Le MICE japonais s’érige en exemple

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Le MICE japonais reprend, c'est un fait. En cohérence avec la bonne gestion de la crise sanitaire dans l'archipel... qu'il convient cependant de relativiser.

Le Convention Bureau du Japon communique sur sa capacité à maintenir des événements professionnels malgré la pandémie. Et le moins qu'on puisse dire, c'est que l'autosatisfaction est au rendez-vous... "Le Japon donne l’exemple en montrant comment il est possible d’organiser à nouveau des événements et de continuer à assurer la santé de ses participants", déclare ainsi Mme Etsuko Kawasaki, Directrice exécutive de la structure MICE du JNTO (Office national du Tourisme japonais).

Nihonjinron

Ce qui dérange aux entournures, c'est cette exemplarité dont se targue l'archipel. Mais c'est surtout ce qu'elle sous-tend : comme l'explique un article du site The conversation, cette soi-disant excellence des résultats nippons, durant cette période de crise, serait due au mindo, une notion qu'on pourrait traduire par "normes du peuple". Ce mindo est une déclinaison du nihonjinron, cette croyance selon laquelle chaque pays est unique mais le Japon un peu plus que les autres... pour ne pas dire "supérieur".

Soyons honnête, le communiqué du Convention Bureau ne se réfère pas à ces arguments nationalistes. Il s'en tient aux mesures factuellement prises dans le pays : "Très tôt face à l’épidémie, le Japon a lancé une campagne de prévention auprès des personnes et des entreprises, incitant à éviter les « 3 Cs » : closed spaces, crowded spaces, close-contact points. Sans aller jusqu’à mettre en place un confinement strict, le gouvernement japonais a prononcé un état d’urgence, en avril et mai 2020, durant lequel il a appelé les japonais à réduire au maximum leurs sorties et leurs contacts"... Mais ajoute quand même : "Le respect de ces instructions par une large partie de la population s’est ajouté à un port généralisé du masque, qui était déjà une pratique normale dans la société japonaise."

Relativisons !

Sans le dénier, il faut cependant relativiser le succès du Japon en la matière, pour au moins deux raisons. La première tient au nombre de tests qui y sont pratiqués. D'après un article très documenté de la revue de géographie et d'aménagement Territoire en mouvement, sur une liste de 36 pays dont on connaît les données, le Japon n'avait pratiqué, à fin avril 2020, que 1,8 test pour 1.000 habitants, bien loin de la tête de classe islandaise (135 tests) et même du mauvais élève français (9,6 tests). Or, on le sait, plus on teste, plus on trouve.

D'autre part, depuis la mi-octobre, le pays est confronté à une troisième vague qu'elle ne parvient pas, pour l'heure, à endiguer. Elle serait la conséquence de la campagne estivale Go To Travel! qui encourage, promeut et même subventionne le tourisme domestique. Cette opération a d'ailleurs été suspendue lors des vacances de fin d'année pour cette raison. 

Le 9 décembre, le Japon dénombrait 164.000 cas de contamination et 2.382 décès. Le 29 décembre, ces chiffres étaient passés respectivement à 222.093 et 3.287 décès... En d'autres termes : 2.382 morts en 10 mois (de début février à début décembre), puis 905 supplémentaires en... 19 jours. Mais alors qu'en est-il donc de ce fameux mindo ?

Le MICE repart

Il n'empêche que si l'accélération de la propagation et de l'augmentation de sa létalité sont réelles, les chiffres bruts sont infiniment meilleurs que les résultats obtenus en Europe. C'est une des raisons pour lesquels le MICE reprend au Pays du Soleil Levant. Et il serait totalement incohérent de critiquer le nihonjinron tout en se gardant de s'inspirer de ce que font (plutôt bien, apparemment) les autres.

