Et si le futur président des EDV venait du business travel ?

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Concordance des temps : Jean-Pierre Mas, actuel président des Entreprises du Voyage (EDV) passera la main en septembre prochain. Jean-Pierre Lorente vient de céder son agence Bleu Voyages au groupe Marietton. Et si sa retraite s'avérait très active ?

Début avril, les sentiments de Jean-Pierre Lorente étaient mêlés. Entre soulagement, vertige et satisfaction. Le soulagement : après 35 ans au sein de Bleu Voyages, il se sentait déchargé de "la pression des banques, des actionnaires, des clients", à la suite d'une fracassante période Covid. Son agence, Bleu Voyages, était désormais propriété de Marietton.

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Mais même ce délestage apaisant recélait du doux-amer. La cession s'est alors faite en mode 21ème siècle, tendance distancielle : derrière un ordinateur, sans poignées de mains, ni mots doux susurrés, ni discours déclamés, ni coupes de champagne partagées. Une fois le laptop refermé, un sentiment de vide.

La satisfaction est celle d'une aventure de trois décennies qui charria son lot de succès. Elle est alors plus immédiate aussi : Jean-Pierre s'apprêtait à s'envoler vers la Nouvelle-Calédonie pour retrouver son frère qui y réside, qu'il n'avait pas vu depuis 5 ans. Ce frère qui, Covid oblige, n'avait pu se rendre aux obsèques de leur père, François Lorente, figure du travel, fondateur de Bleu, disparu en 2020.

Un périple néo-calédonien plus tard, Jean-Pierre Lorente a pu goûter à sa première fin de week-end métropolitain en pente douce : sans que la soirée dominicale ne soit parasitée par le passage en revue de l'agenda de la semaine à venir. Quant au sentiment de vide, il n'est plus d'actualité : plus encore que trois semaines auparavant, cet agenda, il a bien l'intention de le remplir. Comment ? Il reste discret à ce sujet. Mais la succession de Jean-Pierre Mas à la tête des EDV, au mois de septembre prochain, ne lui a pas échappé.

C'est donc sans avoir recours à une imagination délirante qu'on fait ici l'hypothèse d'un futur président (ou, du moins, candidat) venant du voyage d'affaires à la tête des EDV. Car Jean-Pierre Lorente peut avancer quelques arguments, cinq, d'après nous, et sans qu'ils nous soient soufflés par l'impétrant - souffrez de le croire.

1 - Ca ne se bouscule pas au portillon

Parce qu'une élection est une compétition et que les chances de victoire, dans une compétition, se mesurent certes à la qualité du participant mais aussi à la densité de la concurrence, on est bien obligé de constater ce fait : les candidats ne se bousculent pas.

Autant les présidences de région EDV aiguisent des ambitions, autant la présidence nationale n'attire apparemment, pour l'instant, pas les foules. L'Echo touristique avait, au début du printemps, organisé un sondage censé détacher une personnalité, présidente putative des EDV... Selon nos informations, sur les 17 candidats imaginés par notre média "frère", aucun n'a confirmé son appétence, à part, peut-être, Yvon Peltanche (EdV Grand Est/Eden Tour).

2 - L'atout loisir/corpo

Dans un ouvrage récent, Régis Debray rappelle combien l'Histoire est aux ordres de la Géographie. S'il l'avait connue, la petite histoire de Bleu Voyages aurait pu efficacement étayer son propos. Car si l'agence "loisir" créée par François Lorente en 1968 a commencé à s'adresser aux entreprises dès le début des années 1970, et plus encore à partir de la deuxième moitié des années 1980, c'est bien à sa localisation qu'elle doit ces opportunités nouvelles : la Vallée de Giers, entaille industrieuse entre Loire et Rhône.

Les Creusot-Loire et autres Mavilor font voyager leurs collaborateurs, c'est l'agence la plus proche, Bleu Voyages, qui en aura la charge. L'ouverture d'une agence XXL dans un centre commercial de Givors (69) en 1988, puis à Lyon dix ans plus tard, puis la structuration ferme et nette d'une activité dédiée à 100% au BT encore dix ans plus tard, parachèveront le virage. Bleus organisera sans problème votre séjour familial en Namibie ou au Japon mais l'agence est devenue une TMC : 85% de son volume concerne des déplacements professionnels.

Dans le portefeuille clients, Cegid, la multinationale locale de l'étape (depuis 1998), et une floppée d'acteurs publics : l'OCDE, celle par qui tout commence dans ce secteur, puis Pôle Emploi, l'UNESCO ou encore Interpol. Par Radius (le réseau international d'agences auquel adhère Selectour), Bleu aura même l'occasion de se faire valoir dans des appels d'offres européens; ainsi la TMC a-t-elle décoché Sony.

