Tribune : ISO 20400, une norme essentielle de responsabilisation des achats Travel

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Christophe Drezet, directeur associé au sein d’EPSA GROUPE conseille les entreprises sur les tendances du moment. Dans cette tribune, il s’exprime sur le critère RSE dans les achats Travel.

Aujourd’hui, on le sait, la société toute entière effectue un virage historique vers une consommation plus durable, une économie plus responsable. L’urgence climatique fait plus que jamais partie de notre quotidien. La pollution des mers, la déforestation, les gaz à effet de serre, la sécheresse cet été ou encore les récentes inondations dans le sud de la France remettent en question notre mode de consommation. Cette prise de conscience a été évidemment amplifiée par la crise de la covid 19 et le confinement sans précédent qui a tout à la fois validé les thèses des lanceurs d’alertes et mis un coup de frein à notre économie. Coup de frein dont nous sommes loin d’avoir subi tous les effets.

Les millenials qui ont grandi dans ce contexte d’urgence climatique ont développé la notion de responsabilité communautaire, à l’image de Greta Thunberg qui n’hésite pas à mettre les politiques face à leurs responsabilités. Ces nouvelles générations sont à la recherche d’un mode de vie plus respectueux de la planète et les entreprises l’ont bien compris. En effet, pour elles, le durable devient une proposition de valeur, une véritable stratégie, oublié le green-washing de façade.

Prise de conscience

Les politiques aujourd’hui ne sont pas en reste. A la suite de la prise de conscience de la société civile, et ce depuis une dizaine d’années, de nombreuses lois, règlementations et normes fleurissent à travers le monde et s’harmonisent petit à petit pour apporter une cohérence à un programme durable encore fragile. On peut notamment parler du concept de RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises, CRS en anglais), concept central alimenté par plusieurs lois édictées au fil des années.

L’urgence climatique bien réelle, les exigences des nouvelles générations, les politiques de plus en plus encadrées, tout cela amène naturellement les entreprises à réinventer leurs stratégies pour y injecter les notions de durabilité, d’éthique et de responsabilité. Cela s’observe à tous les échelons, dans tous les services de l’entreprise. Ainsi, dans le domaine qui nous intéresse, le travel management et la fonction achats connaissent une évolution parallèle vers le durable qu’il est intéressant de faire converger. Dans cette optique, la nouvelle norme ISO 20400, qui adapte la dimension responsable aux achats, est un outil aussi complet qu’essentiel.

Le coût de cycle de vie plutôt que le prix

Aujourd’hui les acheteurs ne s’intéressent plus simplement au prix d’achat d’un produit ou service mais bien à son coût de cycle de vie englobant son coût total de possession (ou TCO Total Cost of Ownership qui prend en compte le coût d’acquisition, le coût d’utilisation et le coût de fin de vie), les risques et opportunités qu’il induit pour l’entreprise, ainsi que les externalités environnementales, sociétales et sociales pour l’entreprise et les citoyens. On verra dans la suite de cet article que le coût de cycle de vie est la question centrale de la norme ISO 20400.

Le business travel, fortement impacté par la covid19, ne peut faire l’impasse d’une remise en question souhaitable (indispensable) concernant les enjeux du RSE et de la neutralité CO².

Privilégier la visioconférence, éviter les voyages longs courriers, privilégier les alternatives de transport moins polluantes ou encore favoriser les compagnies qui investissent dans le renouvellement de leur flotte sont quelques-unes des mesures plébiscitées par les directions et les voyageurs d’affaires. Cette volonté d’agir est encore difficile à concrétiser pour les différentes parties prenantes. Nous sommes à un moment charnière, dans un entre deux compliqué à gérer, avec un fort besoin d’accompagnement vis-à-vis des voyageurs.

Heureusement des solutions et des initiatives existent pour concrétiser des politiques voyages durables avec des acteurs prêts à des concessions. D’après le rapport « Voyages d’affaires Indice de durabilité 2020 » édité par SAP Concur, parmi les décideurs, un tiers des répondants sont prêts à augmenter le budget voyages de 11 à 20% pour une politique plus durable. Du côté des voyageurs, plus d’un tiers des répondants sont prêts à augmenter leurs temps de voyages de 2 à 4h pour en améliorer la durabilité. Par ailleurs les mesures incitatives sont largement plébiscitées par les voyageurs et déjà mis en œuvre par certaines sociétés de premier plan.

