Les acheteurs aux producteurs et aux TMC : « De la transparence ! »

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Les acheteurs aux producteurs et aux TMC :

En ces temps d'inflation et de budgets serrés, les négociations se font naturellement plus tendues entre acheteurs et fournisseurs. Surtout quand un soupçon d'opportunisme plane au-dessus des discussions...

AgileBuyer vient de publier son étude annuelle, commandée par le CNA (Conseil national des achats), sur les tendances et priorités des départements achats. Il en ressort que 81% des professionnels interrogés affirment que certains de leurs fournisseurs pratiquent de l'inflation "opportuniste".

Olivier Wajnsztok, associé dudit cabinet précise les choses : "On parle de fournisseurs profiteurs. Il ne s'agit pas, comme l'année dernière (en 2021, ndr), uniquement d'une relation déséquilibrée mais du fait que les fournisseurs appliquent une inflation opportuniste. Cela pose un gros problème dans le cadre d'une relation qui devrait être de confiance".

La semaine dernière, lors de l'Assemblée générale du BAR (Board of Airlines representatives), les PDG des Aéroports de Paris, Augustin de Romanet, estimait en substance qu'en 2022, les compagnies avaient transformé la surcharge SAF en aubaine : avec des augmentations tarifaires allant au-delà de la compensation de ces surcoûts... Si le patron d'ADP s'en félicitait, il n'en reste pas moins qu'il venait confirmer la pertinence de la suspicion.

> Lire aussi : Augustin de Romanet sans langue de bois

Et le voyage d'affaires n'échappe évidemment pas à ce lourd climat qui pèse sur la relation acheteurs/fournisseurs. Chez les acheteurs de cet écosystème aussi, les temps de trouble et d'incertitudes liés à une sortie de crise sanitaire en contexte inflationniste s'accompagnent d'une exigence de transparence. En témoigne une des tables rondes du Grand live du voyage d'affaires, organisé par CDS Groupe, qui réunissait des acheteurs de Safran (Arnaud Vergès), de la multinationale indienne Wipro (Bertrand Lacotte), de Capgemini (Katharina Navarro) et de l'Ucanss (Union des caisses nationales de Sécurité sociale, Xavier Denassieu).

Budgets serrés

Capgemini : pour le travel, "on ne va pas augmenter en 2023 ce qui a été dépensé en 2022." Ucanss : "On a une mission de service public mais (...) on met en place des outils de pilotage beaucoup plus précis pour des déplacements cohérents en étant attentif aux dépenses." Wipro : "Nous gérons l’ensemble des réservations transport et hôtel d’une manière très centralisée et en grande partie en interne :  nous avons donc accès à l’ensemble de l’information qui permet de connaître le montant de la dépense et de déplacer le curseur, entre accélération et ralentissement, en fonction de nos résultats trimestriels (sinon) dans ce contexte inflationniste, avec une PVE et des outils identiques, on finit à +10 ou 15%".

A part Arnaud Verges qui prévoit un retour aux volumes travel de 2019 au Q2 de 2023 chez Safran, l'heure est aux budgets serrés. Ce qui rend plus aigu encore le sujet des négociations avec les fournisseurs... Surtout quand ces derniers "ne jouent pas le jeu".

Inflation prétexte

Car si, pour Katharina Navarro, le premier levier pour supporter l'inflation, c'est le volume, le deuxième axe de maîtrise des dépenses est bien la négociation avec les fournisseurs. "On est en train de finaliser notre négo hôtel et on voit bien les effets de l’inflation mais il y a aussi malheureusement des fournisseurs qui s’en servent comme prétexte, explique-t-elle. Alors on regarde région par région, presque ville par ville, l’index sur le marché pour pouvoir établir un benchmark fin . On demande de la transparence à nos fournisseurs pour négocier des augmentation raisonnables. On accès à toutes les info et on va sortir des hôtels de notre programme, s'il le faut."

Et les discussions avec l'aérien sont plus âpres encore : "Avec les hôtels, au moins, on joue sur des prix fixes, ajoute-t-elle. Avec les compagnies, c'est encore plus difficile : on n’a plus que des discounts". Et le taux de discount, lui, est fixe, contrairement aux prix grand public sur lesquels il s'applique...

