Amadeus : « A propos de NDC, il y a une bascule psychologique »

0
815
Amadeus :

NDC est le sujet du moment en termes de distribution. Amadeus est, en Europe, l' acteur majeur du sujet. Pas besoin de beaucoup d'imagination pour trouver un intérêt à interviewer Bertrand Poey, DG France de ce GDS historique.

Il semblerait qu’au niveau global et depuis quelques mois, les choses s’accélèrent sur NDC… Qu'en pensez-vous ?

Bertrand Poey : J’aimerais tout d’abord lever une ambiguïté concernant l’opposition GDS/NDC. Quand on parle de GDS, on parle souvent de l‘ancien protocole Edifact mais pas des GDS en tant qu’entreprises. Je ne vais pas parler pour mes concurrents mais pour Amadeus, la situation est la suivante : on travaille sur NDC depuis très longtemps. Pour les compagnies aériennes, avec Altea NDC qui héberge leur contenu, et pour les agences. A ce titre, on offre aux agences le contenu de 20 compagnies en France - aussi bien via GDS que NDC.

Oui, bien sûr, les GDS historiques fournissent du NDC. Vous êtes comme ce buraliste qui, constatant les politiques anti-tabac gouvernementales, se met à vendre des vapoteuses. Puisque vous fournissez les contenus GDS et NDC d’une même compagnie, concrètement, est-ce sur une même page ?

Le buraliste et les vapoteuses, ça peut être une comparaison, effectivement. Et oui, c’est sur une même page. C’est pour ça que du côté des agences, il doit y avoir une nouvelle approche : on passe d’un monde cryptique de plus de trois décennies à un autre monde, graphique. Si on veut avoir sur un même écran du contenu NDC, Edifact, du lowcost, il faut faire la bascule. Autre avantage : beaucoup d’agences expriment des difficultés de recrutement, or l’outil graphique nécessite une formation des agents rapide parce que l'outil est plus proche de ce que les gens ont l’habitude de côtoyer dans un contexte BtoC. Je précise bien sûr que la valeur de l’agent de voyage reste nécessaire pour toutes les fonctionnalités après-vente.

Justement, ces opérations aftersale, c’est notamment là que le bât blesse avec NDC…

Je parle pour Amadeus… Aujourd'hui on peut faire une modification, du remboursement, une annulation… On peut tout faire. Mais il est vrai que ça dépend aussi du degré d’implication des compagnies. Par exemple, le standard définissant les fonctionnalités d’après-vente sont aujourd’hui à la version 19.2… Et beaucoup de compagnies en sont encore à la version 17.2. Donc ce n’est pas encore mature à 100%, soyons honnêtes. Mais aujourd'hui, en France, une agence qui veut vendre à la fois sur Edifact et NDC, elle peut le faire pour 20 compagnies, comme je le disais : Air France-KLM, American Airlines, Finnair, Iberia, LOT, les compagnies de Lufthansa Group, Qantas, Qatar Airways, Singapore Airlines, British Airways depuis peu.

Oui mais elles ne semblent pas pressées le faire, ces TMC…

Il y de a la résistance au changement due à la crainte de la nouveauté - c’est humain, et aussi à cause du passage du cryptique au graphique. Mais je veux rassurer encore une fois. On travaille avec des agences, on fait du hand holding et à l’issue de ces sessions d’accompagnement, les agents reconnaissent tous la simplicité d’utilisation. 

Reste que NDC, c’est le choix des compagnies et une source de revenus pour les agrégateurs.  Les SBT et les TMC ne sont a priori pas plus résistants au changement qu’Amadeus. C’est peut être aussi un problème d’argent, non ?

C’est vrai, mais c’est toujours de la résistance au changement… concernant le modèle économique.

Et les investissements induits…

C’est vrai aussi. Tout changement nécessite des investissements, ne serait-ce que pour former les équipes. C’est pour ça qu'Amadeus essaye de faire quelque chose de simple pour réduire ces coûts. A propos de l’impact sur l’écosystème tech… Comme l’outil Amadeus est un outil unique, que ce soit Edifact ou NDC, ça ne change rien : c’est toujours un PNR intégré dans le mid-backoffice via le même AIR (Amadeus Interface Report, le message comptable, ndr), quel que soit le mid-backoffice, avec la même récupération de profils. On a fait en sorte que l’écosystème reste inchangé. 

Même si on n’est pas sur Cytric, le SBT d'Amadeus ?

Si on est sur Cytric, c’est totalement transparent de bout en bout . On travaille avec les autres SBT pour qu’ils intègrent notre NDC X de façon à générer un PNR exactement comme dans Edifact. Une fois que tous les SBT seront prêts sur notre technologie, il y aura, aussi bien pour la TMC que pour l'entreprise cliente, une totale transparence. Donc le coût du changement pour une agence est vraiment limité.

Et le modèle économique des TMC ?

Amadeus a fait le choix de maintenir son modèle historique où on se rémunère sur les compagnies aériennes, contrairement à d’autres agrégateurs où ce sont les agences qui payent pour accéder au contenu NDC.

