Yanisse Belarbi, depuis dix ans chez Ideal Meetings & Events (IME), en est la directrice générale depuis le départ de Johann Metayer-Claret il y a quelques mois. L’entretien qu’elle nous a accordé est l’occasion de faire le point sur l’activité d’un des leaders français dans l’organisation de séminaires et événements professionnels, racheté en 2017 par le groupe Châteauform’. L’opportunité d’échanger également sur les évolutions en cours sur son marché, et sur des questions aussi essentielles que l’éthique et la transparence dans un environnement hautement concurrentiel. Avec à la clé une proposition, celle de créer une structure rassemblant marketplaces et venue-finders.
Commençons par un bref historique…
Yanisse Belarbi : Sylvain Carpriaux et Fabien Martre ont fondé Ideal Gourmet en 2004. L’entreprise a progressivement basculé vers le btob et développé l’activité séminaires pour finalement abandonner la mention Gourmet en 2015. Elle a été ensuite rachetée à 100% par Châteauform’ (le leader européen de l’accueil du séminaire d’entreprise haut de gamme, ndr), en 2017, devenant l’une de ses filiales tout en conservant une gouvernance opérationnelle autonome. Et nous venons de franchir une nouvelle étape dans le rapprochement avec notre maison-mère, en déménageant notre siège à Saint-Ouen.
Comment présentez-vous votre entreprise ?
Y.B : Certains acteurs du secteur sont classés dans la catégorie venue finders, d’autres dans celle des marketplaces. Mais même les professionnels en arrivent à se demander parfois ce qu’on met précisément derrière ces vocables. Je présente bien souvent notre entreprise comme un courtier événementiel. Nous sommes d’abord un assembleur de prestations. La brique venue-finder pèse lourd, comptant pour 80% de notre activité. 20 à 30% de celle-ci est réalisée avec la réservation sèche d’une salle de séminaire, sans autres prestations qu’un déjeuner et des pauses café. Nous avons beaucoup d’autres briques tels la centralisation des achats, l’accompagnement stratégique autour des politiques MICE et la conduite du changement, la dimension reporting et analyses… Et c’est ce que cherchent les grands groupes qui veulent avoir une vision globale de leurs dépenses MICE.
Comment se porte IME ?
Y.B : Nous avons réalisé quelque 7 000 événements en 2024, contre environ 6 000 l’année précédente. Et nous visons les 8 500 sur l’année en cours. Ce chiffre reste néanmoins très en retrait par rapport à celui de 2019 : nous étions alors montés à 15 000 événements sur l’année.

La concurrence s’est intensifiée ces dernières années…
Y.B : C’est vrai que de nombreux jeunes acteurs sont arrivés sur le marché depuis le Covid. Et c’est positif, cette nouvelle concurrence nous bouscule, nous oblige à nous renouveler. Ces plateformes sont des outils marketing externalisés, avec un fort focus sur la performance. Un hôtel peut y trouver son compte, avec une visibilité qu’il n’aurait pas les moyens de s’offrir. A côté d’eux, nous sommes des dinosaures. Il est clair que notre approche est complètement différente. Notre objectif est d’abord de répondre à un besoin spécifique du client. Et même si nous avons dû nous digitaliser, notre ADN reste l’humain.
Les plateformes full-tech digital font valoir les avantages d’une réponse instantanée…
Y.B : C’est en effet adapté à certaines demandes, y compris chez nous. Mais nous considérons qu’il faut, le plus souvent, un temps pour la négociation, pour vérifier les disponibilités, pour trouver le bon prestataire… Même la location d’une simple salle porte parfois des enjeux importants, comme on le voit avec des Comex par exemple.
Ces plateformes arguent aussi du fait qu’elles font gagner du temps à leurs clients, qu’il est plus facile de faire une réservation d’un lieu aujourd’hui qu’hier, que l’offre est plus conséquente…
Y.B : On gagne peut-être du temps sur la recherche. Mais il existe aujourd’hui une multitude d’hôtels, restaurants et autres lieux événementiels. Comment fait-on le tri ? Il est clair que c’est une vraie force de pouvoir répondre très rapidement à une demande de disponibilité. Mais ce n’est pas le plus compliqué.
On ne doit pas nier non plus le fait qu’un événement n’est pas statique. Le nombre de participants bouge, le nature des services demandés évolue… Un outil ne règle pas tout. Nous sommes dans un métier de rencontre, de relationnel. Un simple coup de fil rassure quand on gère des demandes de dernière minute. La dimension humaine permet bien souvent d’éviter des litiges. Et c’est peut-être pour ça qu’on a vu certains de nos clients partir à la concurrence puis revenir.