Bertrand Lacotte de renchérir, c'est le cas de le dire : "On accepte la juste inflation. C'est le travail de l’acheteur d’entrer dans la composition du prix (coût de l'énergie, mais d’œuvre…). Les acheteurs doivent demander aux hôtels, aux transporteurs des explications sur les augmentations. S'i y a transparence, un dialogue peut s'instaurer. Si ce n'est pas le cas, on peut imaginer qu'il y a des rattrapages de marges (...) Mais une sous-inflation doit aussi être prise avec précaution : ne s'agit-il pas de dumping pour gagner des parts de marché ?" Soupçons à tous les étages...

Négociations

Le cas des entreprises publiques est un peu différent. De contraintes formelles et réglementaires, les acheteurs peuvent tirer une force.  Xavier Denassieu : "Je suis soumis au code des marchés publics qui structure mes appels d'offres (AO). De là, deux contraintes : une fois qu'on a un BPU (Bordereau des prix unitaires, ndr), il est gelé pour la durée du marché. D'autre part, depuis 2 ans, nous avons l'obligation d’estimer un volume financier qui peut stopper le contrat dès qu'il est dépassé. Ce cas limite n'est souhaitable pour personne : ça facilite les discussions avec les fournisseurs".

Situation plus favorable chez Safran aussi, si l'on en croit Arnaud Verges : "Contre l'inflation, notre force, c'est notre base contractuelle. On a des contrats de LCD, pour le ferroviaire, une dizaine pour l'aérien et on fait des AO chaque année, tous les deux ans pour notre programme de 650 hôtels. Ces contrats couvrent une partie de l'inflation, et, sur leur base, on a des rétrocessions annuelles". 

Concernant l'importance de rouvrir régulièrement des discussions avec les fournisseurs, soulignée par Arnaud Verges, Bertrand Lacotte abonde : "(Dans ce contexte), il faut certainement augmenter la fréquence des négociations. Peut-être plus tous les deux ans ou tous les ans, mais, dans certains cas, tous les six mois. Il ne faut pas hésiter non plus à rouvrir des négociations en cours de contrat car le monde est imprédictible : il faut être agile."

Les TMC aussi

Cet état des lieux quelque peu accablant pour les producteurs, ou certains d'entre eux, s'étend au monde de la distribution...

Relativisons. D'une part, Arnaud Verges salue son partenariat avec BCD Travel qui a permis, en mai 2022, la mise en place de l'outil d'optimisation tarifaire dans l'aérien Fairfly, un autre moyen d'atténuer les effets de l'inflation. [A ce titre, entre autres, Safran s'est vu décerné, en décembre dernier, le Laurier du Voyage d'Affaires du "Pilotage de la performance"]

D'autre part, Bertrand Lacotte explique : "Chez Wipro, le travel est historiquement très internalisé mais on a décidé de se diriger vers un modèle plus standard : de faire appel à des TMC et des outils régionaux. Parce que lorsque le voyage s'est arrêté (durant la pandémie, ndr), on a vu qu'il y avait un coût structurel travel élevé. On a besoin des agences pour des conseils fournisseurs, du voyage smart. Et là, on est prêt à payer."

Pourtant ce plaidoyer laisse un arrière-goût de réquisitoire, que le même Bertrand Lacotte confirme : "Il y a une nécessité de transparence (de la part des TMC, ndr). C'est de cette façon qu'on est capable de mesurer la valeur du service et de déterminer combien on est prêt à le payer." Et de mettre les pieds dans le plat concernant l'opacité du business model des agences : "Si des commissions des compagnies continuent à couvrir les frais de transaction de mon aérien, pourquoi j’irais payer en plus ?"

Sur le sujet, le propos liminaire, assez général, de Katharina Navarro, laisse entendre que la crise sanitaire a constitué une opportunité pour les TMC : "Les TMC ont une vraie crise d’identité et le Covid les a obligé à se redéfinir, à redéfinir leur valeur ajoutée. La pandémie a fait la preuve de leur utilité et peut servir base à un nouveau niveau de partenariat entre l'agence et l'entreprise."

Mais ce n'était que le calme avant la tempête. D'abord sur l'offre : "Chaque entreprise a des besoins différents. Donc il faut déjà bien définir dans l'AO ce que je cherche, ce que je suis prêt à payer. Chez Capgemini, par exemple, on est très online", sous-entendu : "Je n'ai pas à payer du offline". Ensuite sur le mode de rémunération : "Je suis prête à discuter d'un autre modèle que transactionnel mais les TMC ne sont pas toujours prêtes à proposer un modèle global".

Et enfin sur cette fameuse transparence : "C'est un problème. La TMC me dit : 'NDC va me coûter cher'... OK mais qu'est-ce que vous gagnez exactement sur mes billets d’avion ? Il y a encore des petites choses cachées sous le tapis..."