Cédric Lefort, Senior Director Solution Consulting Globale de la TMC basée à Utrecht (Pays-Bas) nous a accordé un entretien, dans le cadre de la dernière conférence GBTA Europe. L’occasion de passer en revue les outils développés par la société de gestion des voyages d’affaires – SolutionSource, BCD Pay, BCD Alert… – ainsi que GetGoing, une offre d’agence de voyages en ligne surtout dédiée aux PME-PMI, en cours de test et qui sera lancée en juin prochain.

TripActions bouleverse l’écosystème du voyage d’affaires…
Cédric Lefort : Les cartes sont en effet rebattues aujourd’hui, au niveau des TMC. Et TripActions arrive avec un modèle très orienté utilisateur et technologie. Ils nous voient d’ailleurs un peu comme des dinosaures, ce qui n’est pas la réalité. C’est vrai que l’expérience utilisateur est fondamentale. Les voyageurs sont des consommateurs avertis. Ils savent réserver eux-mêmes un voyage. Et ils espèrent avoir un écosystème unique pour l’avant, pendant et après le déplacement.

Autre constat, les TMC d’une manière générale se focalisent sur les moyens et grands comptes. Elles se les partagent. Certaines d’entre elles travaillent avec les mêmes agences depuis déjà très longtemps, même s’il y a bien sûr des appels d’offres. Les PME, la cible de TripActions, constituent en revanche une vraie niche, un segment de marché depuis déjà longtemps un peu trop délaissé. On peut aisément le comprendre : elles représentent 95% des entreprises en France.

Nous avons donc développé une solution qui leur est surtout dédiée, du moins pour l’instant, GetGoing (du nom d’une entreprise technologique basée à San Francisco, rachetée par BCD en 2016, ndr). Cette nouvelle offre d’agence de voyages en ligne est en train d’être testée, et devrait être lancée en juin prochain. Il s’agit d’un outil de réservation couplé à un outil de gestion de notes de frais et un outil de reporting intégré. Une offre indépendante de BCD pour ne pas créer de confusion. Ainsi, en fonction des cibles, nous allons orienter plutôt vers une offre BCD standard ou vers cette nouvelle offre.

Votre offre standard s’inscrit dans une logique de sur-mesure…
Nous nous adaptons en effet aux besoins des clients en quête d’un service plutôt sur mesure, à la fois sur la technologie et le service, lequel reste le cœur de notre valeur ajoutée. Cela explique notre panel assez large de partenaires, y compris ceux de notre marketplace SolutionSource. Cette sorte d’Apple Store existe depuis quatre ans, et compte déjà 25 partenaires. Et une cinquantaine d’autres sociétés postulent pour en faire partie. Il s’agit d’un catalogue ouvert. Mais nous procédons à une certification de ces partenaires, afin de nous assurer de leur stabilité, des problématiques légales d’échanges de données, des temps de mises en place de leurs solutions… Mais le contrat reste entre le client et la société, nous sommes juste un apporteur d’affaires.

Qui trouve-t-on dans cette marketplace ?
Les nouvelles entreprises de technologie sont nombreuses, des start-ups mais pas seulement, qui apportent une vraie valeur ajoutée aux programmes voyages, avec un champs d’activité très large. Nous pouvons ainsi conseiller à nos clients des solutions pour améliorer leurs moyens de paiement et la sécurité des voyageurs, pour faire du recouvrement automatisé de TVA, pour aider au développement durable…

Nous sommes des agents de voyages, pas des développeurs. Pourquoi ne pas aller chercher la compétence là où elle existe. Et nous offrons ainsi à ces entreprises une visibilité auprès de tous les clients BCD dans le monde. Un exemple, la petite société française Hubtobee qui a intégré notre marketplace par le biais de notre client Safran et profite d’une exposition mondiale. Je citerais aussi Fairfly pour l’optimisation tarifaire sur l’aérien, ou TripBam pour l’optimisation tarifaire sur l’hôtellerie.