Encore et toujours l’expertise humaine…
Y.B : En effet. Et cette expertise passe aussi par la visite des lieux et la rencontre des prestataires par les chefs de projet. En France, nous pouvons compter, outre Saint-Ouen, sur nos bureaux à Lyon et à Bordeaux. Et nous avons gardé notre expertise sur les autres villes où nous avions des bureaux avant le Covid, Montpellier, Nantes, Toulouse, Troyes… Nous nous appuyons aussi sur des experts locaux, par le biais de partenariats avec des hôteliers – dont notamment Accor – et des DMC, des offices du tourisme et des bureaux des congrès.
Vous mentionnez les chefs de projet. Est-ce un métier qui évolue ?
Y.B : Sur la cinquantaine de talents qui travaillent chez IME, une vingtaine sont des chefs de projets. Ils ont un vrai rôle d’intermédiaire, de conseiller et de facilitateur vis-à-vis de nos clients. Leur métier évolue en effet. On peut prendre en exemple la RSE. Nous formons nos équipes sur ces questions, les familiarisons avec une charte des événements éco-responsables. Mais nos chefs de projet ne sont pas les chefs d’orchestre d’un événement sur place. Leur fonction n’est pas celle des chefs de projet dans une agence événementielle.
Des études montrent une grande différence entre le montant du brief initial et la facture finale…
Y.B : Chez nous, il n’y a presque pas de différence, car il y a un gros travail de qualification au départ. Nous faisons entre trois et cinq propositions en fonction du brief. Du coup, nous sommes plus sélectifs et interrogeons moins de fournisseurs. Et notre taux de conversion est beaucoup plus important que chez d’autres. J’ajouterais un mot sur l’IA : elle est de plus en plus utilisée pour des tâches chronophages, notamment d’un point de vue commercial. Mais on n’y a pas recours sur les briefs, cela ne nous aide pas du tout. L’IA nous invente même des lieux imaginaires…
La dimension humaine a un coût. Or, vous annoncez des taux de commission bien moindres que certains autres acteurs du marché…
Y.B : Nous nous inscrivons complètement dans la lignée d’un acteur comme Aleou. Nous touchons aujourd’hui, en moyenne, une commission entre 8 et 10%. C’est la moitié de ce que demandent certains concurrents. Je vais être franche : une forme d’opacité progresse sur notre marché. Et il se pose aujourd’hui une question éthique vis-à-vis des fournisseurs. C’est compliqué de leur demander 15 à 20% de commission quand on connait leurs marges, surtout avec l’augmentation des matières premières et de certaines autres charges. Si l’on veut que notre marché continue de croitre, il faut trouver un bon équilibre. Et c’est là que l’éthique entre en jeu. La notion de commission ne doit pas être un critère de sélection. Chez nous, les objectifs sont « incentivés » sur le niveau de satisfaction des clients. La démarche est complètement différente.
Vous revenez encore sur les questions d’éthique…
Y.B : Je rappelle d’abord que l’éthique des affaires fait aussi partie de la dimension RSE. Et sur ce sujet comme sur d’autres, il va falloir que l’on se parle davantage entre confrères, qu’on se demande quelles décisions on peut prendre ensemble. Si l’on se compare au Travel, le MICE est encore trop peu représenté. Il nous faudrait une association de type LEVENEMENT, rassemblant les venue-finders et marketplaces. Cela nous permettrait d’aborder des sujets aussi divers que les appels d’offres. Une telle structure serait aussi un lieu d’échange avec les clients et les fournisseurs, un espace où l’on peut mieux saisir la réalité de notre marché.
Les appels d’offres semblent donc poser aussi un problème…
Y.B : Autrefois, on gagnait des clients notamment par le biais des rencontres, des échanges plus ou moins formels, des rendez-vous. Aujourd’hui, cela passe de plus en plus par les appels d’offres. Dans ce cadre, il nous arrive de devoir répondre à un certain nombre de cas pratiques. Et c’est là que certains de nos confrères ne jouent pas forcément le jeu. Ils questionnent par exemple des fournisseurs sur des périodes où leurs tarifs sont bas, et les présentent comme ceux appliqués dans les périodes où ils sont plus élevés. On se doit de gagner les appels d’offres à la loyale.
