TMC : Est-on bien servi sur un plateau ?

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La crise du Covid et le traitement des clients "a la mano" qu'elle a nécessité, entre en conflit avec la tendance des grosses TMC à externaliser leurs plateaux, généralement accompagnée de plans sociaux. Qu'en penser ?

Le phénomène n'est pas nouveau. Déjà, en 2013, nos confrères de l'Echo touristique faisaient état d'une externalisation d'une partie du service de réservation rail d’Amex GBT France au Maroc, via un centre d'appels Arvato. Manifestement, l'expérience a été concluante puisque ces délocalisations de plateaux de TMC, doublées ou non d'une sous-traitance, se sont multipliées, chez Amex GBT comme chez d'autres.

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Le sujet est revenu en force, il y a quelques semaines, avec l'annonce de plans sociaux - l'expression est plus adaptée à la réalité que le douçâtre euphémisme "plan de sauvegarde de l'emploi" qui a cours depuis 2002 - chez Egencia et Amex GBT. Ces suppressions de postes (148 dans les deux cas), concernant, pour partie, des personnels dédiés au cœur de métier de ces TMC, s'accompagneraient en effet d'ouvertures de plateaux hors des frontières hexagonales. Le conditionnel est de rigueur puisque si les syndicats nous en informent, les directions ne confirment (ni n'infirment) pas.

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Opacité

Cette discrétion des boards de ces grosses TMC à l'endroit des journalistes est un choix de communication qui relève de leur liberté. C'est plus problématique quand un même manque de transparence s'applique à leurs clients. Un ancien salarié de CWT (Carlson Wagonlit Travel) témoigne : "On appelait le plateau de Bordeaux "The Voice"... L'une de ses fonctions premières était en effet de répondre en bon français, sans accent, aux appels des clients. Mais quand leur requête se faisait par mail, c'était traité au Maroc, à leur insu".

Le voile se lève parfois, cependant. Le patron d'une TMC française raconte l'histoire de ce client qui l'a quitté à regret (filiale d'une entreprise du CAC 40, la gestion des voyages a été centralisée) : "Mon client s'étonnait que les prix proposés par Amex étaient bien plus bas pour des services offline plutôt qu'en online comme chez moi. A force de questionnements, on lui a donné cette explication : l'Espagne pour le traitement de l'aérien, le Maroc pour les hôtels et le rail, la compta en Inde".

> Lire aussi : L'interview du DG et VP de Amex GBT, Yorrick Charveriat

S'il existe bien un tarif "espagnol" pour les clients, si, donc, les baisses de coûts se répercutent - même partiellement - sur le prix, la pratique pourrait relever du win-win. C'est là que les avis divergent. Pour beaucoup de TMC petites ou moyennes, l'éloignement du plateau implique forcément une perte de qualité du service au client.

Contrexemple, ou pas

Le modèle agit même comme un tel contrexemple que Bleu Business s'est récemment choisi comme nouvelle base-line "Ze Mobility management à la française". Un franglais de bon aloi, dont la traduction pourrait être : "Eux (les GBT, CWT, Egencia), c'est eux; nous, c'est nous". Jean-Pierre Lorente, PDG de la TMC lyonnaise, va jusqu'à estimer que cette stratégie de "low costisation" des grosses TMC ouvre "une fenêtre de tir inespérée" pour les "petites".

> Lire aussi : "La stratégie des gosses TMC nous ouvre une fenêtre de tir inespérée"

Yann Le Goff, acheteur de voyages pendant plus de 10 ans, est plus mesuré à ce sujet. Les plateaux à l'étranger, ce n'est, pour lui, pas un problème a priori : "Ce qui peut poser problème, c'est que le client n'ait pas une seule porte d'entrée : que l'hôtellerie et le transport, par exemple, ne soient pas gérés par le même plateau; qu'il y ait un problème d'interface rendant peu fluide la transmission de la policy de l'entreprise vers la TMC et ses équipes". Des écueils qui se présentent avec plus d'acuité quand les plateaux sont éloignés, certes, mais qui ne sont pas insurmontables... et contre lesquels, en outre, la proximité ne prémunit pas.

