[Paru le 2/03/22] Ils ont tout à la fois les mains dans le moteur en tant que praticiens et le regard qui porte loin et large, en tant que membres impliqués de la GBTA. Nous poursuivons notre série d'entretiens avec ces professionnels qui décident des déplacements au cœur de leur entreprise avec Gehan Colliander, Global Travel Senior Director chez BCG et fut Présidente du Board de GBTA Europe de 2015 à 2017.
La fonction de global travel manager (GTM) est parfois mal identifiée car ses contours varient d’une organisation à l’autre et son périmètre est souvent en partage avec d’autres services. Qu’en est-il pour vous ?
Une rapide présentation de mon organisation : je suis Global Travel Senior director chez Boston consulting group (BCG), un cabinet de conseil stratégique, comprenant plus de 90 bureaux dans plus de 50 pays. Nos collaborateurs voyagent dans le monde entier, là où nos clients l’exigent. Quant à nos experts du voyage, ils sont répartis géographiquement à Stockholm, au Royaume-Uni, en Inde et aux Etats-Unis. Ils gèrent le programme de déplacements des collaborateurs de BCG de bout en bout : on définit les priorités stratégiques de notre programme en lui-même, l’activité de sourcing, la gestion de l’information digitale, les questions de sécurité et de sûreté, et notre capacité à améliorer la durabilité de notre activité voyage.
C’est donc un périmètre très large…
Mon job commence à la phase de mise en place d’une infrastructure interne à mon organisation pour s’assurer de l’optimisation des déplacements : ça, c’est l’objectif ultime. Et il y a dans cette perspective une série d’activités très variées : s’assurer que la configuration est la meilleure, que le modèle de service dans chacun des pays pour servir le voyageur est le plus adapté. Mais ce n’est qu’un aspect des choses... Notre TMC nous alimente en données qui nous permettent de construire une infrastructure de management de l’information, un système de tableaux de bord pour des objectifs de valeurs : pour les besoins du voyageur, à des fins de négociation avec votre fournisseur, des données de durabilité concernant votre empreinte carbone, de nature financière pour la DAF…. C’est donc, effectivement, très extensif.
Vous travaillez donc avec une TMC…
Oui et désormais plus qu’une seule : quand nous avons globalisé notre programme, nous avons réalisé que travailler avec une seule TMC présente des avantages concernant une standardisation des services et opérations; mais aussi et surtout, ça nous permet une meilleure maîtrise de nos datas. Nous travaillons donc exclusivement avec Amex GBT et leurs partenaires.
Vous diriez que votre métier consiste en grande partie en du traitement de data ?
C’est essentiel. Quand le collaborateur réserve son voyage online ou bien à travers l’agence, dès ce moment-là, les données alimentent le système selon les objectifs dont je viens de parler. C'est donc l’un des piliers de mon activité, oui. J’y ajouterais le sourcing, l’opérationnel et le management de l’information. Finalement, le lieu où se retrouvent ces quatre éléments, c’est ce portail de voyage que nous avons créé, où le voyageurs peut réserver, obtenir de l’information sur les fournisseurs, et sur la politique de l’entreprise en termes de voyages (PVE).
Comment la crise a-t-elle impacté votre traitement opérationnel des voyages ? Et ces changements vont-ils perdurer ?
Nous avons évidemment traversé une période sans précédent. Les restrictions sanitaires, les confinements, les frontières fermées… Notre activité voyage a été très réduite. Depuis septembre 2021, on voit des poches de voyages se former notamment aux niveaux domestique et régional et je pense qu’on recommencera à voyager à l’international au printemps de cette année.
Durant la pandémie, on a dû très rapidement mettre à profit notre système d’analyse des données et nos tableaux de bord - pas seulement pour tracer et savoir où se trouvait notre voyageur à l’instant T mais aussi pour avoir de la visibilité sur ses réservations à venir. Cette nécessité était inédite. Nous avons donc créé un tableau de bord le permettant, principalement pour verrouiller les aspects sûreté et sécurité et s’assurer qu’il y avait bien des processus sur place qui nous permettent de pouvoir anticiper les besoins qu’impliquent ces futurs déplacements.
La deuxième spécificité de cette crise, c’est l’accroissement de l’utilisation d’outils digitaux pour pallier l’activité partielle des agences et pour avoir des ressources informatives sur les restrictions et obligations de telle ou telle destination en termes sanitaires.
Dans les deux cas, je pense que ces acquis vont perdurer.