Châteauform’ s’est conçue dès sa création comme une entreprise humaniste, ayant adopté il y a deux ans le statut de société à mission…
Y.B : Et ce n’est pas un hasard si notre maison-mère nous a choisi, elle cherchait le venue-finder qui lui semblait le plus en lien avec ses valeurs et son éthique. Notre rapprochement traduit une vision commune du marché. Il répond aussi à une démarche de consolidation qui entend inclure un courtier événementiel. Mais Châteauform’, en tant qu’expert sur son activité, n’a bien sûr pas besoin d’IME pour organiser un séminaire. Et si nous distribuons l’ensemble de ses « maisons », la commercialisation de celles-ci ne représentent que 2% de notre activité.
Notre rapprochement s’est inscrit également dans une volonté de Châteauform’ de soutenir notre déploiement ailleurs en Europe, et notamment dans les pays frontaliers. Les entreprises, dans le cadre de leur démarche RSE, cherchent notamment des destinations accessibles en train. Et c’est le cas par exemple de l’Allemagne où notre maison-mère a clairement une expertise qui nous aide à mieux comprendre ce marché.
Sous quel signe placez-vous l’année 2025 ?
YB : Nous la plaçons sous le signe de la prudence. Ce qui ne veut pas dire que l’on anticipe une baisse de l’activité. Les tendances actuelles invitent même à l’optimisme. Ainsi, nous sommes repartis sur une croissance forte, même s’il est difficile d’être dans l’anticipation. Notre mois d’avril est complètement différent de notre mois de janvier. Mais paradoxalement, c’est peut-être dans l’actuel contexte pour le moins compliqué que les gens ont le plus besoin de se retrouver. Et nous sommes là aussi pour faire réaliser des économies aux entreprises. A plus long terme, je suis très confiante dans l’évolution du marché du MICE.
Pensez-vous que les entreprises souhaitent réduire le nombre de leurs interlocuteurs ?
Y.B : Les intermédiaires ne manquent pas en effet, entre venue-finders, marketplaces, agences événementielles, agences de voyages, TMC… Mais je ne pense pas que les entreprises cherchent absolument à réduire le nombre de leurs interlocuteurs. En revanche, je suis convaincue que les annonceurs veulent de la transparence, qu’on soit très au clair sur ce qu’on facture, pour quels services et quelles prestations. Les entreprises veulent payer le juste prix.
Avec combien de prestataires travaillez-vous ?
Y.B : Dans notre base de données, nous avons 20 000 références en France, 50 000 si l’on inclut l’international, soit la totalité des prestataires événementiels qui existent sur le marché, que ce soit des lieux, des traiteurs, des spécialistes du team-building, des prestataires techniques. Bien sûr, il y en a beaucoup avec lesquelles nous travaillons rarement, voire jamais.
Parmi ces références, nous avons un panel de 5 000 partenaires avec lesquels nous avons des accords de distribution. Ceux-ci comptent pour 70% de notre volume d’activité. C’est le client qui décide. S’il n’est pas content de notre première sélection, nous élargissons le catalogue. Il faut préciser que nous sommes très contraints par la conformité des lieux. Il y a beaucoup de sujets autour des ERP (établissements recevant du public, ndr) qui induisent des questions d’assurances et de sécurité. Ces questions constituent l’un de nos critères de sélection majeur.
Comment percevez-vous la demande aujourd’hui sur le meeting & event ?
Y.B : Les entreprises ont un objectif clair, celui de motiver le collectif, de renforcer la cohésion d’équipe. On peut ainsi observer, dans les requêtes aujourd’hui, une demande pour des séminaires expérienciels et inspirants dont lesquels vont s’inscrire les team-buildings. Autre constat, le local-local se développe beaucoup, les événements sont organisés moins loin. On entend aussi parler d’un coup d’accélérateur des séminaires au vert. La demande pour ce type d’offre progresse mais ça date déjà d’un certain temps, on ne perçoit pas un coup de booster particulier en ce moment.
Comment faites-vous pour dynamiser votre activité ? Est-ce important d’être présent sur les salons spécialisés ?
Y.B : On y va davantage en tant que visiteur, plutôt pour étoffer notre base de données fournisseurs et prendre le pouls du marché. Il nous arrive aussi d’aller sur des salons avec nos clients, comme c’était le cas récemment encore à Heavent Cannes. Pour booster notre activité, nous nous employons à améliorer les relations avec nos clients, à être au maximum au contact avec eux. Et c’est aussi pour ça que nous sommes partenaires de la GBTA.