[Replay] Stratégie « Voyage d’Affaires » (1/2) – « La RSE, non plus un désir mais une nécessité », Mark Cuschieri

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Paroles de Travel Manager - Mark Cushieri, UBS

[Paru le 15/02/22] Ils ont tout à la fois les mains dans le moteur en tant que praticiens et le regard qui porte loin et large, en tant que membres impliqués de la GBTA. Nous lançons une série d'entretiens avec ces professionnels qui décident des déplacements au cœur de leur entreprise avec Mark Cuschieri, Executive director chez UBS et Vice President GBTA.

Depuis la crise, la RSE est au cœur des sujets quand on parle de politique voyage. De belles paroles ?

Mark Cuschieri : On discute - et, c’est vrai, parfois, ce ne sont que des mots - de la durabilité depuis des années. Mais là, je pense que c'est différent. On n’est plus au stade du désir mais à celui de la nécessité : l’enjeu est central pour toute organisation et toute stratégie. Alors aujourd’hui, les entreprises regardent ce sujet, regardent leur empreinte carbone, avec l'objectif zéro net dans le viseur. Et dans ce contexte, le rôle des gouvernements est essentiel. C’est le cas en Europe, il faut que ça s’étende à d’autres régions du monde.
Il n’y a jamais eu de meilleur moment pour agir car ce qu'on observe aujourd’hui, c’est que la pandémie fait baisser drastiquement le nombre de voyages - est ce que on reviendra aux niveaux d’avant la pandémie ? La réponse est non : peut-être de 10 à 15% inférieurs. En tout cas, beaucoup d’entreprises ont désormais pu observer le maintien de leurs performances en voyageant moins. 

Donc je pense que ces paroles nombreuses, il est vrai, vont faire place à de l’action sur ce sujet qui est par ailleurs porté par toute la société, ce qui inclut les employés des organisations.

Dès lors, à quoi devrait ressembler une bonne PVE ?

C’est difficile de faire une réponse générale. Ça dépend des entreprises, de leur culture, de leur secteur… Mais l’une des réponses est que le voyage qui sera privilégié par l'organisation et le voyageur, quand différentes options sont possibles, ne le sera plus en fonction de son coût mais de son empreinte carbone, ou en tout cas, un mixe des deux critères. Et donc que les objectifs ne soient plus financiers mais liés à la réduction de cette empreinte. 

La PVE doit contenir un aspect “changement du comportement”. Concernant ces changements de comportements, on doit être dans du nudge : plus dans l’incitation que dans l’autorité. 

Pour les OBT, ça doit se traduire par des messages qui incitent à faire les bons choix. Ce sujet doit faire partie de la discussion des organisations avec leurs fournisseurs : “Comment allez-vous nous soutenir dans l’accomplissement de notre programme ?” Ca peut être, par exemple, en présentant de manière plus visible et prioritaire l’option ferroviaire.

Cela implique une utilisation des outils de réservation de l’entreprise ou de sa TMC. La chasse au leakage va s’intensifier ?

Le Covid a montré à quel point un programme de gestion des voyages était nécessaire dans le domaine du duty of care notamment et en raison de la complexité à voyager avec des politiques sanitaires très fluctuantes. Et les voyageurs aussi en sont davantage convaincus. Donc oui, je pense que dans les voyages futurs, on aura tendance à beaucoup plus suivre les lignes directrices de la PVE. Mais se contenter de cette nécessité serait une paresse : il faut aussi que les entreprises aillent vers toujours plus de tech pour simplifier l’organisation et l’expérience d’un voyage.

Comment les bonnes pratiques peuvent-elles s’étendre aux PME ?

C’est une question très importante. Si on pense au duty of care, la plupart des grandes entreprises ont établi un programme à ce sujet : elles travaillent avec des entreprises de management du risque, elles ont un départements “sécurité”, etc. Je pense que les fournisseurs et les TMC ont les moyens de soutenir les PME dans ce domaine.

Les membres de GBTA sont-ils en demande de conseils pour la reprise ?

Oui, très clairement. Comment s’assurer que tout est prêt pour voyager en toute sécurité quand ce sera de nouveau possible ? Ce qui revient à demander ce que sont les bons contenus, les bonnes informations, les bons conseils d’orientation.

Mais à vrai dire, cette demande va bien au-delà de nos membres et concerne les airlines, les hôtels, tous les acteurs de la chaîne du voyage. Et chacun de ces acteurs doit se parler pour s’assurer que c’est bien le cas. En tout cas, le rôle de la GBTA est de soutenir ses membres dans cette démarche car le voyage va reprendre mais dans des conditions différentes; je n'ai pas de boule de cristal donc je ne peux pas connaître le détail de ces différences mais on sait que ce sera plus complexe. Les gouvernements doivent donc d'autant plus simplifier les choses avec des standards clairs, coordonnés et pérennes. C’est comme ça qu'on recréera de la confiance chez les voyageurs. 

