[EDITO] Vous avez dit « consolidation » ? Concentrez-vous !

0
208
[EDITO] Vous avez dit
(Ph. AdobeStock)

CON-SO-LI-DA-TION. C’est - sans qu’on l’ait vérifié, par pure intuition - certainement l’une des occurrences les plus fréquentes de la presse économique et professionnelle, incluant DeplacementsPros. C’est bien, “consolidation”, comme terme. Mais il n’est pas sans poser problème… 

Quand j'étais étudiant (c’était, certes, en des temps reculés où l’échange monétaire venait tout juste de se substituer au troc), mes chers professeurs d’économie, Jean-Paul Fitoussi et Jacques Généreux, aussi éloignés fussent-ils, n'employaient jamais le mot "consolidation". On parlait alors, pour les mêmes phénomènes de fusion-acquisition, de “concentration”.

“Concentration”, c’était bien aussi, comme terme. Mieux, en fait. 

Déjà, le terme “concentration” s’accompagnait volontiers d’un épithète - “horizontale” (Coca achète Pepsi) ou verticale (Coca achète un fabricant de bouteilles) - qui rendait plus concrète et signifiante l’opération dont on parlait.

Mieux, surtout, parce que le terme “concentration” est neutre quand “consolidation” est indubitablement mélioratif : il décrit un processus et le commente dans le même temps en disant : “c’est bien”. 

Dans nos colonnes, on a récemment relayé un propos de Willie Walsh (patron de l’IATA) considérant que “la consolidation de l’aérien européen (était) une bonne chose”. Au Grand Live du Voyage d’Affaires, il y a deux semaines, Morgann Lesné, de Cambon & Partners, voyait dans la consolidation le symptôme d’un marché “en bonne santé”.

Tautologie, redondance, pléonasme. Car oui, c’est sûr, la consolidation, c’est bien et - attention : SCOOP ! - c’est même bien mieux que son contraire : la fragilisation. On essaye pour voir ? Willie Walsh : “la fragilisation de l’aérien européen est une bonne chose”... Non, ça marche pas.

Pourtant, lors du Grand Live du Voyage d’Affaires déjà cité, Christian Sabbagh (CEO de Travelsoft, propriétaire de DeplacementsPros) déclarait - recueillant alors l’approbation du panel présent sur le plateau - que “dans un processus de consolidation, 1+1 (pouvait) égaler 1,5, voire 0,8”. Dans ce cas, comment diable parler de “consolidation” ?

“Concentration” est neutre, “consolidation” est mélioratif. “Concentration” est descriptif, “consolidation” est appréciatif. Autrement dit, “consolidation” est un terme idéologique. Ce n’est pas un gros mot, “idéologique”, les vocables les plus bénins peuvent d’ailleurs être qualifiés comme tels. Prenez le simple mot “charges”, par exemple. Ça ne mange pas de pain, “charges”. Eh bien quand on lui accole les adjectifs “patronales” ou “sociales”, en lieu et place de “cotisations patronales” ou “cotisations sociales”, tout de suite, ça prend une autre couleur. Idéologique.

Et parce que “consolidation” implique que la concentration de l’offre sur un marché est forcément une bonne chose si le marché le décide, c’est un terme idéologiquement libéral. Et comme il est employé dès lors qu’il y a acquisition, avant même le crible des autorités de la concurrence, on peut même le qualifier d’ultra-libéral : une croyance dans les forces autorégulatrices du marché, pouvant se dispenser de l'intervention d'une force tierce (la loi, par exemple). 

Ce n’est pas grave que “consolidation” soit idéologiquement marqué. Faut juste le savoir. Mais le pire dans cette histoire, c’est que, soumis à la standardisation du vocabulaire médiatique imposé par Internet (via la SEO), DeplacementsPros continuera d'employer ce terme dont l’incrimination vient pourtant de nous coûter la rédaction de plus de 500 mots. Victoire totale de l’idéologie dominante, dont je me consolerai d'un bon lait consolidé sucré.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici