Les 27 États membres viennent de raboter les directives CSRD et CS3D, excluant 85% des entreprises du reporting de durabilité. Derrière le discours de "simplification", un recul majeur des ambitions climatiques européennes.
Le 23 juin 2025, le Conseil de l'Union européenne a adopté une nouvelle version allégée des directives CSRD et CS3D, marquant un tournant majeur dans la politique environnementale européenne. Cette décision, prise dans les dernières heures de la présidence polonaise, soulève des questions fondamentales sur l'équilibre entre ambition climatique et compétitivité économique.
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Un accord de dernière minute aux enjeux considérables
L'accord trouvé lundi soir par le Comité des représentants permanents (Coreper) intervient dans un contexte de pression croissante des entreprises européennes. La présidence polonaise a réussi son pari : faire adopter ces modifications avant le passage de relais à la présidence danoise le 1er juillet.
Cette révision s'inscrit directement dans la lignée du rapport Draghi de l'automne 2024, qui pointait la sur-réglementation comme un handicap majeur pour la compétitivité européenne face aux géants américains et chinois.
Des seuils drastiquement relevés
Pour la directive CS3D (devoir de vigilance)
Les nouveaux critères d'application représentent un recul significatif :
- Seuil d'employés : passage de 1.000 à 5.000 salariés
- Chiffre d'affaires : de 450 millions à 1,5 milliard d'euros
- Périmètre de vigilance : limité aux seuls fournisseurs directs
- Responsabilité civile des netreprises : supprimée
Pour la directive CSRD (reporting de durabilité)
L'impact est encore plus spectaculaire :
- Nouveau seuil : plus de 1.000 salariés ET chiffre d'affaires supérieur à 450 millions d'euros
- Conséquence : 85% des entreprises précédemment concernées échappent désormais aux obligations
Une communication bien rodée
Le discours officiel français, relayé par Bercy, met en avant la "cohésion du couple franco-allemand" qui aurait permis de trouver l'équilibre “entre simplification et exigence environnementale". Cette rhétorique masque difficilement une réalité : l'Union européenne cède face aux pressions économiques.
La formule d'Ursula von der Leyen - "L'Europe ne recule pas, elle simplifie" - illustre parfaitement cette stratégie de communication. Pourtant, les chiffres parlent d'eux-mêmes : exclure 85% des entreprises du reporting de durabilité relève davantage de la régression que de la simplification.
Les zones d'ombre de l'accord
D’autres éléments restent préoccupants. D'abord, les négociations demeurent inachevées puisque le nombre d'indicateurs CSRD reste à définir (a priori à la baisse, évidemment) et que les modalités pratiques d'application demeurent floues. Le trilogue de négociation entre la Commission, le Parlement européen et les États membres à l'automne pourrait encore modifier substantiellement la donne.
Le calendrier lui-même pose problème. Avec une directive actuelle suspendue, une application prévue pour janvier 2027 sous réserve d'accord final, l'incertitude réglementaire se prolonge dangereusement pour les entreprises qui ne savent plus à quoi s'en tenir.
Vers une RSE à géométrie variable
Cette révision consacre l'émergence d'un système à deux vitesses. D'un côté, les grands groupes restent soumis à un cadre réglementaire contraignant, bien qu’allégé. De l'autre, les entreprises moyennes basculent vers une logique purement volontaire.
Cette dichotomie soulève des questions fondamentales : comment assurer la cohérence des données RSE dans un système hybride ? Les entreprises "libérées" maintiendront-elles leurs efforts de durabilité sans contrainte réglementaire ? Quelle crédibilité reste-t-il aux engagements climatiques européens ?
Une remise en cause plus large du Green Deal
Au-delà des aspects techniques, cette révision questionne la solidité des engagements européens, alors que le Green Deal était présenté comme la priorité absolue de la Commission von der Leyen. Les signaux envoyés sont pour le moins contradictoires. L'Union maintient officiellement son ambition climatique tout en réduisant drastiquement le périmètre d'application de ses directives et en affaiblissant ses mécanismes de contrôle.
La sérieuse remise en cause de ce qui constituait la pierre angulaire du Green Deal comporte des risques systémiques non négligeables : un effet domino pourrait s'enclencher, affectant d'autres directives environnementales. Ce n'est là qu'une hypothèse mais il y a plus grave, car la perte de crédibilité, elle, est bien certaine : les engagements européens apparaissent désormais comme négociables selon les pressions économiques.