Vous êtes aussi partenaire de Blue dot (ex VATBox) qui permet de recouvrir la TVA…
Cette solution garantit la conformité et maximise la récupération de la TVA, surtout sur les réservations hôtelières et locations de voitures. Chaque année, sur les 8 milliards de dollars pouvant potentiellement être recouvrés en matière de TVA lié au voyage d’affaires, seuls 3 milliards le sont ! Les process, bien que davantage automatisés qu’auparavant, restent complexes pour les entreprises qui n’ont pas toujours le temps de s’en occuper. Quand elles n’ignorent pas qu’elles peuvent le faire !

La digitalisation semble prendre une place sans cesse croissante dans l’activité des TMC…
Notre rôle reste toujours et en priorité l’accompagnement, notamment sur les voyages les plus compliqués, pour gérer des événements inattendus voire des situations de crise. Mais nous devons considérer l’expérience utilisateur dans sa globalité, soit le déplacement avant, pendant et après le voyage. C’est là où l’agence apporte sa valeur ajoutée. Et la technologie ne peut pas aider dans toutes les situations.

Compliqué dès lors de ne baser sa rémunération que sur les transactions…
Il existe d’autres modèles, les management fees ou subscription fees. Ce dernier a l’avantage d’assurer une pérennité financière. Il n’est d’ailleurs pas nouveau. Nous payons bien un abonnement au téléphone, que nous l’utilisions plus ou moins, voire pas du tout. Et ce modèle est déjà un peu en place dans le voyage d’affaires, en termes de service et de conseil notamment. Heureusement que nous ne vivons pas que de la transaction.

Un concept nous vient des Etats-Unis, le BYO pour Build Your Own (Travel Program) où l’entreprise ne collabore pas exclusivement avec la TMC…
C’est déjà en partie le cas. Mais ce concept pose quand même quelques sérieuses questions. Comment vais-je gérer les données en termes de sécurité ? Comment vais-je tracer les collaborateurs en déplacement pour assurer leur sécurité et le reporting ? Un voyageur qui passe en direct va par exemple utiliser l’outil de réservation de l’hôtel puis payer avec sa carte… Cela multiplie les canaux de réservation. Et cela complexifie l’expérience utilisateur. Or, le voyageur souhaite aujourd’hui que l’offre soit simple, personnalisé et digitalisé. Et qu’il puisse tout faire via son mobile.

La TMC reste au centre du jeu. Le format NDC est un autre bon exemple. Les compagnies aériennes souhaiteraient se passer des GDS. Et nous devons offrir les contenus via des canaux préférentiels. Mais cela suppose du développement. Et cela prend du temps. Notre valeur ajoutée sur le NDC ? Nous consolidons l’information. Nous avons la possibilité, dans un environnement off-line et on-line, d’aller offrir l’intégralité des offres NDC, de capturer la donnée pour la sécurité et le reporting.

Revenons à vos nouveaux produits !
La période de crise sanitaire a été propice à accélérer sur le développement de certains produits, et à freiner sur d’autres… Il a fallu faire des choix. La sécurité des voyageurs a toujours été un point important. Elle est devenue une priorité. Les acteurs du marché attendent des TMC qu’elles soient beaucoup plus réactives, qu’elles anticipent davantage. Notre objectif est d’aider les société et travel managers à mieux suivre l’activité des voyageurs, savoir où ils se trouvent, quel est le niveau du risque, comment donner les bonnes informations en cas de problème… BCD Alert, notre nouvelle solution mobile, disponible depuis environ deux mois, est une sorte de solutions miroir à une offre déjà proposée sur le web, pour laquelle nous avons noué un partenariat avec une entreprise qui nous fournit de l’information.

