Annette Botticchio, membre du Board de la GBTA France, investie également au sein de l’association LEVENEMENT, a travaillé pour les plus grandes chaînes hôtelières. Depuis peu, elle a lancé son entreprise de conseil (P4H !) et collabore avec Chancellery, s’occupant du développement MICE du Palladium Hotel Group en France. Elle nous a accordé une interview, l’occasion d’un passage en revue des évolutions du secteur du tourisme d’affaires.
Quelles sont les évolutions notables que vous constatez depuis la pandémie, voire plus récemment, sur le segment du tourisme d’affaires ?
Annette Botticchio : La RSE est bien sûr l’un des facteurs les plus notables, que ce soit sur le Travel ou le MICE. Elle prend de plus en plus d’importance, du fait que les entreprises sont désormais engagées sur les questions de durabilité et leurs émissions de CO2, qu’elles challengent leurs prestataires sur ces questions, qu’elles se montrent sensibles aux certifications…
Plus globalement, je constate que les clients sont plus exigeants qu’avant. Il y a d’un côté un souci de maîtrise budgétaire, et d’autant plus que nous évoluons dans un monde où règne une grande incertitude. Les hôtels, qui ne sont pas les seuls bien sûr, ont été très touchés par l’inflation et l’augmentation des prix des matières premières. Et cela n’a pas été intégralement répercuté sur le prix facturé au client. Avec comme conséquence un impact sur les marges et une hausse des prix qui ne s’est pas traduite pour autant par une amélioration de la qualité de l’offre.
On entend dire que les entreprises ont augmenté leur nombre d’évènements tout en réduisant les dépenses par participant…
A.B : Cela dépend vraiment des entreprises. Il est compliqué de dire que les budgets s’inscrivent à la hausse ou à la baisse. Je pense pour ma part que le MICE est gagnant ces dernières années, qu’il a pris un rôle prépondérant dans la stratégie des sociétés. Avec le télétravail et les nouvelles organisations des emplois du temps, ces moments où l’on se retrouve sont devenus très importants, et notamment pour maintenir la cohésion et le sentiment d’appartenance. D’où par exemple la demande en hausse pour des team-buildings.
Si l’on ne dépense pas forcément plus par personne, le contenu des événements est plus dense. L’entreprise doit mettre les bouchées doubles, séduire, convaincre sur l’image, sur une vision, des valeurs… Comme cette approche se conçoit dans la durée, la communication événementielle s’inscrit dans un plan de communication globale. Et je ne pense pas que tout cela coûte moins cher qu’avant. Je relèverais par ailleurs que le MICE ponctionne différents budgets tels les RH et le marketing, et pas seulement la communication.
« Favoriser la rencontre ce n’est pas seulement louer une salle et des chaises »
Il y a donc plus d’exigence dans l’événement que l’on va organiser. Pour l’interne, nous avons besoin de créer un événement propice à l’échange, approprié pour favoriser la rencontre. Et cela ne passe pas seulement par la location d’une salle avec des chaises. Pour les clients, il suffit de voir ce qu’on fait aujourd’hui pour un lancement de produit, de l’importance que prend le « pourquoi » quand on organise un événement, ce que l’on veut obtenir, quel message on veut faire passer. Un challenge également pour les lieux événementiels et les hôteliers.
Les hôteliers, selon vous, ont donc une carte à jouer…
A.B : C’est aussi aux hôteliers d’être force de proposition, d’apporter des conseils sur les prestataires locaux, sur tel ou tel restaurant par exemple, de recommander le cas échéant d’avoir recours à une agence réceptive. Notre regard neutre et objectif sur la destination peut être également un atout. L’une des forces des hôteliers c’est de faire le lien avec leur environnement local. Autrefois, on ne voyait jamais de Parisiens dans les hôtels de la capitale, aujourd’hui c’est beaucoup moins vrai. Cette mixité est recherchée, s’inscrivant ainsi dans le « S » de la RSE, dans ses dimensions sociale et sociétale.
De manière plus pragmatique, les entreprises doivent montrer patte blanche sur toutes les questions d’émissions de CO2, choisir les partenaires les plus vertueux, y compris en se basant sur les certifications.
« Le calcul des émissions de CO2 est très complexe »
Tous les hôteliers doivent être impliqués, petits et grands, comme s’emploient à le faire de grandes organisations comme le WTTC avec son Hotel Sustainability Basics.
Il faut en effet mettre tout le monde à niveau, même a minima, ce qui n’est pas le cas des certifications et autres labels qui répondent à des niveaux d’exigences différents. Certaines grandes chaînes hôtelières commencent par ailleurs à calculer les émissions de CO2 d’un événement. Mais ce sont des estimations selon moi. Un tel calcul est très complexe. Et il existe un monde entre un 3 étoiles en bord d’autoroute et un boutique-hôtel urbain à haute valeur énergétique.
