Marjorie Woirou, chef d’agence chez Rome Voyages, fait voyager des équipes de tournage de cinéma. Nous l’avons interrogée lors du dernier Congrès Manor qui se déroulait… à Cannes, évidemment.
Comment devient-on agence de voyages pour le cinéma ?
Marjorie Woirou : Rome Voyages existe depuis 30 ans. Personnellement, j’y travaille depuis 16 ans, aujourd'hui en tant que chef d’agence. Et depuis une vingtaine d’années, on s’occupe de la clientèle “cinéma”. Mais aussi de la pub et de l’événementiel. Au départ, c’est un collègue qui est venu de son ancienne agence avec une production de cinéma comme cliente.
Et le bouche à oreille a fait le reste…
C’est forcément du bouche à oreille dans ce milieu : la pub ou la com ne sert à rien puisque nos interlocuteurs, les assistants de production, sont des intermittents qui travaillent pour des boites de production différentes d’un film ou d’une pub à l’autre. Donc c’est ça la formule : un bon feeling entre l’assistant de prod et l'agent de voyage - le relationnel, je dirais que c’est 50% de notre job - et le bouche à oreille positif que ça engendre.
Et aujourd’hui, quelle proportion de votre activité cette clientèle occupe-t-elle ?
On fait 80% de corpo. A part quelques cabinets d’avocats, elle représente près de 100% de cette activité. Je mets ici ensemble le cinéma, la pub et l’événementiel car ce sont des clientèles et donc un traitement très comparables.
Justement, quelles sont les spécificités de cette clientèle ?
Plusieurs choses. D’une part, nos clients n’ont pas de problème d’argent… Le prix n’est pas un sujet, ce qui leur faut, ce sont des solutions à leurs problèmes, même si la notion de compétitivité est quand même plus importante dans l’événementiel… En d’autres termes, ce qu’on leur offre, c’est de la réactivité, de la disponibilité : ton téléphone pro ou ton ordinateur, tu les prends en week-end avec toi, et planifier trois semaines de vacances dans deux mois, tu oublies. C’est quasi de la conciergerie, et tout se passe par téléphone.
Il y a quelque chose d’anachronique dans ce que vous dites : vous êtes dans le voyage corpo, industrie éminemment technologique, et tout se passe par téléphone.
On utilise à peine le mail ! Et pour les réservations, nous n'utilisons pas de SBT. Nous sommes directement reliés à la plateforme EDIFACT d'Amadeus. NDC, pour nous, ce n'est pas un sujet !
Un tournage de cinéma typique, combien de temps, combien de nuitées, combien de trajets ?
Je précise tout d’abord qu’on ne s’occupe pas de l’hébergement, c’est trop fastidieux à distance : c’est la production exécutive sur place, les fixeurs, qui s’en chargent. Même s’il y a des cas particuliers, par exemple tel réalisateur new-yorkais pour quelques nuits dans tel palace parisien. Là, je deale en direct avec l’hôtel car les demandes sont généralement très spécifiques. Un tournage de film c’est environ six semaines, une pub, généralement une semaine.
Quant aux trajets, sur notre dernier tournage cinéma, une production française, on a réservé 400 déplacements. Une autre caractéristique : la hiérarchisation selon qu’on est technicien ou “artistique”... Pour l’avion, ce sera du lowcost pour les premiers, de la business class pour les autres…
Y a-t-il des demandes spécifiques, voire… dépassant les bornes ?
Les demandes spécifiques, ça peut être, par exemple, une robe “Marie-Antoinette” qui doit être chargée en cabine pour rester droite, sur cintre. Celles qui concerneraient des exigences extravagantes, c’est davantage l’assistant de prod qui s’en charge…
Vous devez quand même bien avoir quelques anecdotes croustillantes en magasin…
Bon… Je ne donnerai pas de noms évidemment, d’ailleurs, je suis souvent tenue contractuellement à une obligation de confidentialité. J’en ai quand même quelques-unes, effectivement. Cette comédienne qui, lors de l’interruption hebdomadaire du tournage, m’appelle de son taxi qui la mène à l’aéroport : “Je vais à Marrakech pour le week-end et j’ai oublié de m’épiler, peux-tu me réserver une séance au Royal Palm à mon arrivée ?”
Ou encore ce comédien qui se déplace sur le tournage avec sa famille mais aussi sa maîtresse. La famille à l’hôtel, la maîtresse dans un bungalow à proximité. Ou encore cette comédienne très connue, vraiment très sympa… Mais qui peut l’être : elle se déplace sur les tournages avec ses enfants mais aussi… trois nounous. Ou une autre qui ne prend l’avion qu’avec son chihuahua comme “support émotionnel”. Après, je peux vous confirmer que les chambres d’hôtel mises à sac après une scène de ménage ou une soirée un peu trash, des stupéfiants et des… disons… "escort-girls" sur des tournages, l’intervention de la police pour une bagarre sur le plateau, tout ça, ce ne sont pas des légendes. Ce n’est pas la règle, bien sûr, mais ça arrive.
Comment gère-t-on humainement une clientèle si particulière ?
Comme je le disais, mes interlocuteurs directs, ce sont les assistants de prod. Et avec eux, il y a même des liens amicaux qui peuvent se créer même si on peut très bien ne plus avoir affaire à eux pendant 4 ans parce qu’ils n’ont pas de tournage ou pas de tournage à Paris, par exemple. Ca aussi, c’est une spécificité par rapport au voyage corpo classique. Quant aux sujets qui concernent les comédiennes et les comédiens en particulier, je suis généralement en relation avec leur agent. Mais je me tiens à deux règles : je ne me mets pas dans un état d’esprit de groupie. Et je les traite avec les mêmes égards que les autres clients de l’agence, ni plus ni moins. Mais, au final, je suis rarement confrontée aux attitudes de diva, contrairement aux assistants de prod - et je les plains ! L’un d’eux m’a dit un jour, à propos d’une comédienne : “Celle-là, elle m’a bien fait ch… pendant tout le tournage, pour son train, prends-lui un carré famille dans le sens inverse de la marche !”
Quelle vision passéiste et romancée… « Ils n’ont pas de problème d’argent »… bref. Belle vision.