Eric Ritter (VoyagExpert) : “Les TMC françaises : dynamiques; les airlines : schizophréniques » 

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VoyagExpert vient d'annoncer le lancement d'une nouvelle fonctionnalité offline développée en collaboration avec SAP Concur et sa liaison directe avec le NDC de la Luft. L'occasion pour son CEO Eric Ritter de lancer un "Cocorico" et d'évoquer les liaisons tendues entre agences et compagnies aériennes.

On a pu récemment voir le nom de VoyagExpert dans des communiqués du groupe Luthansa et de SAP Concur… Une forme de consécration ?

Eric Ritter : En tout cas, on est fier d’avoir collaboré avec ces deux belles entreprises du voyage. Pour SAP Concur, ce n’est pas nouveau, c’est d’ailleurs pour notre expertise de leur technlogie qu’ils nous ont choisis comme agence pilote pour développer un outil de gestion des réservations offline. Quant à LH (Lufthansa Group, ndr), le groupe nous a ouvert son NDC et nous avons développé l’API pour nous y plugger. Le système est désormais opérationnel et certifié.

Pour vous, cet aboutissement est la preuve que les TMC françaises ont de vrais atouts face aux mastodontes anglo-saxons…

Bien sûr ! Ok, on a compris : BCD, TripActions, Amex GBT, CWT sont des bons. Mais les TMC françaises bougent aussi ! On n’est évidemment pas des agences de la même échelle mais de nombreux acteurs sont très dynamiques ! On n’est pas condamné à se faire racheter comme 3 Mundi ou FFT par un groupe anglo-saxon (respectivement par FCM et TripActions, ndr).

Qu’est-ce qui motive un tel patriotisme ?

La réalité de nos atouts ! Les TMC françaises ont une culture du service très forte et il en va de même pour leur excellence technologique - est-il besoin de rappeler qu’Egencia est née en France ? C’est grâce à un écosystème porté par des leaders dans des métiers tels que la prestation informatique - Capgemini, Dassault system… On n'est pas condamné à avoir des comptes locaux, marginaux. On est capable de proposer des outils de pointe “maison”. 

Ce qui manque certainement aux agences françaises, c’est leur internationalisation, mais ça bouge. En tout cas, VoyagExpert, après s’être installée par joint-venture en Pologne l’an passé, se développe en Espagne et en Allemagne cette année… Et ce n’est pas fini. 

Donc Amex GBT n’a qu’à bien se tenir ?

On ne joue évidemment pas dans la même cour ! VoyagExpert, c’est 150 M€ de CA quand les plus gros sont à 50 milliards ! Mais on a clairement notre carte à jouer. Il faut pour cela se développer en termes tech et en s’internationalisant. Ça représente de gros investissements, mais l’idée est de ne pas se développer avec une vision franco-française en utilisant une techno tierce et avec le secret espoir de se faire racheter quand la taille critique est atteinte. 

Revenons à cette nouvelle offre développée avec SAP Concur…

Il s’agit du service Agency proposal (ou Proposition agences) qui permet de gérer toutes les réservations offline de façon automatique dans l’outil Concur. Concrètement, pour les itinéraires complexes, les urgences ou tout autres cas qui nécessitaient du offline, les devis étaient alors faits “à l’ancienne”, par mail… Et ça sortait complètement de l’outil. Ce n’était pas cohérent, la politique d’approbation pouvait en être perturbée, les risques d’erreurs d’application analytique étaient réels. Avec cette Proposition agence, la demande complexe est faite dans Concur, ce qui génère un message à l’agence et les devis sont réinjectés dans l’outil. Ainsi, les résa on et offline se retrouvent-elles dans une base unique. Dit comme ça, ça paraît très simple mais c’était une demande très forte des clients qui a nécessité un an de travail avec Concur. 

Et donc, l’autre actu de VoyagExpert est d’avoir développé votre liaison au NDC du groupe Lufthansa…

Là encore, ce fut presque une année de travail, avec une équipe dédiée pour créer l’API nécessaire en collaboration avec LH. Notre lien avec le NDC LH est désormais certifié et opérationnel, tant pour nous que pour nos clients.

Le coût est important. Pourquoi un tel choix ?

On est humble à propos de NDC, qui est une révolution technologique mais aussi financière. Aujourd’hui, c'est encore le brouillard. Mais, concernant LH, on a l’intuition très forte qu’ils ne reviendront pas en arrière, dans le GDS, qu’ils iront jusqu'au bout. Or, avec Air France-KLM et British Airways, LH fait partie de nos partenaires aériens majeurs.

Concernant NDC, vous parlez de “brouillard”... Pouvez-vous nous y éclairer ?

Déjà, pour les les entreprises clientes, c’est évident : elles n’y comprennent rien. Pour les agences, c’est guère mieux… On a souhaité désacraliser le sujet et protéger nos clients parce qu'on ne sait pas ce que vont donner les négo avec les GDS, si ça vaudrait le coup de prendre un agrégateur qui ne s'appellera plus GDS mais qui sera un nouvel intermédiaire, ou encore la liaison directe… Ma vocation, en tant que TMC, n’est pas d’avoir le NDC de toutes les compagnies qui en ont un mais de me focaliser sur les compagnies significatives, je les ai déjà citées :  LH, AF-KLM, BA. Pour le NDC de Emirates par exemple, je le retrouve en totalité dans Sabre sans aucune surcharge. Je paye pour ça. En tout cas, le NDC, dans le business travel au moins, n'aboutira pas pour toutes les compagnies.

Vous parlez de liaisons directes, y compris pour vos clients, au NDC. Mais la logique, poussée à son extrémité, de ce système n’est-il pas de court-circuiter les agences ?

(Silence). J’aurais du mal à dire le contraire. Mais je ne sais pas ce que veulent les airlines, le savent-elles elles-mêmes ? Récemment, une compagnie aérienne que je ne citerai pas m’envoie un mail à 9h me disant “tu n’as plus ces tarifs, je ne veux plus que tu les vendes”. Une heure après, un autre département de la même compagnie m'envoie un mail pour m’inviter dans un 3 étoiles en me promettant des fonds marketing pour que je mette ses vols en avant : elles veulent se passer de nous et en même temps, elles nous proposent de l’argent pour qu'on les vende. On est en pleine schizophrénie.

Au-delà de ça… Me connecter en direct au NDC, par exemple, de AF pour un Paris-Toulouse... Oui, pourquoi pas, sauf que je ne vois pas le vol Easyjet qui deux fois moins cher. Or, je suis garant du meilleur prix pour mon client. Je suis totalement à l’aise avec ça car moi, je ne touche pas de commissions des compagnies aériennes. Je comprends la position de Laurent Abitbol (patron de Selectour/Havas, ndr) qui est un grand monsieur et que je respecte, mais je ne suis pas d'accord avec lui sur ce sujet des commissions venant des compagnies aériennes. Ne pas en percevoir, c’est être dans une position claire vis -à -vis de mon client.