Les HBT proposent-elles les salles de séminaires des hôtels ?
A.B : Pas à ma connaissance. Peut-être est-ce lié à une question de connectivité. Il faut toutefois noter que les hôteliers ne souhaitent pas particulièrement que tout le monde vienne piocher dans leur inventaire, et par exemple louer en temps réel une salle de séminaires quand cela induit également la réservation de chambres. Je pense pour ma part que le MICE finira par s’intégrer dans l’offre des HBT. Mais cela se fera quand tout le monde sera prêt, que seront prises en compte les différentes approches des propriétaires comme des franchisés au sein des chaînes hôtelières.
Je rappellerais par ailleurs que des chaînes hôtelières comme Accor ou Radisson proposent elles aussi du easy-booking pour les small-meetings. Des TMC comme CWT ont mis également à disposition des outils de réservation de salles de séminaires (CWT a toutefois débranché ce début d’année sa plateforme CWT Easy Meetings, nous y reviendrons prochainement dans DéplacementsPros.com, NDR).
Percevez-vous, sur le M&E, un changement dans le rôle et les fonctions des travel managers et acheteurs ?
A.B : Oui en effet, mais ce changement est davantage répandu pour l’instant dans les pays anglophones. Cela arrive néanmoins en France, ce qui explique d’ailleurs le nombre croissant de sujets MICE que traitent la GBTA France comme l’AFTM. Il s’agit de faire monter tout le monde en compétence, de leur permettre d’apporter davantage de valeur ajoutée à leur entreprise. Les travel managers et acheteurs estiment plutôt aujourd’hui que le M&E est une activité qu’ils ne maîtrisent pas, à l’exception notable de ceux qui ont été recrutés pour cela.
Le small-meeting dépasse probablement cette question de la compétence. Et nombreux sont ceux qui concentrent leur activité MICE sur ce segment de marché, ce qui explique le succès de plateformes comme Kactus, Naboo et autres. L’approche du MICE devient dès lors digitale, rationnelle, beaucoup plus mesurable avec des KPI et des informations diverses sur la nature des différents événements organisés par l’entreprise… Et l’acheteur/TM se doit de s’y intéresser, même un peu contraint et forcé.
« Le MICE ne se résume pas aux small meetings réservés via des plateformes »
En revanche, les services communication interviennent en priorité quand il s’agit des grands événements de l’entreprise, idéalement en collaboration avec les acheteurs. Lesquels peuvent aussi référencer des agences événementielles et préconiser le choix d’une d’entre elles, surtout quand l’on sait la valeur ajoutée qu’elles apportent. Mais les interlocuteurs des agences sont plutôt les dircom et les directeurs marketing. Et la compétence de l’acheteur/TM pour dire ce qui marche ou pas sur de tels événements est limitée. C’est clairement un autre métier.
Pour l’instant, s’ils s’emploient à maîtriser la digitalisation notamment des « simple meetings », il faut néanmoins convaincre acheteurs et TM, petit à petit, y compris par le biais de la formation, que le MICE ne se résume pas pour eux à la réservation par le biais des plateformes. D’autres acteurs apportent d’autres briques qui peuvent aussi aider à franchir des étapes pour les entreprises, comme Rejolt ou Aleou, lesquels produisent des reportings très précis et travaillent beaucoup sur la durabilité.
Comment cela se passe-t-il en matière d’appels d’offres des grandes entreprises ? Intègrent-elles de plus en plus le MICE au BT ?
A.B : Pas vraiment. Les appels d’offres BT et MICE se négocient séparément. Et la question se pose de savoir sur quoi se porte un appel d’offres MICE. On voit bien, sur ce point, la difficulté des entreprises quand il s’agit de mesurer leurs besoins sur le meeting & event.
CV Express
Annette Botticchio a travaillé successivement pour IHG, Hilton, Concorde Hotel, Hyatt et enfin Radisson qu’elle a quitté en février dernier. Elle a ensuite effectué une mission chez HPVA Hotels Management lui ayant permis de mieux appréhender les besoins de petits établissements. Elle a ensuite lancé son entreprise de conseil P4H! (Passion for Hospitality) visant à optimiser les ventes B2B pour les groupes hôteliers propriétaires / franchisés. Elle travaille également pour Chancellery, une société de représentation hôtelière spécialisée en loisir/luxe, afin de leur apporter sa connaissance du tourisme d’affaires. Elle s’occupe actuellement de leur client Palladium Hotel Group – une chaîne espagnole d’hôtels 4 et 5 étoiles – souhaitant développer le MICE sur le marché français.