L’IA générative pousse les fournisseurs du voyage d’affaires à accélérer leur transformation et à innover. Nombre d’entre eux ont annoncé lancer des programmes ou des comités d’éthique dédiés à cette technologie. Quels sont les cas d’usage de l’IA dans l’univers des mobilités professionnelles et comment ces acteurs imaginent-ils leur avenir dans un environnement de plus en plus concurrentiel ? Le premier volet de cette série d’articles donne la parole à Marilyn Markham, VP of AI & Automation Strategy chez Amex GBT.
Amex GBT a lancé un programme dédié à l’IA en février 2024. Un an plus tard, comment l’IA générative est-elle utilisée chez Amex GBT ?

Marilyn Markham : Le but de ce programme était justement de pouvoir réfléchir à différents cas d’usage. C’était un projet que nous avions avant même l’arrivée de ChatGPT, lorsque nous avons fait l’acquisition de la startup 30 Seconds To Fly. Cette startup, basée à Bangkok, avait déjà construit un modèle de langage dédié au voyage en 2018. Ils ont été parmi les premiers à lancer un assistant en ligne sous forme de chatbot connecté à un GDS, qui permettait de faire une recherche en langage naturel sans avoir besoin d’un agent physique. Lorsque les LLM sont arrivés, nous avons fait pivoter les équipes de cette jeune pousse pour les faire travailler sur l’automatisation des requêtes de voyage par mail. Il faut savoir que nous recevons près de la moitié des requêtes de nos voyageurs par mail et comprendre de quoi il en retourne est assez facile, mais le catégoriser de façon avancée est un peu plus compliqué. L’IA générative a été intégrée pour automatiser ce processus et, surtout, extraire des données de façon précise. L’autre moitié des requêtes se fait par téléphone et nous enregistrons chaque appel. Là aussi, grâce à ce modèle, nous arrivons désormais à obtenir une bonne retranscription écrite, que l’on transforme en données statistiques. Cela nous fait gagner beaucoup de temps et nous aide sur le reporting.
Pour les agents de voyages, c’est également un véritable gain de temps, je suppose ?
Chez Amex GBT, un agent sert des centaines de clients, avec des PVE spécifiques. Grâce à l’IA générative, dès qu’un appelant est identifié dans notre système, nous arrivons à mettre la main sur la PVE associée à l’entreprise et à la synthétiser pour que notre agent puisse être le plus efficace possible. Ce système permet également à l’agent de poser des questions en temps réel à l’assistant virtuel pour répondre à chaque interrogation concernant la conformité de l’offre qu’il va proposer. Sur ce cas d’usage, on se rend compte que l’IA générative a une très bonne compréhension des termes et qu’elle est capable d’identifier et de relever une information importante, ce qui est essentiel. Cette fonctionnalité a été développée dès avril 2024, mais nous avons mis un peu de temps pour trouver la bonne façon de l’intégrer à notre outil existant. Désormais, tous nos agents peuvent l’utiliser.
Ce que vous rapportez concerne la partie Travel, qu’en est-il de l’Expense ?
À mon sens, l’IA générative n’est pas la technologie la plus adaptée au volet Expense, car il s’agit d’un « outil texte ». De nombreuses études démontrent qu’en réalité, l’IA générative n’excelle pas en mathématiques, même si elle commence à s’améliorer. Le machine learning va être plus efficace sur cette partie, et c’est aussi une forme d’IA. Ce qui va être intéressant, c’est de voir les futurs cas d’usage lorsque nous aurons réussi à coupler plusieurs intelligences…
L’un des principaux freins à l’usage de l’IA concerne un potentiel remplacement de l’homme par la machine. Nous dirigeons-nous vers une société de services 100 % virtuelle ou digitalisée ?
Je ne pense pas, puisque 60 % de nos réservations sont effectuées directement par les voyageurs eux-mêmes. L’utilité principale de l’agent de voyage est de réaliser des modifications en cas d’annulation ou de changement, ce qui reste encore très complexe dans l’industrie corpo. Sur ce point, l’IA peut servir d’assistant, mais elle ne sera pas en mesure de contacter les différents acteurs concernés afin de proposer un voyage de bout en bout, sans friction. S’ajoutent à cela la compliance et les préférences de chaque voyageur, ce qui rend l’humain indispensable. Selon moi, l’apport de l’IA générative dans nos métiers est surévalué comparé à ce que nous a apporté le machine learning, par exemple.
Quel a été l’intérêt pour vous, chez Amex GBT, de lancer début 2024 un programme dédié à l’IA ? Quel premier bilan en faites-vous ?
Le lancement de ce programme nous a apporté de la clarté sur les risques liés à l’IA et sur la manière de les réduire, ainsi que sur la formalisation de notre politique interne. Nous avons également lancé une première session de formation auprès de nos collaborateurs pour leur expliquer ce qu’était une IA et les informer. La seconde session, optionnelle, a permis de former ceux qui souhaitaient l’utiliser de façon confiante et sécurisée. Ce programme comprend également la création d’un comité de surveillance, qui examine chaque cas d’usage et sa conformité à la politique de risques, que ce soit au niveau légal ou en matière de cybersécurité. Pour soutenir ce programme, une équipe y est entièrement dédiée, ce qui représente une véritable force, car elle peut prendre le temps d’investiguer et d’avancer rapidement sur chaque sujet.
Quels sont vos projets prioritaires à court et moyen terme ?
En 2025, nous allons poursuivre nos efforts sur la refonte des process internes et des services desk. Cela inclut l’automatisation au niveau du service, car c’est le cas d’usage principal que nous avons identifié. Ensuite, nous souhaitons rester innovants tout en étant focalisés sur le résultat d’une expérimentation plutôt que sur la technologie utilisée. Depuis une semaine, nous donnons accès à un ChatGPT interne à nos collaborateurs et nous attendons de voir comment ils l’utilisent afin de réfléchir à de nouveaux cas d’usage. Pour conclure, je souhaiterais insister sur un point qui me paraît essentiel : l’IA n’est pas un outil qui a réponse à tout et il faut rappeler que de nombreuses technologies existent aujourd’hui. Il est crucial de choisir celle qui est la plus adéquate et pertinente. Utiliser de l’IA pour de l’IA n’a pas de sens et, à terme, cela fera la différence.