L’OBT deviendra-t-il invisible ?

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L'OBT deviendra-t-il invisible ?
De gauche à droite : Bertrand Flory (Emirates), Guillaume Ridolfi (SAP Concur), Bruno Jacquemin-Sablon (CWT) et Claude Lelièvre (VP AFTM).

La dernière Convention de l'AFTM se proposait, à l'occasion d'une table ronde, de mettre les OBT "sur le grill". Ils n'ont finalement pas été trop chahutés... Ce qui n'a pas empêché d'envisager leur relégation en backoffice.

“Les OBT deviendront-ils invisibles ?”... A vrai dire, l’intitulé de la table ronde organisée par l’AFTM lors de sa dernière convention se proposait plus modestement de se demander si ces acteurs technologiques répondaient aux attentes du marché.

Sur scène, trois éventuels procureurs, soit : un transporteur (Bertrand Flory, Emirates), une agence (Bruno Jacquemin-Sablon, CWT) et un représentant des entreprises clientes (Claude Lelièvre, VP AFTM). Guillaume Ridolfi (SAP Concur) serait donc le seul défenseur affiché des OBT. Il s’en sortira avec les honneurs (sans, il est vrai, que la contradiction soit particulièrement virulente).

La résa, multicanale par nature

Pourtant, durant la table ronde, les sondages et enquêtes se succèderont avec une certaine cruauté pour les OBT. Les voyageurs d’affaires seraient 36% à les utiliser lors de leurs réservations (au profit du direct, ou via la TMC). Ou encore : “40% des travel managers britanniques ont le sentiment que les OBT ne sont pas prêts à soutenir leurs objectifs stratégiques”. Ou enfin : 75% des travel managers britanniques considèrent qu’en matière d’impact carbone, les OBT sont incapables d’afficher les bonnes infos. 

A propos de ces taux d’adoption médiocres, Guillaume Ridolfi souligne le risque du trompe-l’œil : la réservation de voyage d’affaires est et restera multicanale - en d’autres termes, l’objectif du 100% OBT est vain. Le taux d’utilisation d’un OBT dépend du segment de voyage, de la taille de l’entreprise…

Le reste du panel viendra volontiers en soutien de cette opinion. Bertrand Flory : “Ce qui va par exemple être déterminant, c’est le paiement. Si la somme à avancer est trop importante, l’OBT sera très utilisé”. Beau joueur, Bruno Jacquemin-Sablon reconnaîtra : “C’est aussi notre travail (de TMC, ndr) que de fidéliser les clients à l’expérience qu’on propose en partenariat avec nos OBT”.

Les OBT boucs émissaires ?

Concernant une soi-disant incapacité des OBT à soutenir les entreprises dans la réalisation de leurs objectifs, Guillaume Ridolfi tient à souligner la particularité du contexte actuel, sorte de “carrefour” instable : “Dans le monde de la tech BT, il y a un avant et un après Covid, avec de nouveaux besoins, de nouveaux comportements, des sujets RSE, compliance, performance achat mis plus en avant… Mais ceux-ci ne sont pas encore assez clairement exprimés par les entreprises pour que les OBT se lancent les développements nécessaires”.

Claude Lelièvre de venir en soutien, autocritique à la clé : “C’est vrai qu’il y a une certaine inertie des entreprises. Et en plus, en demandant aux OBT de se connecter à une multitude d’outils, on ne leur simplifie pas les choses.

En d’autres termes, la responsabilité, en la matière, serait partagée. Cette remarque selon laquelle les OBT sont souvent les boucs émissaires de dysfonctionnements dont ils ne sont que partiellement à l’origine a été déclinée à plusieurs reprises et sur divers sujets, par le représentant de SAP Concur mais aussi par les autres intervenants. Ainsi, Bruno Jacquemin-Sablon : “Les lacunes qu'on identifie parfois comme celles des OBT sont parfois le fait des agences, des agrégateurs ou des GDS”. 

La faute partagée constituera aussi l’ossature de la réponse à ce sondage stigmatisant l’incapacité des OBT à délivrer de l’info “impact carbone”. Guillaume Ridolfi : “C’est vrai. Mais nous ne sommes que des agrégateurs de ces données, or elles sont disparates d’un fournisseur à l’autre, déclaratives et  non opposables, donc pas en mesure d’être certifiées par un organisme transverse sur ces sujets. C’est donc une incapacité collective. De même qu'on ne sait pas quels sont les objectifs de toutes les entreprises avec lesquelles on travaille”.