3 - L'atout gros/petit

Et si Radius lui était ouvert, c'est bien que Bleu était franchisée Selectour. Depuis 1970, ce qui en fait l'une des vingt premières agences du réseau qui en compte aujourd'hui un millier. Jean-Pierre Lorente a fait partie de son Conseil d'administration durant une quinzaine d'années à partir du début des années 2000.

En même temps qu'il se colletait avec le quotidien d'une agence de voyages indépendante régionale, il a donc pu se frotter aux réalités d'un groupe, fût-il dans sa forme la plus souple, celle d'une coopérative.

4 - L'atout temps

Statutairement, un président des EDV doit être mandataire d'une agence de voyages. Jean-Pierre Lorente remplit la condition : il est mandataire social de la holding Marietton. Mandataire "social", ça signifie "non opérationnel". Autant dire : pas de quoi remplir tous les jours ouvrables de l'année. Jean-Pierre Mas, le futur ex, pourrait en témoigner : la présidence des EDV est chronophage.

5 - L'argument ambigu de l'expérience

L'expérience, dans un CV, c'est l'équivalent du "vivant" pour un quartier ou de l' "intimiste" pour une pièce, dans une annonce immobilière : ça donne envie mais ça déçoit souvent. A l'heure de l'inclusion on ne devrait pas s'en soucier, mais Jean-Pierre Lorente a le vilain défaut d'être un boomer - rappelons, si nécessaire, qu'il s'agit d'un terme démographique et non péjoratif.

N'empêche. La vertu environnementale et la digitalisation sont deux des points clés à l'agenda du futur président des EDV (comme de l'actuel, d'ailleurs). Or, ces sujets sont réputés - à tort ou à raison - "générationnels".

Concernant l'écologie, Jean-Pierre Lorente peut arguer de la solide profession de foi RSE de Bleu, élaborée sous sa présidence, faisant avant tout la part belle au "S" de "sociétal", d'ailleurs, notons-le. S'il est candidat, s'il est élu président, un premier congrès des EDV à Cergy-Pontoise plutôt qu'à Punta Cana (comme en 2022) ou à l'Île Maurice (comme ce sera le cas en juin 2023) pourrait envoyer un signal.

Quant à la digitalisation... Jamais le plus sévère des tribunaux ne condamnera Jean-Pierre Lorente au chef d'accusation de "geek", c'est entendu. Mais on peut lui reconnaître, suivant son parcours, l'adaptation au changement. Fut une époque où les Lorente père et fils se faisaient coursiers, livrant les billets d'avion "business" de la main à la main de l'assistante. La modernité à cette époque consistant, au bout d'un moment, à le faire en Smart ciglées "Selectour Bleu Voyages".

Puis, en des temps où le business travel se passait par téléphone ou telex (le fax devait être trop disruptif), où les ancêtres des GDS portaient les noms pittoresque d'Esterel ou carrément rétro-futuriste d'Alpha 3, le mérite de Bleu a consisté à se brancher sur Amadeus au milieu des années 90. C'était sous l'impulsion de Jean-Pierre Lorente (et sous la houlette, reconnaît-il, de Gérard Luret, dont l'agence Neige & Soleil, avait été racheté par Bleu en 1994).

DeplacementsPros (DP) s'engage-t-il ?

Si la question est : "Est-ce le rôle d'un média que de s'engager ?", nous renvoyons les ignorants à "L'histoire des médias pour les Nuls". Selon DP, un président des EDV qui connaîtrait intimement le déplacement pro, ce serait au pire un statu quo ante, au mieux, la plus grande prise en compte de problématiques liées à cet écosystème en particulier. Qu'il s'agisse de Jean-Pierre Lorente ou d'un-e autre.

Le cinquième point, celui de l'impulsion donnée à la RSE et à la digitalisation, bien qu'il soit abordé avec un peu d'humour, n'en reste pas moins fondamental. C'est une vraie interrogation de DP quant à l'éventuelle présidence des EDV par Jean-Pierre Lorente. Car la tech est au cœur des enjeux : l'actualité NDC en est l'un des marqueurs les plus saillants. Mais, nous le répétons, toutes choses égales par ailleurs, le fait qu'un professionnel du voyage d'affaires accède aux fonctions occupées aujourd'hui par Jean-Pierre Mas serait de nature à promouvoir des problématiques propres à l'industrie du voyage d'affaires. Mais il est vrai que Jean-Pierre Lorente n'est pas candidat.