Tony Estanguet, l’homme qui organisa l’événement le plus complexe au monde

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Tony Estanguet, l'homme qui organisa l'événement le plus complexe au monde
(Ph. DKP)

Comment l'organisateur des Jeux Olympiques de Paris 2024 a relevé le défi ultime de l'événementiel.

41 sites de compétition, 15.000 athlètes, 3.376 chauffeurs de bus, 24.000 journalistes, 27.500 agents de sécurité, 136.000 bagages dont 3.454 hors format, 5,2 millions de repas, 384.400 km de fibre optique... N'en jetez plus ! Et surtout, arrêtez de vous plaindre à propos de la préparation de votre séminaire de 22 personnes...

En clôture du dernier congrès des Entreprises du Voyage, le triple champion olympique de canoë devenu maître d'œuvre des JO de Paris 2024 a partagé les coulisses de ce qui est considéré comme "l'événement le plus complexe au monde".

De champion olympique à président exécutif

Le parcours de Tony Estanguet à la tête de Paris 2024 est presque aussi remarquable que sa carrière de sportif. Il n'était initialement pas destiné à présider le comité d'organisation. Comme il l'explique : "Au début, je n'étais pas président. Le premier coup de fil que j'ai reçu venait de Bernard Lapasset, qui à l'époque était un dirigeant français du monde du rugby. Il a eu les bons mots pour me mettre à l'aise, m’aider à trouver ma place."

Mais sa mission première était bien plus ciblée : "Au début, ma responsabilité c'était de donner une représentation sportive au projet, donc de fédérer les athlètes, de leur expliquer pourquoi on allait organiser les jeux." Puis son rôle a évolué : "Ensuite, à l'international, j'étais un peu en charge du lobbying, de voyager pour aller rencontrer les votants pour leur présenter le projet."

Ce n'est qu'en 2018, après avoir fait ses preuves, qu'Estanguet a pris les rênes de l'organisation : "Et c'est vraiment en 2018 que je deviens président du comité d'organisation." Une transition progressive qui lui a permis de se préparer à ce défi colossal.

Les trois piliers du succès selon Estanguet

Pour réussir un événement d'une telle ampleur, Tony Estanguet identifie trois facteurs déterminants qui ont guidé toute sa stratégie.

1. Connaître ses forces pour faire la différence

"Le premier, c'est que pour réussir quelque chose de grand, de très grand, il faut d'abord connaître ses points forts. Qu'est-ce que j'ai que les autres n'ont pas ? Comment est-ce que je peux vraiment faire la différence en offrant une série de moments inoubliables ?"

Pour Paris 2024, l'équipe a identifié trois atouts majeurs à exploiter : le patrimoine exceptionnel de Paris et de la France, la capacité à créer une ambiance festive, et la volonté de donner du sens à ces Jeux en les ancrant dans des défis contemporains (environnement, parité, inclusion).

2. Rester centré sur soi malgré les critiques

"Le deuxième, c'était de rester concentré sur toi. Quand on veut gagner, quand on veut réussir, quand on veut vraiment être audacieux, il faut absolument rester centré sur soi parce que forcément, il y a tout un environnement qui résiste un peu au changement, qui a peur du changement, qui peut être démotivant ou même hostile." Cette philosophie, Estanguet l'a appliquée face au déferlement de critiques qui a accompagné la préparation des Jeux :

"Malgré les critiques, j'y ai toujours cru parce qu'on a quand même toujours eu des signaux forts. Dans les médias on se faisait piétiner mais la réalité c'est que quand on ouvre la billetterie près de deux ans avant les Jeux, on vend 2 millions de places en quelques jours. Le comité olympique n'avait jamais vu ça. Quand on ouvre le programme des volontaires un an avant les Jeux, on nous dit "Vous êtes fous, vous croyez que vous allez faire venir 45.000 personnes sans les payer, qui doivent se débrouiller pour l'hébergement et ainsi de suite ?" On a eu 300.000 candidats en quatre semaines et on a été obligé de dire non aux gens."

3. S'adapter sans compromettre l'ambition

"Et le troisième facteur de succès pour moi, c'était vraiment l'adaptation parce que, entre le moment où on a eu l'obtention des Jeux et leur organisation, c'est à peu près 7 ans et pendant ces 7 ans, il s'est passé beaucoup de choses : le Covid, l'inflation, des guerres, des... dissolutions, enfin plein, plein de choses qui, forcément, ont énormément perturbé notre organisation. Il a fallu s'adapter."