De très bonnes nouvelles qui illustrent les changements profonds en cours…

On peut notamment citer Ikea et le décompte carbone ajouté à son outil de réservation interne ou encore la taxe carbone interne mise en place par l’OCDE. Grâce au bilan carbone établi chaque mois, service par service, par AirPlus Green Report, l’organisation internationale valorise ses émissions de CO2. Chaque tonne émise est multipliée par 30€ et transformée en taxe redevable par chaque direction en fonction de ses déplacements. Plus innovante encore est l’initiative de T-Mobile qui a mis en place un système de gamification : Plus le collaborateur réserve en avance, au prix le plus intéressant et en privilégiant les partenaires de l’entreprise, plus il cumule de points qui seront ensuite transformés en nombre d’arbres replantés à Haïti dans le cadre d’un programme de reforestation.

Les fournisseurs ne sont pas en reste puisque les compagnies aériennes et ferroviaires investissent pour moderniser leurs flottes et intégrer les dernières innovations technologiques durables ; les chaînes hôtelières font quant à elles des efforts pour réduire leur empreinte carbone et valoriser les comportements responsables des clients dans les programmes de fidélité. De leur côté, les agences de voyages misent sur la dématérialisation ainsi que les outils technologiques et alertes, on peut notamment citer l’outil de visualisation des émissions carbones édité par Egencia en 2019.

Enfin les achats travel sont de bons candidats aux achats responsables et à la norme ISO 20400, formidable outil de responsabilisation. En effet, la catégorie travel est une « catégorie 360° » qui commence par les achats et dans laquelle, les acheteurs peuvent insuffler la dimension responsable dès le choix des fournisseurs et des outils. Or, à ce jour, seuls 15% des cahiers des charges travel comportent des articles RSE. Cela doit changer et la norme ISO 20400 donne des lignes directrices, simples à appliquer.

La norme ISO 20400

Créée en 2017, elle est la traduction de la norme RSE 26000 pour la fonction achats. Elle intègre les exigences de la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique – également nommée loi Sapin 2 – et la loi sur le devoir de vigilance. Cette loi s’applique dans toutes les organisations quelle que soit la taille ou l’activité. Elle a pour objet l’intégration de la RSE (telle que décrite dans la norme ISO 26000) dans les processus achats, processus prenant en compte la totalité du cycle allant de l’identification des besoins jusqu’à la fin d’un contrat de service ou la fin de vie d’un bien, incluant son élimination.

On parle d’achats responsables : achats dont les impacts environnementaux, sociaux et économiques sont les plus positifs possibles sur toute la durée du cycle de vie. Un achat responsable englobe les aspects de responsabilité sociétale liés aux biens et services et aux fournisseurs intervenant dans les chaînes d’approvisionnement. L’achat responsable contribue à la réalisation des buts et des objectifs de responsabilité sociétale de l’organisation ainsi qu’au développement durable en général et répond à 7 questions centrales :

  • Environnement : prévention pollution, utilisation responsable des ressources, atténuation des changements climatiques, protection de l’environnement et de la biodiversité ;
  • Droits de l’homme : Notions de diligence raisonnable et de devoir de vigilance ;
  • Gouvernance : mise en place d’une stratégie d’achats responsable au niveau de l’entreprise, de process achats responsable concrets ainsi que de communication des initiatives
  • Conditions et relations de travail
  • Loyauté des pratiques : lutte contre la corruption, la manipulation et la concurrence déloyale. Promotion de la loyauté des pratiques dans les chaînes d’approvisionnement, respects des droits de propriété ;
  • Questions relatives aux consommateurs
  • Communauté et développement local : implication auprès des communautés, éducation, culture, création d’emploi, développement des technologies, création de richesse, santé, investissement dans la société.

Un véritable guide des achats responsables

Cette norme aide les acheteurs et les décideurs à intégrer un processus d’achat responsable dans la stratégie de l’entreprise mais aussi à structurer la fonction achat autour de la RSE et plus concrètement à intégrer la RSE dans le processus d’appel d’offre et la gestion des contrats fournisseurs.

On l’a vu, les achats en général et les achats travel en particulier ont eu des évolutions parallèles qui aboutissent naturellement à la dimension responsable et durable si prégnante dans le contexte actuel. La norme ISO 20400, qui traduit la norme RSE 26000 pour la fonction achat est un outil à la fois cadre théorique et guide très concret pour des achats responsables. Le travel, touché au premier chef par les crises climatiques a tout à gagner à structurer ses achats avec cette norme. La volonté durable, bien réelle dans le travel, mais encore difficile à mettre en place peut en effet bénéficier d’outils tels que cette norme.

Dans une industrie en plein questionnement sur son avenir, la prise en compte de cette norme permet de fixer un nouveau cap. Il reste maintenant à changer l’approche liée à la rémunération variable des acheteurs en intégrant, au-delà des économies financières, les économies de CO² réalisées.