Présent à Paris lors d’un dernier EVP, Jason Geall, SVP & Regional General Manager EMEA chez American Express Global Business Travel, nous a accordé un entretien. L’occasion de faire le point sur la reprise de l’activité du voyage d’affaires en Europe, sur l’offre aérienne et les tarifs, sur les évolutions du marché du business travel et les changements majeurs – notamment en matière de digital et d’environnement – qu’accompagnent les TMC.

Pouvez-vous nous dresser une photographie du voyage d’affaires en Europe ?
Jason Geall : L’activité reprend globalement partout. Et l’Europe, avant l’invasion de l’Ukraine, enregistrait même une reprise plus rapide qu’aux États-Unis. Sur le Vieux Continent, l’activité représentait 60% de son niveau de 2019. Mais les résultats diffèrent d’un pays à l’autre. Le plus fort redémarrage en Europe est constaté en Espagne, avec 75% de l’activité de 2019, puis la France avec 70%, le Royaume-Uni et les Pays nordiques avec 55%, et l’Allemagne avec un faible 45%. La Pologne, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie, les pays les plus proches de l’Ukraine, affichent aussi des pourcentages assez bas.

L’Allemagne commerce bien sûr avec le monde entier et ce pourcentage de 45% traduit plutôt une dimension culturelle. Le principe de précaution est très fort dans ce pays, comme on a pu le constater pendant la crise sanitaire. En Espagne en revanche, il est très important d’interagir en face en face. Les mesures gouvernementales et restrictions aux frontières comptent bien sûr beaucoup dans ces chiffres. Et quand on lève des freins aux déplacements, cela prend toujours un certain temps avant que les gens ne retrouvent la confiance et se remettent à voyager. Globalement, la reprise est donc là, y compris les voyages internationaux, et notamment sur le transatlantique. Et cette activité moyenne de 60% en Europe correspond à peu près à ce que nous avions anticipé il y a quelques mois.

Constatez-vous un impact de la hausse des prix des billets d’avion sur la demande ?
Nous notons une hausse des tarifs aériens liée à la guerre en Ukraine et aux cours plus élevés du kérosène, que répercutent les compagnies aériennes. Mais cette hausse ne semble pas suffisante pour avoir un impact sur la demande. Les gens ont baigné pendant deux ans dans un univers virtuel. Ils ont envie de re-voyager. L’évolution future des prix est bien sûr une source de préoccupation. Mais elle est difficile à anticiper. Et les couvertures des transporteurs contribuent à amortir ce mouvement haussier des prix.

Nous constatons surtout que les compagnies aériennes remettent de la capacité partout dans le monde aujourd’hui, ce qui limite plutôt la hausse des prix. Car le vrai défi pour nous est la gestion de la demande quand nous n’avons pas l’offre pour y répondre.

L’engagement croissant des entreprises en matière de durabilité, avec par exemple le souhait de privilégier des vols opérés avec des carburants verts, pourrait-il lui aussi avoir à terme un impact sur les prix ?
Nous sommes tous d’accord sur le fait que les préoccupations environnementales sont aujourd’hui un sujet majeur pour les entreprises. Et ces dernières se doivent de disposer des informations les plus précises possibles sur leurs émissions de CO2, y compris sur le segment des déplacements professionnels. Car on peut aussi atteindre des objectifs très ambitieux en la matière, en arrêtant tout simplement de voyager. Mais les entreprises ont un impérieux besoin de faire voyager leurs collaborateurs. Elles doivent juste se poser la question de savoir si le déplacement est indispensable, et si oui dans quelles conditions et avec quel impact. Et nous devons les aider à faire ces choix.

La question du SAF (Sustainable Aviation Fuel) est bien sûr un sujet majeur pour nous. Notre partenariat avec Shell est déjà opérationnel. Et une dizaine de nos clients devraient pouvoir le proposer d’ici la fin de l’année. Les volumes sont certes encore très faibles aujourd’hui mais il faut bien un début à tout. Oui en effet le SAF coûte beaucoup plus cher que le carburant traditionnel. Mais il faut aussi tenir compte des taxes et charges additionnelles qui frapperont dans les prochaines années les entreprises qui n’atteindront pas certains objectifs en matière d’émissions de CO2. Et il y aura à termes d’importantes économies d’échelles liées à la production de masse du carburant vert, avec un fort impact sur son prix.

Les TMC doivent-elles vivre désormais dans la crainte d’une crise qui succède à une autre, qu’elle soit d’ordre sanitaire, géopolitique, financier et économique, environnemental, social ?
Nous devions déjà gérer des crises bien avant la pandémie de Covid-19. Laquelle a d’ailleurs fait office de piqure de rappel de notre valeur ajoutée. Elle a rappelé notre rôle central dans l’économie. Les crises sont un défi pour nous. Mais l’activité du voyage d’affaires et du MICE est disruptive. Elle aide à savoir gérer d’énormes bouleversements. Je pense que nous avons aujourd’hui atteint les objectifs fixés au début de la crise sanitaire : renforcer nos liens avec nos clients et avec nos collaborateurs, et devenir une entreprise plus forte et plus compétitive. Et le rachat d’Egencia comme notre prochaine entrée en bourse y contribuent.

De nouveaux acteurs tentent de rebattre les cartes dans le secteur du voyage d’affaires. L’un d’eux fait par exemple valoir la force de sa solution de gestion des dépenses et des voyages tout-en-un…
Nous nous sommes clairement concentrés ces deux dernières années sur le tryptique « choix, flexibiité et valeur ». Egencia est pour sa part une plateforme offrant une solution digital clé en main qui ne nécessite pas d’importantes configurations. Et il est pertinent  de la comparer à TripActions. Même si nous pouvons aussi y ajouter des programmes plus complexes via Neo.

Amex prépare donc son entrée à Wall Street dans les prochaines semaines. Parmi les investisseurs se trouve Zoom…
Nous devons développer un savoir-faire et une expertise dans l’organisation d’événements virtuels et hybrides. Il y aura sûrement demain une collaboration renforcée avec Zoom. Le monde change et le digital a pris une place importante dans les échanges au sein des entreprises, notamment du fait des nouvelles organisations du travail.

Pourrait-on aujourd’hui vous présenter comme une Mobility Management Company…
Oui en effet, cela pourrait faire sens. Les problématiques de mobilité sont aujourd’hui au coeur des préoccupations des entreprises. Et des nôtres. Mais cela justifie-t-il pour autant de changer l’acronyme de notre activité et devenir une MMC ? Plus globalement, je dirais que nous devons tous repenser nos manières de nous connecter les uns aux autres. Et cela inclut le déplacement du quotidien comme la manière de maintenir le lien entre collaborateurs.