Face aux défis, notamment financiers, Estanguet a imposé une règle d'or à ses équipes : chercher des solutions créatives sans jamais sacrifier l'ambition initiale. "À chaque fois qu'on venait me voir dans mon bureau pour me dire "Bon, là, on a un problème et ça va pas être possible", on s'est imposé de dire "OK, on va faire différemment mais on n'a pas le droit de dégrader le projet"."

La collaboration avec les autorités : un enjeu stratégique

L'un des défis majeurs pour Estanguet a été de coordonner l'action du comité d'organisation avec celle des autorités publiques.

"La difficulté quand on organise les Jeux c'est qu'on a besoin de tout le monde. On a besoin des fédérations françaises internationales. On a besoin des acteurs publics. Donc la ville, le département, la région, tous les ministères qui changent régulièrement", explique-t-il.

Cette instabilité politique a représenté un véritable défi : "Je crois que j'ai eu sept ministres des Sports entre le moment où j'ai commencé à travailler sur les Jeux et la fin des Jeux. Donc à chaque fois, il faut s'habituer, repartir, travailler."

Face aux chaises musicales gouvernementales, il y a la permanence de l'Etat à laquelle Estanguet rend un vibrant hommage : "Au début du projet, j'avais l'impression que les préfets n'étaient là que pour nous freiner, nous dire "non". Mais dans la dernière ligne droite, ce sont eux qui ont tout débloqué, qui ont tout rendu possible. En France, on a un corps préfectoral incroyable".

La gestion mentale ou la minute décisive

L'ancien champion olympique a appliqué les techniques de préparation mentale acquises durant sa carrière sportive à la gestion des Jeux. Il partage notamment sa méthode pour rester efficace sous pression :

"Quand on se projette trop alors que la course n'a pas eu lieu, on se demande déjà "Est-ce que je vais être aussi rapide que mon rival qui vient de passer et qui a mis 3 secondes dans la vue à tout le monde ?" Donc ça rajoute du stress. Comment est-ce que je reviens tout de suite sur moi ? Comment est-ce que je reviens tout de suite dans l'instant ?"

Pour Estanguet, la clé est donc de rester ancré dans le présent : "Le stress, il a souvent lieu quand on se projette dans le passé ou dans le futur, quand on n'est pas là  maintenant et quand il y a un décalage entre ce qu'on devrait faire et ce à quoi on pense. Il faut réussir à casser cette petite musique interne et revenir se centrer sur soi."

En compétition, ça donne ça : "La minute où je suis dans le start pour ma dernière compétition [...] à ce moment-là, tu es bloqué, moi j'étais dans mon canoë, on me tenait le bateau, je pouvais plus m'enfuir. Et dans la minute qui arrive, soit dans la tête tu es conquérant et tu arrives à rester centré sur ce que tu as à faire, à aller chercher toute l'énergie que tu es capable de développer, soit tu subis la pression et tu t'effondres." Il obtiendra là, à Londres, en 2012, sa troisième médaille d'or olympique.

Cette discipline mentale, il l'a maintenue tout au long de l'aventure olympique : "Pendant les Jeux, j'ai continué avec les entraîneurs et préparateurs mentaux avec qui je travaillais quand j'étais sportif. Parce que, finalement, c'étaient un peu les mêmes routines qu'en compétition quand je sentais que c'était en train de m'échapper, que la pression montait très fort. Il y a eu des moments où c'était chaud. Comment revenir sur soi ? Revenir de manière assez objective pour analyser la situation et être dans l'action plutôt que subir ?"

Le facteur humain : la clé ultime

Il rend notamment un hommage appuyé à Bernard Lapasset : "Je pense que sans Bernard Lapasset, on n'aurait pas eu les jeux parce que au début de cette aventure en France, le sport français était très divisé. On sortait de cinq échecs consécutifs. La France a candidaté cinq fois pour obtenir ses Jeux d'été. Cinq fois, on a eu un rejet."

L'ancien champion insiste sur l'importance cruciale du collectif dans cette réussite : "La puissance du facteur collectif et du facteur humain dans l'événementiel, dans le sport... À la fin, on vit des émotions et moi, j'avais un peu sous-estimé ce côté-là."

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