Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes, créateur du World Air Transport Forum et de l’APG fait le point sur les compagnies africaines deux ans après lé début de la crise sanitaire.
Le COVID est passé sur l’Afrique, comme partout ailleurs et il laisse de considérables séquelles. Certes, la résilience de ce continent est impressionnante et en dépit de l’absence de puissantes aides étatiques, les transporteurs aériens sont restés en vie. Mais en quel état !
Nombre de compagnies historiques sont exsangues. C’est le cas, entre autres, de Kenya Airways, South African Airlines, Air Madagascar, Tunisair. Et je ne parle pas des opérateurs de l’océan Indien - Air Austral, Air Mauritius ou Air Seychelles qui ne vont guère mieux. Certains gouvernements mettront la main à la poche pour faire repartir leur transporteur national. C’est sans doute ce qui arrivera en Algérie, mais cela n’évitera pas une nécessaire réforme en profondeur des méthodes de management. D’autres pays, comme la Tunisie, sont en grande difficulté pour fournir les ressources financières que suppose une restructuration. Alors quelles sont les solutions ?
L'exemple Ethiopian
Il ne faut d’abord pas oublier que certaines compagnies tirent très bien leur épingle du jeu, c’est le cas par exemple d’Ethiopian Airlines qui a réussi à traverser la période en limitant des dégâts. Pour cela, elle a opéré la reconversion d’une importante partie de sa flotte en cargo. Or le transporteur éthiopien ne profite pas d’un environnement privilégié, c’est le moins que l’on puisse dire compte tenu de la situation politique interne du pays. Par contre, il a toujours eu à sa tête de très bons professionnels qui, sachant ne pas pouvoir compter sur l’aide de l’Etat, ont appris à se débrouiller seuls. Cela les a amené à suivre une stratégie compatible avec les besoins du marché et non les ambitions politiques des gouvernements.
Pourquoi n’en serait-il pas de même dans d’autres pays ? On commence à voir un désengagement des gouvernements qui amène les transporteurs à rechercher des solutions par eux-mêmes. Si l’affaire va au bout, c’est ce que veulent faire Kenya Airways et South African Airlines. Ils ont l’ambition de créer un nouveau transporteur commun aux deux pays. Il faudra y mettre une énergie farouche pour vaincre un nationalisme endémique. Il sera aussi nécessaire de revoir les règles d’attribution des droits de trafic car le nouveau transporteur devra bien être enregistré dans un pays au risque de perdre les droits disponibles dans l’autre. Mais enfin, voilà une initiative à signaler. Reste qu’il sera très compliqué de créer un ensemble profitable à partir de deux compagnies structurellement déficitaires.
Le cas délicat du Maghreb
Le cas du Maghreb est très délicat lui aussi. Les transporteurs tunisien et algérien ont été considérés par leurs gouvernements comme un pôle d’emploi pour les amis des pouvoirs en place. C’est ainsi que les bons professionnels, qui ont tenté de s’opposer aux demandes des responsables politiques ont été purement et simplement écartés. Alors, on a assisté à une inflation de salariés dont beaucoup manquaient de professionnalisme, ce qui obligera les compagnies à dégraisser massivement leurs effectifs afin de recouvrer une potentielle rentabilité. Cela ne sera pas facile. Le Maroc est dans une situation à part, la Royal Air Maroc dispose de bons professionnels et le soutien de la maison royale est acquis.
Challengers
Et à côté de ces difficultés, on voit poindre de bons espoirs dans des pays un peu inattendus. C’est le cas en particulier d’Afrijet qui, petit à petit, tisse son réseau tout en gardant les pieds sur terre. Au lieu de se lancer dans le long courrier, le transporteur gabonais a préféré faire un « code share » avec La Compagnie qui dispose du bon équipement pour desservir Paris au départ de Libreville. Voilà une solution de bon sens qui permet pendant ce temps-là à Afrijet de consolider son réseau local puis régional.
On peut, par contre se poser la question de la continuité d’une compagnie comme Air Madagascar qui n’arrive pas à se dégager de l’emprise étatique. Le transporteur va de faillites en changements de direction sans arriver à la stabilité qui seule peut la sortir de ses difficultés. Elle devra néanmoins être entièrement recapitalisée, reste à savoir par qui.
Promesses
Ce continent est plein de promesses. C’est probablement le nouvel eldorado du transport aérien. Tout y conduit : les distances, la relative absence d’équipements routiers et ferroviaires, la sécurité des échanges que seul peut assurer le transport aérien, le tout allié à une croissance prévisible pour de nombreuses années et à l’accroissement d’une population jeune dont une partie de plus importante atteint maintenant la classe moyenne. Les Etats doivent apprendre à soutenir leurs transporteurs nationaux mais également à ne pas intervenir dans sa gestion. C’est la condition du succès.