Preuve que la proximité du plateau n'est pas une garantie de la qualité du service rendu, ce sont de plateaux français dont parle l'ancien salarié de CWT quand il explique : "Sur les plateaux, tout était normé et contrôlé. Par exemple, 90 % des appels téléphoniques devaient être pris en moins de 30 secondes. Quand ce taux était atteint, les agents de voyages ne répondaient plus. Un objectif dépassé, c'était, pour la direction, le signe qu'on pouvait encore charger la mule : de nouveaux clients y étaient redirigés".

Cela dit, Yann Le Goff ajoute : "En tout état de cause, la sous-traitance d'un certain nombre de dossiers par des plateaux à l'étranger ne peut et ne doit pas se faire en catimini : ce mode de fonctionnement implique des enjeux particuliers, notamment en termes de sécurité, auxquels l'entreprise et la TMC doivent réfléchir et valider ensemble."

Equilibre, ou pas

Entre ces deux positions - celle de la plupart des petites et moyennes TMC qui voient dans la proximité des plateaux une garantie de valeur ajoutée qualitative, et celle de l'acheteur, soucieux du service mais aussi du prix, on trouve une position intermédiaire qui peut être incarnée par Tristan Dessain-Gelinet, manager de Travel Planet (TP).

Précisons que sa TMC a recours à un plateau à l'étranger - à Vancouver, et non externalisé (les salariés le sont par une filiale TP) : on fait mieux comme dumping social. Ce choix est lié aux fuseaux horaires et l'objectif est un service H24. Cette répartition, selon des critères de fonctionnalité, du local et de l'internationalisation peut apparaître comme une option équilibrée, surtout quand le même ajoute : "Pour des services basiques, il n'y a pas de raisons de croire que des plateaux à l'étranger soient moins efficients".

Erreur ! Car le parti pris du CEO comporte une bonne dose de radicalité au final : "Pour les opérations basiques, on peut délocaliser sans baisse de la qualité de service, oui. Où ? En Espagne aujourd'hui, au Maroc demain, puis en Inde, et après au Bangladesh ?... C'est une fuite en avant. Ces opérations basiques doivent être gérées online. Ca pose le problème de l'éducation de certains clients qui veulent avoir quelqu'un en direct pour réserver un billet de train, certes, mais c'est ça le principe."

Quant aux plateaux, ils ne se justifieraient que pour les opérations complexes : conciergerie, service premium, VIP, patron-diva (peut-être un article à ce sujet un de ces jours) ou situations d'urgence - imaginons par exemple, au risque de verser dans la science-fiction de gare, un virus qui se propage à travers le monde et implique des opérations de rapatriement/annulation/solution de relogement d'urgence/etc en cascades. 

Reste que la stratégie des grosses TMC semble bien orientée sur la délocalisation/sous-traitance en mode accéléré, alors même que l'année qui vient de s'écouler a nécessité davantage d'huile de coudes au cas par cas que des process standardisés, appliqués dans des centres d'appels - Webhelp, notoirement - par des "agents de voyages" formés en quelques semaines. Pour quelle raison ?

What's the point?

Il existe une hypothèse, et certainement pas beaucoup plus : que la réduction des coûts des grosses TMC rencontre la volonté de très grosses entreprises de négocier leur politique voyages globalement. Pour deux raisons : les économies d'échelle induites et que ce regroupement de vastes zones géographiques sur un seul site, voulu par les grosses TMC, soit le vecteur d'une centralisation des décisions et actions de ces multinationales clientes, au risque, connu et assumé, d'un moins-disant en termes de service.

Cette hypothèse, elle est émise par Grégory Mavoian, CEO de la TMC Globeo Travel. Mais de façon ambigüe : "Je ne crois pas à ça. Je crois au contraire à la personnalisation du service, c'est l'inverse". Mais le même d'ajouter : "Peut-être que ce vaste mouvement de délocalisations - sur lequel on n'a pas de visibilité exacte car c'est entouré de secret - va faire émerger de nouveaux acteurs".

Et le même de conclure par une perspective que d'aucuns jugeront ironique ou déprimante : "Ce cycle va s'achever à un moment ou à un autre et quand l'internationalisation aura montré ses limites, eh bien, les gros rachèteront ces nouveaux acteurs".