TOTEC22 – M.-E. Caspar (Western Union) : « Face à la crise, la RSE est une opportunité »

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TOTEC22 - M.-E. Caspar (Western Union) :
Marc-Elie Caspar, DG France et Benelux de Western Union Business Solutions, lors du TOTEC 2022. (Ph. DK)

Lors du dernier TOTEC, la question "Crise économique et RSE font-elles bon ménage ?" a été posée à Marc-Elie Caspar, DG France et Benelux de Western Union Business Solutions (WU). Il y répond plus en détail pour DeplacementsPros...

Avant de parler de la compatibilité entre stratégie RSE et confrontation à la crise, se pose la question de la crise. Est-on dedans ?

Marc-Elie Caspar : Selon moi, non. Bien sûr, des signaux noirs s’accumulent. J’en vois cinq : récession, inflation, difficultés de recrutement, crise sociale liée au pouvoir d’achat, et hausse des taux d’intérêt. Mais la crise n’est pas inévitable. 

De toute façon, si on pose cette question pour se pencher sur l’opportunité d’une stratégie RSE pour les entreprises, on prend le problème par le mauvais bout. On vit dans un contexte de crise permanente depuis des dizaines d’années. Pour ne parler que des deux dernières décennies : éclatement de la bulle internet, subprimes, Covid, guerre en Ukraine. Ce qui est nouveau, c’est la diversité des chocs en un temps réduit, voire concomitamment. En réalité, le chef d’entreprise vit en permanence entre deux chocs et sa raison d’être c'est de s'y adapter. 

Et cette adaptation, selon vous, passe par la RSE. La RSE ne serait donc pas uniquement compatible avec la crise : elle est sa réponse…

Exactement. Trois exemples… Le Covid a eu pour conséquence la fermeture de la Chine qui a elle-même éveillé les consciences sur notre trop grande dépendance à la production chinoise. Les dirigeants cherchent depuis à rapprocher leurs zones d’approvisionnement et, par effet ricochet, œuvrent pour une certaine sobriété énergétique en réduisant les distances.

Par ailleurs, les entreprises ont du mal à recruter mais aussi à retenir les générations les plus jeunes : soit on assiste à des phénomènes de “grande démission” soit, pire, de “démission silencieuse” (de désinvestissement du collaborateur, ndr). Les entreprises qui auront le moins de difficultés à recruter les meilleurs talents sont celles qui proposeront un alignement parfait entre les valeurs qu’elles annoncent et mettent en oeuvre, en adéquation avec celles de ces jeunes générations : l’égalité hommes-femmes, l’inclusion des personnes en situation de handicap, la sobriété carbone…

Enfin, 40% des investissements en Europe sont ISR (investissements socialement responsables) et cette proportion est en constante augmentation : les banques cherchent à placer leurs fonds dans des produits qui favorisent le développement durable et la pérennité des entreprises. En parallèle, on sait que les taux d’intérêt en forte hausse vont rendre l’accès au crédit difficile pour les entreprises. Les grands gagnants seront ceux qui seront capables de démontrer qu’ils ont une politique socialement et environnementalement responsable. A ce titre, la crise est accélératrice de la transformation de l’entreprise puisqu’on va effectivement rediriger de plus en plus les investissements vers les entreprises vertueuses.

Chez WU, vous suivez cette exigence ISR ? Et que faire de vos actifs plus anciens, à l’époque où la RSE n’était pas au centre des critères d’investissement ?

Oui, bien sûr, ce serait irresponsable de faire autrement. Le risque, en termes de réputation, est trop grand désormais. Quant à nos actifs plus anciens… Franchement, je n’en vois pas qui soient problématiques chez Western Union Business Solutions qui, je le signale, sera rebaptisé Convera dans quelques semaines. Si c’était le cas, la solution ne serait pas forcément le désinvestissement mais la pression sur les boards…

Vous parlez de “mettre l’humain au centre de la société”. Ce lyrisme ne doit pas masquer le fait que, pour vous, l’engagement RSE relève donc d’une rationalité économique…

