d’une réunion des responsables des aviations civiles des États membres, onze pays (si on enlève les quatre en froid avec l’Organisation), ont placé le prix des billets d’avion à l’intérieur du territoire couvert par les États au centre de leurs débats. Et c’est bien normal, si on compare les tarifs pratiqués pour des trajets intra-européens.
Voler coûte plus cher aux Africains qu’aux Européens
En voici quelques exemples pris sur le trajet le plus direct avec un aller le 10 décembre et un retour le 17 décembre 2024 en classe économique : Bamako/Lomé, 4h30 de vol aller-retour, 891€ avec la compagnie Asky; Accra/Douala, 8h20 de trajet car il y a une escale, 1.194€ toujours avec Asky; Abidjan/Dakar 5h25 de vol, 525€ avec Kenya Airways. Et par comparaison, sur les routes européennes, en considérant des distances orthodromiques comparables : Paris/Rome, 4h25 de vol, 66 € avec Ryanair ou Paris/Athènes en 6h50 aller-retour pour un prix de 176 € avec Transavia ou Londres/Athènes 7h50 de temps de vol, 114 € en prenant EasyJet.
Les écarts existent également sur des routes identiques selon que l’on voyage dans le sens sud/nord ou l’inverse. Exemples toujours pris aux mêmes dates et en classe économique : Abidjan/Paris 1.208 € mais Paris/Abidjan 993 € avec le même transporteur, Air France; ou Accra/Londres 1.466 € et Londres/Accra 1.216 €, voyage effectué avec British Airways. Il faut bien se rendre à l’évidence : à distance égale les tarifs sont toujours plus chers, voire beaucoup plus chers pour les Africains que pour les Européens, or le coût de la vie est nettement plus élevé en Europe que dans les pays de la Cédéao.
Il faut une compagnie basée sur le territoire Cédéao
Les dirigeants du transport aérien africain réunis à Lomé ont pointé plusieurs facteurs pour expliquer ces écarts : les redevances aéroportuaires, les charges du contrôle aérien, diverses taxes imposées par les gouvernements et ce n’est sans doute que le début de leur réflexion. Mais vu de l'extérieur, d'autres raisons expliquent que les billets en Afrique soient aussi élevés.
La première est l’atomisation du transport aérien africain. Hormis 4 compagnies aériennes : Ethiopian Airlines, Kenya Airways, Royal Air Maroc et Egyptair, aucun opérateur n’atteint la taille suffisante pour se battre devant une concurrence internationale toujours très active. Or, aucun de ces quatre transporteurs n’est basé dans le territoire couvert par la Cédéao.
Ainsi, les compagnies européennes peuvent vendre à des tarifs plus élevés qu’ils le font ailleurs et ils ne s’en cachent pas, car ils ne craignent pas la concurrence africaine. La première réponse serait de créer une compagnie de bonne taille basée dans cette région.
Il faut densifier l’offre via une LCC
La deuxième raison vient de la rareté de l’offre. Pour obtenir un niveau de coûts raisonnablement bas, il faut des opérations beaucoup plus denses que celles dont le marché dispose. Chaque binôme de villes importantes, je pense d’abord aux capitales économiques, devrait être desservi par au moins trois aller-retours quotidiens et c’est très loin d’être le cas.
Il n’est pas normal de mettre plus de 6 heures pour rejoindre Douala à Lagos distantes de 746 kilomètres. Pour une distance équivalente, il y a près de 40 vols quotidiens entre Paris et Nice. La remarque est la même entre Accra et Douala, où il faut plus de 4 heures pour parcourir 1.122 km. La demande de transport est là, surtout si les tarifs baissent jusqu’à un niveau raisonnable.
Pour arriver à cela il faut, là encore, créer un vrai transporteur low-cost dans cette région. Ne nous y trompons pas, les low-costs sont la seule origine de l’énorme baisse des tarifs européens. Ils ont d’ailleurs raflé près de la moitié du marché et obligé les compagnies traditionnelles à aligner leurs tarifs sur les leurs.
Une économie prometteuse… si le politique s’en éloigne
Et puis il serait judicieux que la composition des flottes n’obéisse qu’à des critères économiques et non politiques. Ethiopian Airlines pourtant entièrement possédée par l'État éthiopien a toujours gardé sa pleine indépendance quant à sa stratégie et le choix de ses équipements.
L’Afrique, et plus spécialement cette région, est un véritable eldorado pour le transport aérien : une population jeune, en forte croissance, souvent bien éduquée, peu d’équipements au sol et un développement économique qui ne demande qu’à s’envoler. Le transport aérien est peut-être le moyen essentiel pour assurer ce développement.