La rémunération des professionnels du voyage d'affaires connaît une hausse constante outre-Atlantique, témoignant d'une valorisation croissante de cette fonction considérée comme hautement stratégique.
144.599 $ annuels (environ 133.800 €). Voilà le package moyen d'un travel manager américain en 2024, selon la dernière enquête annuelle de Business Travel News (BTN). Cette étude, menée auprès de 296 gestionnaires de voyages et responsables de ces achats (notons que la distinction n'apparaît pas, ce qui constitue une limite), révèle une augmentation de 2,5% par rapport à l'année précédente et une impressionnante progression de 32% depuis 2020. Un chiffre qui fait rêver et qui témoigne de la montée en puissance d'une fonction de plus en plus stratégique dans l'écosystème corporate.
Une progression qui défie la crise
Quatrième année consécutive de hausse pour les architectes du voyage d'affaires. Si la progression de 2,5% ne suit pas tout à fait l'inflation (2,6%), elle consolide les gains spectaculaires des années précédentes. Dans un secteur qui a connu des années de vaches maigres avant la pandémie, cette reconnaissance financière sonne comme une revanche.
Le secret de cette valorisation ? Un cocktail détonnant : marché du travail tendu, économie résiliente et, surtout, prise de conscience par les directions que la gestion des déplacements n'est plus une simple fonction support mais un levier stratégique. Résultat : 74% des professionnels ont vu leur rémunération grimper entre 2023 et 2024.
Le sexe, le budget et l'adresse font la différence
L'enquête révèle des disparités criantes. Un homme empoche en moyenne 161.476 $ (149.500 €) quand une femme doit se contenter de 139.950 $ (129.600 €). Pour chaque dollar masculin, seulement 87 cents féminins - un recul par rapport aux 89 cents de l'an dernier.
Mais, concernant cette inégalité, il y a ce biais qui s'impose : gérer un programme dépassant 100 millions de dollars annuels peut propulser le salaire à près de 190.000 $ (175.900 €). Or, dans ce club très select, les femmes ne représentent que 61% des effectifs, contre 88% dans les programmes inférieurs à 3 millions.
Côté géographie, travailler à New York ou Washington rapporte gros : 164.500 $ (152.300 €) en moyenne dans la région de la côte Est (New York, New Jersey, Philadelphie, Washington DC), qui détrône la Californie au palmarès des territoires les plus généreux.
MICE : extension du domaine de compétence
L'un des changements notables dans l'enquête BTN de cette année est l'augmentation significative des travel managers impliqués dans la gestion des réunions et événements. Environ 48% des participants déclarent désormais négocier des tarifs pour les réunions, contre 40% l'année dernière, et 39% indiquent sélectionner ou recommander des installations et des destinations pour ces événements, contre 34% précédemment.
Plusieurs répondants citent d'ailleurs le MICE comme l'un des plus grands changements dans leur travail au cours des 12 derniers mois. Un participant mentionne être "davantage concentré sur la capture des dépenses liées aux réunions et aux unités commerciales", tandis qu'un autre indique "mettre en œuvre un système de gestion des réunions et une politique de réunions".
Cette tendance reflète une évolution des structures organisationnelles où les travel managers voient leur périmètre s'étendre, ajoutant une couche supplémentaire de complexité à un rôle déjà multifacette. Un élargissement qui témoigne aussi de la reconnaissance de leurs compétences en matière de négociation et de gestion de fournisseurs, transférables du voyage individuel à l'événementiel.
La malédiction de l'excellence invisible
"Quand vous faites bien votre travail, tout semble simple et la direction pense que c'est administratif," confie, désabusé, un répondant à l'enquête BTN. Voilà résumé en une phrase le drame existentiel du travel manager : son excellence le condamne à l'invisibilité.
Paradoxe cruel : plus les voyages se déroulent sans accroc, plus les budgets sont optimisés, moins son expertise est perceptible. La perfection s'efface derrière une apparente banalité. Qui s'extasie devant un vol à l'heure ou un hôtel bien négocié ? Personne.
Cette quête de reconnaissance se heurte au mur de l'innovation technologique. La NDC, ce casse-tête de la distribution aérienne, déferle avec son lot de complexités que seuls les initiés peuvent déchiffrer. "La NDC rend les réservations aériennes compliquées," se lamente un professionnel. "Personne en dehors de l'industrie ne comprend les défis que cela représente." Pendant ce temps, l'intelligence artificielle promet de révolutionner l'analyse des données voyages, exigeant encore de nouvelles compétences de ces équilibristes de l'ombre.
Le syndrome du millionnaire insatisfait
Le travel manager américain serait-il atteint du syndrome du millionnaire malheureux ? Avec ses 144.599 $ annuels, il pourrait sembler mal placé pour se plaindre. Et pourtant... L'enquête révèle un malaise persistant : 28% des répondants estiment ne pas être reconnus à leur juste valeur, tandis que 41% jugent leur rémunération insuffisante au regard de leurs responsabilités.
Comment expliquer ce paradoxe ? Sans doute, par ce qu'on appelle plus haut "la malédiction de l'excellence invisible" : l'écart grandissant entre l'expansion des compétences requises et la perception qu'en ont les directions. Quand on jongle simultanément avec la NDC, l'IA, le MICE et la sécurité des voyageurs, même 190.000 $ peuvent sembler une compensation modeste.
Malgré ces frustrations, la fidélité l'emporte : 64% des professionnels se projettent toujours chez le même employeur dans deux ans. Car au-delà des dollars, c'est bien l'adrénaline du défi permanent et la satisfaction d'orchestrer la mobilité de milliers de collaborateurs qui, apparemment, continuent de faire vibrer ces passionnés de l'ombre.