Oui ! Le lyrisme est de pure forme. Pour moi, effectivement, l’engagement RSE, c’est du pragmatique pur de la part d’un dirigeant qui veut assurer la pérennité de son entreprise, son développement dans le temps. Mais je reprends l’expression que vous qualifiez de lyrique : se concentrer sur la place de l’humain dans la société implique une stratégie qui va répondre aux enjeux climatiques, d’inclusion, de responsabilité sociale, d’éthique des affaires…

Toute rationnelle qu'elle soit, toutes les entreprises n’en sont pas convaincues. D’où un certain nombre de dispositifs légaux…

Depuis 2019, les grandes entreprises ont l’obligation de remplir un rapport RSE renforcé par la loi PACTE qui pose la question de la raison d’être de l'entreprise; 2021, c’est la loi Climat et Résilience qui renforce la notion d’éco-blanchiment : un dirigeant pris en défaut de greenwashing - un hiatus entre la communication et les actes et ou les chiffres) s’expose à des sanctions. Il y a aussi la DPEF (déclaration de performance extra financière) que doit renseigner chaque année certaines entreprises. Aujourd’hui, ça concerne seulement les grandes entreprises mais en fait, par ruissellement, ça concerne toute l’économie. Parce que les PME et TPE - 99% des entreprises dans le monde - dépendent de ces grands groupes et vont devoir se conformer à ces exigences si elles veulent rester leurs fournisseurs.

Prenons le cas de la DPEF. Elle n’est pas assortie de sanctions…Le regrettez-vous ?

Il n’y a pas de sanction légale, mais il y en a une autre, simple et directe : celle des marchés. : les investisseurs hésitent car à partir du moment où la réputation de l’entreprise est à risque, on touche un actif intangible de l’entreprise - le “goodwill” - qui fait partie intégrante du bilan, de la performance de l’entreprise.

L’UE, pourtant, tente de mettre une pression plus grande…

Oui. En 2024, il y aura la directive sur le “corporate sustainability reporting” qui va obliger les grandes entreprises à encore affiner leur éléments extra-financiers et les obliger à les déclarer. L’ambition de l’UE est de mettre au même niveau les données financières et extra-financières dans la manière dont on analyse les entreprises. Et, dans la foulée, ce sont toutes les agences de notation et donc les investisseurs qui vont s'aligner. Je le répète : la RSE est une opportunité formidable. Dans un monde qui se rétracte au niveau économique, où les consommateurs sont des arbitres, la compétition va se faire aussi sur les marques qui proposent les produits. Toutes les entreprises cherchent l’engagement de l’acheteur. Or, en période de crise, la valeur refuge, c'est la confiance qui repose sur la crédibilité, notamment sur la capacité à faire vivre les valeurs de l’entreprise. Pour ces raisons, je pense que la RSE va être un facteur de performance.

Dès lors qu’on est une entreprise de services, le voyage d’affaires est une source d’économie importante en termes d’émissions carbone. Qu’en est-il chez WU ?

Il est un peu simpliste de réduire l’empreinte carbone de l’entreprise aux déplacements des salariés. La question qui se pose c’est : se déplacer pour faire quoi ? Quand on mobilise nos équipes sur des projets structurants tels que la RSE, vient un moment où il faut se rencontrer, partager des moments en commun pour partager des valeurs en commun. En revanche, le déplacement n’est pas pertinent à chaque fois, et c'est là que la technologie nous aide… Chez WU, en France, nous avons développé durant la crise sanitaire une salle des marchés en ligne. Autrefois, la salle des marchés, c’était par téléphone, avec des visites chez le client. Ce qu'on a développé pendant le Covid, c’était la possibilité, pour nos client, de donner des ordres et de suivre les marchés partout, à partir d’une plateforme. Pour autant, on n’a pas supprimé les visites pour faire un point et resserrer l’intimité qu'on a avec le client. Mais ces visites, grâce à l’amélioration de la communication à distance en amont, sont plus qualitatives. Donc on n’a pas forcément réduit nos déplacements mais on en a amélioré la qualité. La sobriété, ce n’est pas l’interdiction ou la disparition, c'est l’intelligence de l’action qu’on réalise.