Tribune JL Baroux – ITA et TAP : disparition ou indépendance ?

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Tribune JL Baroux - ITA et TAP : disparition ou indépendance ?

Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes. Créateur du World Air Transport Forum et de l’APG, il se penche dans cette tribune sur l'opportunité de rapprochements entre compagnies européennes, via les cas ITA et TAP.

C’est le feuilleton à la mode : ITA va-t-elle se faire racheter par Air France/KLM après que l’alliance Lufthansa/MSC a tenu la corde et TAP Air Portugal suivra-telle ITA dans le groupe franco-néerlandais, puisqu’apparemment il a été choisi par le transporteur portugais ? Pour tout dire, je m’interroge sur l’opportunité de tels rapprochements. Après tout, il s’agit de compagnies importantes même si elles ne sont pas dans les géants mondiaux. Alors ne peuvent-elles pas survivre tout seules ? Le transporteur italien opère 63 appareils et il en a encore 63 en commande . Quant au Portugais, il est à la tête de 96 avions et a passé commande pour 10 supplémentaires. Voilà qui devrait largement assurer le devenir des deux compagnies.

Et puis quels avantages Air France/KLM pourrait-elle tirer de son entrée au capital de ces transporteurs ? La première réponse qui vient à l’esprit est défensive. Cela empêche l’un et l’autre de se retrouver chez un concurrent : Lufthansa ou IAG, c’est-à-dire British Airways. C'est bien compréhensible. Par contre, en échange, cela entraine de nouvelles responsabilités économiques mais également managériales.

American style

Les rapprochements entre les compagnies européennes sont très différents de ceux pratiqués aux Etats-Unis souvent donnés en exemple. Sur le continent nord-américain, les fusions sont brutales et immédiates. Dès qu’une compagnie a pris la main sur une autre, la marque rachetée disparait instantanément au profit de celle de l’acquéreur.

Ainsi Continental Airlines a disparu profit de United Airlines, tout comme Western Airlines qui est devenue du jour au lendemain Delta Air Lines. Le seul exemple contraire, celui de la fusion entre America West Airlines et American Airlines, l’acquéreur, en l’occurrence America West, a jugé préférable de garder la marque American plus implantée dans le marché. Alors, les salariés des compagnies rachetées doivent instantanément épouser la marque de leur prédateur. Cela simplifie considérablement le management des équipes et la prise de décision. Et pourtant cela n’a pas sauvé les trois géants United, Delta et American de passer par le dépôt de bilan à l’américaine, le « Chapter 11 ».

La marque des Etats

Ce n’est pas la même chose en Europe. Les Etats sont très attachés à leur compagnie aérienne qui, très souvent, porte la marque de leur pays. Dans le cas de leur rachat par Lufthansa, chaque compagnie nationale - Brussels Airlines, Swiss ou Austrian Airlines - a gardé son identité. C’est également ce qui s’est passé lorsqu’Air France a pris la main sur KLM ou quand British Airways a fait de même avec Iberia. Si on avait suivi la pratique américaine toutes les marques rachetées : KLM, Iberia, Brussels Airlines, Swiss, Austrian et j’en passe, auraient disparu et Transavia s’appellerait Air France Express.

La personnalisation des compagnies européennes est trop forte et faire disparaître la marque serait une atteinte portée à l’intégrité des Etats. La conséquence est que le management des équipes, qui chacune garde sa propre culture, est devenu beaucoup plus difficile. On l’a bien vu dans les rapports entre Air France et Alitalia lorsqu’il était question que le transporteur français fusionne avec l’italien. En dépit des efforts déployés par les équipes d’Air France, il n’a par exemple pas été possible d’unifier en 6 ans les systèmes de réservation et d’enregistrement. Pourquoi en serait-il différemment aujourd’hui ?

Rapprochement

On peut également se demander pourquoi les gouvernements italien et portugais veulent à toute force revendre leur transporteur national. Pourquoi ne seraient-ils pas capables de vivre tout seuls ? On dit que c’est une question de taille. Je n’en crois rien. Une compagnie comme Air Caraïbes vit très bien avec une taille quatre à cinq fois inférieure à celle des transporteurs mis à l’étalage. Alors, il parait également que l’Etat est un très mauvais actionnaire et qu’il empêche les compagnies de se gérer de manière économiquement saine. Il y a pourtant un contre-exemple, c’est celui d’Ethiopian Airlines qui appartient à 100% à l’Etat éthiopien, lequel n’a jamais mis les pieds dans sa gestion, indépendamment des difficultés que le pays a traversées.

On rétorque que les marchés étant mondiaux, les compagnies doivent être capables de faire des offres globales. Mais alors à quoi servent les alliances ? Qui empêche ITA ou TAP de passer des accords commerciaux avec des compagnies dont le réseau est complémentaire au leur ?

Au fond, on voir beaucoup plus d’inconvénients que d’avantages aux rapprochements à la mode européenne. Les réticences des personnels de cultures différentes à travailler ensemble sont considérables. Chacun veut que l’autre se conduise comme il le ferait lui-même. Alors les prises de décisions deviennent tellement longues et douloureuses qu’elles sont souvent dépassées lorsqu’enfin elles sont actées.

Une coopération forte entre les compagnies n’implique pas forcément un rapport capitalistique entre elles. Finalement, un transporteur est profitable lorsqu’il est bien géré et ce, qu’elle que soit sa taille.