Et cette réduction des voyages, contrainte par la crise, que va-t-il en rester ?
Chez nous comme chez beaucoup d’autres, je pense, on va constater une réduction du volume de voyages liés à une activité interne à l’entreprise (à l’exception du team building qui, je pense, sera toujours une priorité) au profit des déplacements liés aux clients. Ce qui implique aussi des mesures supplémentaires pour améliorer la communication d’un bureau à l’autre.
L'idée générale est de s’assurer que l’on voyage d’une façon qui ait du sens. Nous sommes au service de nos clients et voulons le faire de la meilleure des façons là où ils ont besoin qu’on le fasse. Mais les restrictions existeront et elles viendront même de nos clients eux-mêmes : il faudra être vigilant sur ces sujets. Il faudra en outre s’aligner sur nos propres critères de sécurité/sûreté. Mais les restrictions viendront aussi des objectifs réglementaires de durabilité comme l’engagement net zéro engagement d'ici 2030, la réduction de 50% des émissions de CO2 d'ici 2025. Enfin, la possibilité offertes par les outils permettant de travailler dans un environnement virtuel aura forcément un impact sur nos voyages futurs, y compris dans leur nombre.
La baisse du volume de voyages est inéluctable pour ces raisons, Il y a beaucoup d’analyses qui ont été faites. Et nous avons produit notre propre prospective : sur le long terme, il y aura un impact global à la baisse dû aux outils distanciels… Je suis certaine que les niveaux anciens ne seront jamais recouvrés. La baisse sera peut-être de 15%.
De nouveaux étiages en termes de volumes… Et de nouveaux standards en termes de sécurité ?
Je pense que nous allons assister à une combinaison qui va effectivement aboutir à de nouveaux standards. D’un côté, le voyageur aura des inquiétudes bien légitimes auxquelles il faudra être attentif et répondre. Et de l’autre, la sécurité sanitaire a créé de nouvelles étapes, des délais supplémentaires dans le voyage - autant de temps supplémentaire à allouer pour chacun des déplacements.
Quel est l’état d'esprit de vos collaborateurs qui voyagent ? Prêts à repartir ?
Oui mais ils ont un grand besoin d’assurance. Tandis que nous revenons lentement à une activité normale, les voyageurs ont conscience que leurs voyages vont correspondre à une expérience différente : avec des contrôles, le test PCR qui ajoute de la complexité, et, par-dessus tout, la grande volatilité des décisions prises par les Etats (parfois au moment où le voyageur décolle !). Tout cela crée beaucoup d’incertitude et de complexité pour le voyageur. Les fournisseurs l’ont bien compris et tentent d’y répondre en facilitant le chargement d’un pass sur mobile, en délivrant les informations avant le voyage mais aussi sur les conditions du retour…
La communication dans ce contexte est essentielle…
Nous avons différents canaux de communication avec différents objectifs, de façon directe ou indirecte. Soit à travers les outils digitaux, reprenant tout ce qui relève de la PVE mais aussi de la “leadership communication”, de la communication basée sur le projet, de la communication du bureau local… Cette multiplicité des canaux a pour but de s’assurer que chacune des requêtes individuelles trouve une réponse.
Vous y avez déjà fait allusion… Le voyage post-Covid sera aussi plus durable ?
C'était une priorité stratégique pour notre entreprise avant le Covid. Nous avons décidé de réduire nos émissions par employé de 50% (base : 2018) en 2025 et net zéro en 2030. En premier lieu, cet engagement consiste bien sûr à mesurer notre empreinte carbone et nous avons mis en place un système pour cela.
Pour nous, le voyage, c'est 80% de nos émissions du scope 3. Nous avons fait une évaluation critique de nos émissions dans ce domaine et avons concentré nos déplacements sur les voyages créateurs de valeur. Nous avons également mis en place une task force, très proche aussi bien de la direction que des voyageurs, chargée de définir ce qui sera notre façon de voyager demain et de reparamétrer nos OBT en conséquence. La crise a indéniablement renforcé cette volonté. Dans ce domaine, les objectifs sont décidés au niveau de la direction mais il est évident que la rapidité, la coopération pour que ces objectifs soient atteints dépendent beaucoup de l’énergie, de la motivation et de la volonté des employés. Et dans ce domaine, les jeunes générations sont particulièrement mobilisées. Et chacun sait qu'au final la prise de conscience sur l’enjeu climatique va jusqu’au consommateur et que, dans une logique de croissance aussi, cette démarche est absolument nécessaire.