Ainsi, le Japon a ainsi été en mesure de reprendre ses événements peu de temps après la fin de l'état d'urgence d'avril 2020, en conformité avec la volonté affirmée par le gouvernement de faire repartir l'économie au plus vite (vivement critiquée depuis la 3ème vague). Les restrictions en termes de jauge se sont progressivement allégées jusqau'au règlement actuel, en vigueur depuis le 19 novembre : les lieux d’une capacité de 5.000 personnes n’ont plus de limitations; ceux de 5.000 à 10.000 personnes sont limités à 5.000 personnes, et ceux de plus de 10.000 personnes peuvent être remplis qu’à 50%. Cette limite a toutefois été ramenée à 5.000 personnes à Tokyo jusqu’à début 2021 au moins. De quoi faire rêver l'Unimev et tout autre représentant du secteur en France...

Protocoles stricts 

Cette reprise se déroule sur la base de nouveaux protocoles sanitaires stricts, résumés dans les nouvelles directives des institutions du MICE japonais, dont, notamment, le Japan Congress & Convention Bureau (JCCB), la Japan Convention Management Association (JCMA) et la Japan Exhibition Association (JEXA).

A titre d'exemple, le centre de congrès PACIFICO Yokohama a décliné sa nouvelle politique sanitaire à de nombreux niveaux : espacement des sièges pour garantir la distanciation physique, désinfection régulière des points de contact, distribution de lotions hydro-alcooliques, caméras thermiques aux entrées et contrôle renforcé des services de boisson et de catering… En appliquant ces mesures, le lieu a accueilli les 15 et 16 décembre 2020 le Sommet Asie-Pacifique de l’International Congress and Convention Association (ICCA)... sous un format hybride (comme le montre notre photo), restrictions aux frontières obligent.

Communication

En outre, le Japan Convention Bureau, communiquent ces protocoles aux organisateurs d’événements étrangers et les accompagnent dans la préparation de leurs projets futurs. Le JNTO soutient par ailleurs l’adoption des nouvelles technologies préventives et protocoles d’hygiène par les représentants du Japon pour les événements internationaux : durant la rencontre annuelle de ses Conference Ambassadors, les invités avaient l’occasion d’essayer par eux-mêmes les plus récents équipements.

Dans sa dernière publication « Planning the Ideal Business Event in Japan », le JNTO partage des exemples de prestataires MICE ayant adapté leurs offres au monde post-COVID-19. Ces entreprises couvrent l’ensemble des différents niveaux relatifs à un événement, des compagnies aériennes et ferroviaires aux centres de congrès, en passant par les hôtels et réceptifs. 

Des résultats et un risque

Outre le Sommet Asie-Pacifique de l'ICCA, de nombreux événements ont déjà pu se tenir avec succès au Japon, et sans provoquer de contaminations notables. Dès cet été, du 9 au 11 août, Kobe a accueilli l’Exposition Internationale de la Joaillerie, où se sont rassemblés près de 6.000 acheteurs, exposants et visiteurs. La Tourism EXPO Japan, premier salon du tourisme du pays, s’est tenu pour la première fois à Okinawa du 29 octobre au 1er novembre et a accueilli 24.080 visiteurs ainsi qu’une trentaine de stands de pays et régions étrangères.

One Young World Japan, la section locale de l’association internationale des jeunes leaders, a organisé du 23 au 25 octobre le One Young World Tokyo Caucus, un événement hybride donnant la parole aux jeunes entrepreneurs sociaux, à la fin duquel OYW a annoncé tenir son Sommet Mondial à Tokyo en mai 2022. Plus récemment, l’INTERPHEX Week Tokyo, le plus grand salon de technologie pharmaceutique et cosmétique du Japon, a rassemblé du 25 au 27 novembre 1.000 exposants et près de 20.000 visiteurs. 

On souhaite bien entendu vivement que le MICE japonais poursuive sur cette lancée prometteuse... Mais si les difficultés à endiguer la vague actuelle se confirment, il se pourrait que cette essentialisation des qualités japonaises dans la lutte contre la pandémie se retourne contre ceux qui la promeuve. Car, comme le dit Paul O'Shea, du Centre for East and South-East Asian Studies (Lund University), quand on utilise l'argument des spécificités nationales, "il devient alors difficile d’apprendre des autres et le changement de cap, même face à des preuves accablantes, devient plus douloureux, voire impossible".