Mais les GDS Edifact étaient une source de revenus pour les agences, ils deviennent, avec NDC, un coût !

Le modèle évolue, c’est indéniable, insufflé par compagnies aériennes, c’est leur choix et je n’ai pas à le commenter. Est-ce que ça va devenir un coût pour les TMC ? Pas évident...

Pour celles qui resteront sur Edifact, c’est évident : les surcharges…

Oui, envisagé de cette façon, c’est sûr. J’en profite pour souligner que la surcharge GDS, ce sont les compagnies qui l’instaurent, pas les GDS en tant qu’entreprises. Je le dis car j’ai déjà pu lire “surcharge Amadeus”. Pas dans DeplacementsPros, je le précise ! Mais pour ceux qui adoptent NDC... Je répète : chez Amadeus, on fait tout pour que ça ne soit pas le cas : il n’y a pas de surcoût lié à une réservation NDC, mais il est vrai que ce n’est pas forcément le cas pour d’autres agrégateurs..

Mais si les compagnies font le choix NDC, c’est bien, entre autres, pour réduire leurs coûts de distribution et…

Vous faites un statement et vous me demandez mon avis mais je n’ai pas à commenter le choix des compagnies !

Non : je fais un statement sans vous demander votre avis mais en vous demandant si vous allez, en toute logique, gagner moins d’argent avec NDC qu’Edifact…

Pareil, pas de commentaires : ce sont des accords bilatéraux avec les compagnies qui sont confidentiels.

Mais forcément ! Sinon, quel intérêt pour les compagnies ?

Vous en ferez l’analyse qui vous semble la bonne… En tout cas, en nous faisant rémunérer par les compagnies, nous faisons le pari difficile mais courageux de répondre à leurs attentes tout en protégeant les agences de voyage et leur modèle.

Mais le vôtre change… Ne serait-ce que parce que vous passez d’une situation oligopolistique (Edifact) à une pluralité d’acteurs avec NDC…

Tout changement crée des opportunités pour de nouveaux acteurs. Après, il faut voir dans le temps. Concernant Amadeus, notre niveau d’investissement en R&D sur le deuxième semestre 22, s’élève à 500 millions - pas que sur NDC, mais ça donne une idée de ce que ça implique comme investissements pour nous, car le standard continue d’évoluer rapidement avec une grande hétérogénéité, même entre compagnies d’un même groupe - Iberia et BA, par exemple… Pour ces nouveaux acteurs, la réservation, ok, mais la complexité de l’aftersale notamment, c’est moins évident. Donc il va y avoir un juge de paix à un moment.

Vous avez l’avantage de l’expérience, ils ont celui de l’agilité…

C’est vrai, il y a peut-être des acteurs plus agiles qui ont d’ailleurs fait de grandes annonces très précoces du type "40 compagnies intégrées"... Je crois qu’il faut vraiment regarder dans le détail les fonctionnalités couvertes, la capacité à s’intégrer avec les autres et la pérennité du service "support" sur le long terme. Car ça, c’est une industrie dans l’industrie. 

Quels sont les développements NDC prévus cette année pour Amadeus ?

Quatre essentiellement. D’abord, on travaille sur la possibilité de pouvoir totalement mixer dans un même PNR tout le contenu disponible - un aller Edifact et un retour NDC, par exemple. C’est en test. Ensuite, on doit intégrer une dizaine de compagnies aériennes supplémentaires. De plus, on a une roadmap ambitieuse avec des acteurs SBT pour assurer la compatibilité. Et enfin, on poursuit notre travail en commun avec les grosses TMC.

Je repose ma première question : avez-vous l’impression que les choses s’accélèrent ?

On aurait pu craindre que le nouveau report de la surcharge d’AF soit un prétexte à l’attentisme. Ça n'est pas le cas. On a aujourd'hui 85% des agences en France connectés - certes, le nombre de transactions NDC reste très faible, mais il progresse. Mais ce que je regarde le plus attentivement, c’est le nombre d’agents qui viennent à nos formations. Et il y a eu un vrai tournant en décembre-janvier dernier : une sorte de bascule où on est passé d’une fréquentation avec des pics erratiques à des sessions qui sont désormais, systématiquement, full. Et ça, c’est très signifiant. Il y a incontestablement une dynamique et, je pense, une bascule psychologique. Encore en 2022, à l’approche des échéances "surcharges" d''Air France, on ressentait une certaine panique. Elle a quasi disparu. S’il y a un vrai shift cette année, on le verra en septembre-octobre.

Une bascule psychologique,vcertes, mais y aura-t-il une bascule technologique “tout NDC” ?

On est encore dans une phase de transition. Dans notre système Amadeus, nous avons actuellement 400 compagnies aériennes connectées. Cela signifie qu'il y en a encore 380 qui ne sont disponibles que par le biais d’Edifact, et qui, pour un grand nombre d'entre elles, ne le seront jamais sur NDC. Le jour où NDC sera généralisé n’est pas venu et il ne viendra jamais : il y aura coexistence des deux systèmes.