On parle évidemment beaucoup de l’impact sanitaire de cette crise, parfois économique, mais rarement des tensions géopolitiques qui en ont découlé. Pensez-vous que c’est une dimension sous-estimée quant à son impact sur le voyage d’affaires ?

Je ne parlerais pas de politiques internationales précisément. En tout cas, il faut que tous les gouvernements aient conscience que le business travel (BT) est un puissant vecteur de croissance économique et de création de valeur… Mais il est vrai qu’il y a d'autres conséquences qu'on ne connaît pas encore, soit purement économiques, au-delà de la crise en elle-même - par exemple, à cause d’un calendrier presque concomitant, on n’a pas pu mesurer vraiment, je pense, les conséquences du brexit. Soit plus directement liées à l’activité du BT : de nombreux acteurs ont disparu ou vont disparaître. Est-ce que dans certains domaines on se retrouvera dans une situation moins concurrentielle, voire monopolistique ? Je pense notamment à certaines routes suite à la faillite ou à la reprise d’un programme de vols allégé de certaines compagnies aériennes.

En conséquence, l’une des bonnes pratiques pour se préparer à la reprise peut tout simplement consister à vérifier que notre fournisseur existe toujours !

Normalement, ce n’est pas nécessaire. Durant la pandémie nous - acheteurs, travel managers (TM) - avons travaillé dans une grande proximité avec nos fournisseurs, même s'il n'y avait pas de voyages, pour rester informés de leurs évolutions, entretenir la confiance, avec des réunions fréquentes, etc. Mais on sait qu'il y aura des consolidations. Il y en a déjà eues et je pense qu’on va encore en voir davantage; c’est naturel dans ce genre de circonstances. Dans le monde des TMC, on assiste à des acquisitions intéressantes, qui consistent notamment à des rapprochements entre des acteurs traditionnels et des solutions très technologiques… Ce qui est important c'est que la concurrence et donc le choix soit maintenus pour les acheteurs et je pense que ce sera le cas.

En tout cas, durant ces crise, j'ai trouvé que l’industrie, acheteurs comme fournisseurs, avait collaboré pour le bien de chacun - car il n'y a pas que les fournisseurs qui ont souffert durant cette crise. 

C’est un des rares points positifs de la pandémie… Donc ça doit continuer, cette solidarité. Prenez l'hôtellerie qui a été dévastée par la crise… Durant cette période, il y a eu aussi l’arrivée de nouveaux acteurs, et aujourd’hui, dans ce secteur, on est en pénurie de talents ! Si on n’en trouve pas assez c'est à cause des incertitudes sur l'avenir du voyage (le brexit avait commencé à causer ce problème avant pandémie sur l’hôtellerie britannique)... Mais nous aurons tous besoin d’hôtels quand le voyage reprendra, même s'il reprend moins et différemment et donc, d’une certaine façon, c’est aussi de notre responsabilité que les talents reviennent dans l'hôtellerie.

Des relations resserrées avec les fournisseurs… Y a-t-il d’autres aspects du rôle du travel manager qui a évolué avec la crise ?

Oui et ça va continuer : beaucoup de nos membres nous disent qu'ils n’ont jamais travaillé en relation aussi étroite avec le risk manager, les RH … C'est une opportunité, il faut que ça perdure : que le périmètre d’action des TM, que leurs relations avec les autres départements soient redéfinis. En outre, le voyage a été plus exposé donc le reste de l’organisation a eu une meilleure visibilité sur leur travail. Et son rôle est devenu plus stratégique, moins tactique et transactionnel.

Un rôle redéfini sous la contrainte de la crise… Mais les TM ont-ils mis à profit cette période particulière pour réfléchir à leur action ?

Avant la crise les TM qui devaient adapter en permanence les politiques étaient comme un conducteur roulant à 100 miles/heure sur l’autoroute et devait changer la roue en même temps. Avec le Covid, le programme de voyage est resté au garage. Et les TM ont eu tout le temps de refaire la mécanique en entier. Et quand ça va sortir du garage, ça va être plus efficace, plus intelligent, plus simple. En tout cas, ça nous permet d’essayer de nouvelles choses en partenariat avec toute la chaîne des fournisseurs, de créer de la prise de conscience, d’éduquer. et aussi de s'adapter à ce qu’a fait naître la crise - l’extension du télétravail, par exemple. Je le répète : c’est une grande opportunité. Comprenez-moi bien : c’est challenging, difficile, complexe parce qu’inconnu mais c’est une opportunité.