Lors de la dernière Convention nationale de l'AFTM, l'enjeu de la digitalisation des OBT a fait l'objet d'une table ronde. L'occasion de s'expliquer pour ces acteurs tant décriés.
La dernière Convention nationale de l’AFTM était presqu’entièrement consacrée à la digitalisation, reprenant le thème du dernier livre blanc récemment édité par l’association professionnelle. L’une des tables rondes envisageait ce processus au sein des OBT.
Pour titiller Cédric Lefort (BCD Travel), Guillaume Ridolfi (SAP Concur) et Laurent Demaret (Neo, propriété d’Amex GBT), l’animateur, François-Xavier Izenic, ne s’en référa pas, comme le titre de cet article, à un film d’animation, mais aux sites de réservation “loisir”, censément plus fluides, intuitifs et simples d’utilisation que les outils professionnels. Pourquoi les OBT corpo ne sont-ils pas capables d’offrir semblable expérience ?
Et d’ailleurs, existe-t-il vraiment, ce hiatus entre booking tool corpo et loisir ? Ou, du moins, est-il si important ? C’est ce dont doute Cédric Lefort en rappelant ce biais cognitif inexorable : réserver ses vacances est un plaisir, un voyage pro, une contrainte. Ainsi répète-t-il en substance ce qu’il aurait entendu de nombreuses fois : “J’ai mis 2 heures à réserver mon week-end, je suis content; j’ai mis plus d’une minute à booker mon avion pro : ça marche pas”.
Mais le mot clé est lâché : contrainte. Guillaume Ridolfi : “Il faut dissocier les attentes des entreprises et celles des utilisateurs. Les solutions “loisir” s’affranchissent de contraintes qui sont celles de la gouvernance d’entreprise - différentes d'une entreprise à l’autre mais complexes quoiqu’il en soit, les canaux de distribution, la façon dont les fournisseurs adressent la clientèle corpo, les besoins particuliers de services dus aux pros (sécurité, RSE…)”.
L’effet “Wow!” de Navan
L’avis est unanimement partagé. Certes, mais une TMC de dernière génération comme Navan provoque un effet “Wow!” par sa proximité avec les sites “loisir” de référence… Les réponses se feront, là encore, à l’unisson, autour de deux arguments.
Laurent Demaret : “Amex GBT gère 7000 clients, 15 millions de transactions par an. Ses plus gros clients opèrent dans 120 pays. Imaginez les problématiques de GDS, de trains, d’agrégation de sources hôtelières multiples (on en a neuf, qui ne parlent pas le même langage et qu’il faut rationaliser).” Sous-entendu : on ne boxe pas dans la même catégorie qu’eux.
Il enfonce le clou : “Nous, on commence plein d’aventures technologiques. Par exemple, Neo One, le petit frère de la solution Neo, qui s’adresse aux PME, et là-dessus, on se lâche !” Et cette précision d’établir un lien vers le second argument que résume Cédric Lefort : “C’est plus facile de partir d’une page blanche que mettre à jour des tech qui ont 10 ou 15 ans”.
Abondant dans ce sens, Laurent Demaret parle de ces cycles d’une dizaine d’années correspondant à la durée de vie d’une technologie et résume d’une jolie formule l’effet d’optique que peut produire la photographie (statique, donc) d’un processus dynamique : “Les plus avancés d’aujourd’hui seront les retardataires de demain”.
Et l’IA dans tout ça ?
L’intelligence artificielle peut-elle constituer une planche de salut pour ces OBT si facilement décriés ? Pour Guillaume Ridolfi, l’IA, en “ultra-personnalisant” l’expérience de réservation tout en absorbant les contraintes de l’industrie et des entreprises, pourrait permettre d’atteindre le Graal de l’UX ultime. Ultime aussi est l’hypothèse qu’il avance tout en reconnaissant que les prospectives sont complexes à imaginer : la disparition des OBT au profit d’une sorte d’assistant personnel.
L’imagination des autres intervenants n’est pas si débordante : l'IA ne remplacera pas l’OBT, il améliorera ses performances. Cédric Lefort pointe en outre un risque lié à l’IA utilisée à des fins de personnalisation : la personnalisation à outrance basée sur l’informatique pourrait nous ranger dans des silos, nous abreuvant de prescriptions trop injonctives en fonction de notre profil. Et connaître un profil, ce n’est pas connaître une personne…
Laurent Demaret rappelle quant à lui que l’IA est utilisée depuis de nombreuses années par les OBT. Il donne un exemple : “On reçoit 30 à 40 millions de photos d’hôtels - leurs chambres, leurs sanitaires, un cours de tennis… Il faut trier tout ça. On a créé un outil de reconnaissance inspiré de la vision du chat !” Mais il reconnaît que l’IA générative offre de nouvelles perspectives, notamment en termes d’interface : on pourrait alors réserver oralement, en langage naturel, son voyage.
Comme cette perspective ne nous paraissait pas folle technologiquement parlant, nous avons interrogé Demaret sur ce sujet. Sa réponse : “Il y a une vidéo de l’époque où notre CEO réserve un voyage avec Siri. Elle date de 9 ans… Mais c’était trop tôt pour séduire… Et il y a 8 ans on a proposé une fonctionnalité “empreinte carbone” pour choisir son option de voyage. Pareil, on nous a dit que ça ne servait à rien”.
Une façon de dire que la meilleure tech du monde, que la digitalisation la plus avancée n’est rien sans l’acceptation par l’humain. En cela, l’une des interventions de Guillaume Ridolfi peut servir de conclusion : "Les OBT ne sont que la synthèse et la partie visible de l’écosystème business travel”. En d’autres termes : c’est peut-être à cet écosystème - fournisseurs comme clients - de se simplifier dans leur fonctionnement. Une autre façon de le dire, due à Cédric Lefort, cette fois : “Peut-être que le tout digital a fait oublier la nécessité d’innovation dans l’organisation aussi”.