Reed & Mackay, c'est un fleuron européen du voyage d'affaires "sur-mesure" racheté pas le disrupteur "prêt-à-porter" Navan. Un choc des coutures sur lequel on a interrogé Johann Smith, récent DG de R&M France.
Vous avez succédé à Julia Vulcain à la tête de Reed & Mackay (R&M) France en mars 2023, deux ans après son acquisition par Navan. Les deux faits sont-ils liés ?
Johann Smith : J’ai remplacé Julia qui est partie pour raisons personnelles. Si le calendrier que vous rappelez et, même, la consonnance anglo-saxonne de mon patronyme pourraient le laisser croire, les deux faits ne sont pas liés : je suis français, j’étais chez R&M avant le rachat par Navan et même chez FFTP depuis 2015, soit deux ans avant que R&M acquiert FFTP.
Vous pouvez donc comparer. Qu’est-ce qui a changé chez Reed & Mackay depuis 2021 ?
A vrai dire, pas grand chose. A la limite, le rachat de FFTP par R&M en 2017 avait été certainement plus impactant avec l’accès à des équipes de développeurs plus fournies. Nous ne sommes qu’au début de cette configuration avec Navan comme propriétaire, mais il s’agit d’établir des synergies, d’utiliser l’effet “taille” pour augmenter notre pouvoir de négociation avec nos partenaires - les compagnies, les GDS, demain les hôtels… - pour offrir un meilleur contenu, de meilleurs tarifs. Cela dit, il faut vraiment différencier les roadmaps de Navan et de R&M. Personnellement, je reporte à R&M UK.
Que du classique lors d’un rachat dans un même domaine d’activité… Mais là, on a un acheteur “tout en un”, très tech, et un acheté très “sur mesure”, “VIP”, avec beaucoup d’humain. Quelle est la stratégie sous-tendue ?
Il faudrait surtout poser la question à Navan. En tout cas, je ne pense pas qu’il y ait incohérence qu’un groupe propose des offres aussi différentes tout en faisant le même métier. Mais je vous reprends sur la présentation que vous faites de R&M. Historiquement, R&M UK a bâti sa réputation sur le service rendu au monde de la finance, les cabinets d’avocats, d’archi… Donc vous avez raison sur le côté VIP. Mais seulement à moitié. Nous travaillons avec des clients de secteurs bien plus variés : la défense, le pharmaceutique…
La culture et le modèle de l’acheteur ne s’imposeront donc pas à l’acheté ?
Ce n’est effectivement pas du tout ce qui est prévu.
Le fait que la marque Reed & Mackay soit sanctuarisée malgré le rachat accrédite vos propos. En maintenant votre nom, quelle identité “Reed & Mackay” Navan a-t-elle voulu conserver ?
Le schéma pour un client R&M, c’est qu’il a son agent de voyage dédié qui fait du booking bien sûr, mais aussi du helpdesk de niveau 1, de la facturation, du conseil. Donc un client n’a qu’un seul point de contact pour régler 90% des problèmes qu’il peut rencontrer.
Vous avez relevé mon erreur sur votre profil “VIP”. Elle est peut-être due à votre communication très discrète. Le fait que nous nous parlions aujourd’hui à votre initiative est-il le signe d’une inflexion ?
Certainement ! Avant, on était vraiment dans le “Vivons heureux, vivons cachés”. Notre croissance se faisait par recommandation client à… 78% ! On vivait donc très bien cachés avec, comme souci constant, les contrôles qualité, la satisfaction client.
Qu’est-ce qui justifie ce changement de pied ?
Deux choses. Déjà, pour FFTP, après deux rachats en 4 ans (pour rappel : par R&M en 2017, puis par Navan en 2021, ndr), il nous semblait important de rappeler qui nous sommes, où on en est, vers où on va. Et l’autre raison, ce sont nos ambitions : multiplier le volume d’affaires de R&M France (chiffres non communiqués, ndr) par deux en trois ans. Avec ces nouvelles ambitions, on va s’adresser au marché pour montrer nos qualités, nos différences.
Ah, mais le voilà, le changement dû à Navan !
Encore une fois : je reporte à R&M UK et c’est de là que mes objectifs émanent…
Et R&M UK reporte à Navan…
(Il sourit) Je ne vais pas inventer des choses qui n'existent pas. Les objectifs de R&M UK sont ambitieux et l’étaient déjà avant Navan.
Quelle stratégie pour atteindre cet objectif ?
Comme vous l’avez déjà souligné : communiquer. Des investissements sont faits en ce sens, d’où, par exemple, le recrutement de Claire Castier comme directrice marketing (présente lors de cet entretien, ndr) en juin dernier. Et, avant tout, en termes opérationnels : étoffer notre proposition d’outils online pour couvrir un maximum de besoins client. Concrètement, aujourd’hui, on travaille avec KDS et Concur. Goelett va bientôt être ajoutée, et encore une quatrième solution en 2024. De plus, on recrée une offre MICE qu’on avait interrompue lors de la crise sanitaire.
Pour quelle cible ?
Tout domaine d’activité, avec un volume de voyages à partir 100.000 € : des grosses PME, des ETI.
De ce point de vue-là, R&M est sur le même segment de marché que son propriétaire Navan….
Oui, mais sans répondre aux mêmes besoins. Notre agnosticisme, notre gestion de la data, du voyage complexe, notre étroit partenariat avec la fonction achat… C’est ce qu’on veut, pour notre part, mettre en avant. Je vous parlais du secteur de la défense, typiquement, c’est notre degré de sécurité et une maîtrise des données très élevés qui font la différence.
Je vous parlais de “qualité” et de “satisfaction client”, c’est capital pour nous. On est ISO 9001, on a des points de contrôles à tous les niveaux en interne. Résultat : notre niveau de satisfaction est de 96%.
Des chiffres soviétiques ! Qui seront maintenus malgré l’éventuel doublement du volume d’affaires en 3 ans ?
C’est bien sûr l'objectif. Avec toujours une même façon de faire que je synthétise : il y a toujours une limite dans les outils “marché”. Nos outils maison sont une suite de solutions qui compensent ces limites… Et la deuxième suite, c’est l’humain, si le rattrapage n’est pas fait automatiquement. Et pour les 80 salariés de R&M France (au sein de R&M qui compte 20 bureaux dans le monde et, avec les agences partenaires, une présence dans 65 pays, ndr), c'est ça le challenge.