Sourcing

En revanche, l’argument est plus difficilement opposable à Bertrand Flory lorsqu'il déclare : “Les OBT doivent refléter les contrats passés avec les entreprises - la base c’est l’affichage des bons prix, bien sûr. Or, ce n’est pas toujours le cas… Ou encore : nos résa en business (chez Emirates, ndr) incluent un chauffeur pour le trajet aéroport… Or l’OBT ne le reflète pas… Quand on le signale, on nous rétorque ‘c’est du dev, il faut payer’”.

Guillaume Ridolfi rappelle le cœur de la fonction d’un OBT : “Proposer les fournisseurs incontournables, en termes de contenu, de dispo et de tarifs pour ne pas perdre d’utilisateurs. D'où l'importance du sourcing.

A ce propos, Bertrand Lacotte, acheteur chez Wipro et VP AFTM, intervient pour confirmer et aller plus loin : “L’OBT, c’est certainement du passé. Il faut davantage parler d’Online Sourcing Tool. Il y a 10 ans l’OBT prenait ce que l’entreprise avait négocié, c'était assez simple. Aujourd’hui, l’enjeu c'est qu’à chaque trajet, on ait les prix dispo partout, que ce soient les prix négociés par l’entreprise, l’agence ou les tarifs publics. En fait, une résa, c’est comme un mini appel d’offres instantané. C’est ce que va devoir faire l’OBT et en prenant en plus en compte les habitudes du voyageur”.

Vers l’invisibilité ?

L’avenir de l’OBT, Claude Lelièvre l’interroge aussi, d’une façon a priori provocatrice : “Est ce que les OBT ne sont pas condamnés à devenir une tech backoffice ? Car qu’est-ce qu’attend l'utilisateur final ? Se déplacer, être hébergé, un voyage fluide avec des services et du confort. Pour l’entreprise c'est d’être conforme à des objectifs budgétaires, environnementaux, informatiques, de gestion des coûts. On s’en moque de passer par un OBT ou par une agence. Donc l’OBT pourrait se cantonner à un rôle de fournisseur de tech qui permet de s’interfacer à un smartphone, un PC… Et qui serait derrière une agence ou un réseau de distribution sans avoir la contrainte technique d’être au premier plan en tant qu’interface utilisateur”.

On attendait de Guillaume Ridolfi qu’il défende la position de premier plan de l’OBT. Il n’en est rien : “C’est la direction que ça prend. Si notre objectif c’est de décomplexifier puis de simplifier l'expérience utilisateur, alors, si on tire un trait à partir de ce qui est fait depuis 5 ans, on va vers ça. Déjà, l’IA va changer la façon d’utiliser les tech y compris dans le voyage d’affaires.  Et ça va être assez rapide. On peut imaginer un monde où on n’aura même plus à réserver son voyage puisque l’ensemble des tech qui seront tierces (une suite Microsoft, des OS de smartphone…) pourront comprendre le besoin du voyageur et le traiter en faisant appel au moteur de l’OBT qui est lui-même connecté à l’ensemble des réseaux de distribution.” 

Invisibilité de l’OBT mais pas disparition. Le même de poursuivre : “En revanche, je ne crois pas à l’agence de voyages qui se substituerait à l’OBT ou inversement. Les nouveaux acteurs “tout en un”, je n’y crois pas. Tout acteur doit être agnostique pour proposer le meilleur OBT, la meilleure TMC, le meilleur moyen de paiement… Pour pouvoir continuer à innover, à offrir du service, de la valeur ajoutée dans des prix que l’entreprise est prête à payer et résister aux différents soubresauts (pandémies, guerre, consolidation du marché), il faudra que chaque spécialiste continue à innover… Mais je crois pas aux regroupements.” 

Reste un sujet sur lequel les OBT ont l’opportunité de prouver leur utilité dans les prochains mois et les prochaines années : le ferroviaire dont il va falloir “soulever le capot” (notamment à la faveur de l’ouverture à la concurrence), d’après Guillaume Ridolfi. Et de conclure : “NDC ? Ce n'est rien par rapport à la problématique rail !

Ça promet…