Ca y est, ça bouge. Et si deux bombes ont explosé en 24 heures la semaine dernière - annonce de l'acquisition d'Egencia par Amex GBT le mardi 4 mai, puis celle de Reed & Mackay par TripActions, le lendemain - on peut raisonnablement s'attendre à d'autres déflagrations dans les jours, semaines ou mois qui viennent. Cet article ne serait donc qu'un point d'étape...
Côté TMC, on s'y attendait, à ces mouvements tectoniques après plus d'un an d'atonie du voyage d'affaires. Pourtant, dans l'analyse de ces secousses, il ne faudrait pas forcément surévaluer le rôle de l'épisode Covid, ni, bien sûr, l'ignorer. Ces deux événements majuscules, on peut les considérer, sans prendre trop de risques, comme des répliques du séisme Alpha, le sanitaire, mais leurs caractéristiques principales - concentration de l'offre (cet article) et rééquilibrage entre technologie et service "agence de voyage" (sa suite) - sont des questions qui n'ont pas attendu la pandémie pour tarauder le monde du business travel. Du cataclysme, des réponses émergent cependant plus clairement.
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Consolidation
Un observateur du monde du BT : "On assiste à des opérations de consolidation, de protection de ses positions, en même temps qu'une tentative de conquête de parts de marché par acquisition, alors que certains acteurs sont fragilisés par la crise. Mais ce phénomène n'est cependant pas nouveau de la part de GBT : l'achat de la TMC britannique HRG, il y a quelques années (en juillet 2018, ndr), suivait déjà cette logique."
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Capter des parts de marché supplémentaires pour se rendre incontournable ou, à défaut, presser la concurrence, pour la faire couler et/ou la racheter. La stratégie est aussi vieille que le capitalisme. C'est ce qu'avait essayé de faire Amex GBT, il y a quelques années, lors de sa tentative de rapprochement avec CWT (Carlson Wagonlit Travel). Aussi vieux que le capitalisme, ou presque, ses dispositifs d'autodéfense : ce sont alors les lois anti-trust américaines qui furent fatales à la naissance du mastodonte GBT/CWT.
Ce ne sera a priori pas le cas pour l'absorption d'Egencia par GBT - qui s'accompagne, rappelons-le, d'une entrée d'Expedia (maison-mère d'Egencia) au capital de GBT. Est-ce le signe d'une "stratégie (entre les deux compagnies) sur le long terme", comme annoncé, ou le moyen de rafler la mise sans trop lâcher d'argent, la cession d'actions se substituant à du cash rubis sur l'ongle ?
L'avenir nous le dira mais Paul Abbott, PDG d'Amex GBT, déclare à nos confrères américains de Skyft : "nous signons un accord à long terme avec Expedia pour bénéficier de l'inventaire de contenu et de la technologie dont dispose Expedia."
Marges arrières
Une même stratégie d'accroissement de ses parts de marché est également à l'œuvre dans l'acquisition - annoncée dans la foulée des opérations GBT et TripActions mais moins retentissante de ce côté-ci de l'Atlantique, parce que concernant des acteurs agissant quasi exclusivement sur le marché américain - de Valerie Wilson Travel par Frosch, respectivement 355M$ et 2,4 Mds$ de volume d'affaires. Pas vraiment du petit lait.
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Pourtant, la logique du rachat d'Egencia par GBT peut se justifier par une autre réalité économique, propre, cette fois-ci, aux TMC : dans une industrie où les revenus ne sont générés par les clients qu'à hauteur de 15 à 30%, où les marges arrières émanant des fournisseurs se taillent donc la part du lion, la "prime à la taille critique", pour reprendre l'expression d'Eric Ritter, CEO de la TMC VoyagExpert, est capitale. Le volume d'affaires étant une données essentielles pour négocier le niveau des commissions auprès des fournisseurs.
Tristan Dessain-Gelinet, de la TMC Travel Planet, relativise cette dimension : "Oui, bien sûr, quand on augmente son volume d'affaires, on peut obtenir de meilleures conditions de la part des fournisseurs mais à partir d'un moment, le citron est pressé, tout est optimisé de ce point de vue. C'est vrai en général, c'est encore plus vrai dans cette période de crise où les fournisseurs sont aux abois : la plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu'elle a".
Mid-market
Ce qui semble bel et bien acquis pour GBT, prestataire auprès de grands comptes, c'est son acquisition d'un acteur dont les solutions répondent aux besoins du mid-market. On imaginait, il y a quelques jours, la possibilité d'une extension de GBT vers ce segment par un rapprochement de Havas, via leur actionnaire commun Certares... Eh bien, pour l'heure, c'est la preuve de notre infinie faillibilité. Ce sera, auprès de ces grosses PME, Egencia qui pourrait bien être le cheval de Troie de GBT.
Cette annonce du rachat d'Egencia par Amex GBT fait suite à l'acquisition par la même GBT de la TMC Ovation Travel (2,4 Mds$ de voyages en 2019), en janvier dernier, devenue une division de l'organisation Global Customer Partnerships d'Amex GBT. Et cette acquisition avait pour but affiché d'aider GBT à développer ses activités auprès... des petites et moyennes entreprises.
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Dans ce cas particulier, Amex avait précisé que leur outil Neo, dû à KDS qu'elle a acquise en 2016, s'ajouterait aux autres outils de réservation et de gestion de notes de frais d'Ovation, dont ceux de Serko (Zeno), SAP Concur, GetThere et Deem...
La technologie... Elle est aussi au cœur des stratégies de ces mouvements d'ampleur... Qu'en sera-t-il de la solution Egencia ? Et Traveldoo, acquise par Egencia en 2011, dans tout ça ? Pourquoi un outil tel que TripActions acquiert-il une TMC ?... C'est une partie des questions que nous aborderons dans le deuxième volet de cet article...