Vous lancez également BCD Pay cette année…
Nous avons aussi travaillé sur les problématiques de paiement et de facturation. Une nouvelle plateforme est en effet testé actuellement aux Etats-Unis, et devrait être déployé en Europe cette année. BCD Pay propose une suite de solutions que l’on adopte ou pas en fonction de ses besoins. Nous pouvons par exemple paramétrer des seuils avec nos clients et fixer une limite de dépenses, utiliser le mobile pour payer avec un montant dédié pour le voyageur, réconcilier les factures et alimenter les systèmes comptables des clients.

Quid de vos autres produits ?
Nous essayons d’identifier des secteurs d’activité spécifiques, sur lesquels nous sommes plutôt bon, tels des sociétés de médias, bancaires, minières ou pétrolières. Et nous répondons à leurs besoins spécifiques avec des produits dédiés, tels Centricity pour les entreprises opérant dans les secteurs de la pharmacie et des sciences de la vie. Nous sommes également en phase de test et prévoyons de déployer au deuxième semestre une plateforme baptisée Guest Travel Manager, une solution de gestion pour le personnel externe (consultants, étudiants, stagiaires…) qui n’est pas contractuel mais peut être aussi amené à voyager.

On nous dit aujourd’hui qu’on va voyager moins mais mieux…
Le mieux c’est tout ce que l’industrie essaye de proposer en termes d’accompagnement voyageur, soit des applis faciles à utiliser, une meilleure gestion de la sécurité, des moyens de paiement virtualisés… Personnellement, je dirais plutôt qu’on va voyager différemment. Les déplacements vont être plus longs. Les voyageurs vont en effet souhaiter combiner plusieurs réunions et rendez-vous. Et les voyages liés à des problématiques internes – environ un voyage sur deux – seront les premiers remplacés par des visioconférences. Mais on se rend compte dans le même temps de l’importance majeure de l’interaction humaine. On ne pourra pas s’en affranchir. Et c’est tant mieux pour nous. Bref, il y aura peut-être moins de transactions, mais cela ne veut pas dire obligatoirement moins de revenus.

La notion de voyage essentiel peut donc aller jusqu’à recommander de ne pas voyager…
Nous jouons notre rôle de conseil. C’est aussi un moyen de fidéliser un client, de lui montrer notre valeur ajoutée. Surtout si nous sommes en mesure de proposer une solution alternative. Sur l’écran de réservation, nous demandons déjà pour quelle raison l’on voyage, combien l’on est à se déplacer, où l’on va et si l’on a éventuellement considéré aussi la visio.

Difficile de séparer cette notion de voyage essentiel des problématiques durables…
En effet. Et la technologie peut aussi contribuer à influencer les comportements d’achats. Cela peut aller du conseil d’utiliser telle route aérienne plutôt qu’une autre, de privilégier telle compagnie aérienne dont la flotte est plus récente… Nous travaillons donc sur deux axes, la technologie bien sûr, avec des outils utilisant l’intelligence artificielle, mais aussi et surtout l’activité de conseil. Notre agence Advito est ainsi spécialisée dans les études aériennes. Elle peut recommander à un client d’utiliser tel programme, telle compagnie aérienne, telle route… Nous allons ensuite inclure ces éléments dans notre OBT. Ce n’est pas encore automatisé mais cela peut aller très vite.

Vous parliez de certains outils utilisant l’intelligence artificielle…
Oui en effet, les outils de reporting notamment. L’IA nous aide à réaliser des analyses prédictives, à réutiliser les données passées, à considérer le changement pour réaliser des économies, à réfléchir à l’impact que peut avoir une modification de la politique voyage. Elle doit aider l’agent de voyages dans sa relation avec son interlocuteur, afin non pas seulement de décliner son identité et de lui demander ce qu’il veut faire, mais d’anticiper son besoin, de lui délivrer des conseils utiles et de gérer l’imprévu. Et nous utilisons aussi l’identité voyageur, afin de disposer d’un historique de données en plus d’un profil. Avec en ligne de mire, in fine, le bien-être du voyageur.