Comment les compagnies du Golfe s’en sortent-elles ?

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Comment les compagnies du golfe s'en sortent-elles ?

Bien que rivales, les compagnies du Golfe connaissent, depuis la crise, une communauté de destins : des difficultés intrinsèques à leur modèle économique.

Elles ne font bien sûr pas exception à la règle : les compagnies aériennes du Golfe sont très fortement impactées par la crise sanitaire. Mais, au départ de l'Hexagone, leur situation se caractérise par une difficulté supplémentaire : leur hub moyen-oriental, d'où se projettent leurs dizaines de destinations internationales, se situe dans des pays qui classent la France dans les pays à risques.

Rivalité

C'est un point commun que partagent les trois compagnies majeures du Golfe persique que sont Emirates, Qatar Airways et Etihad, qui par ailleurs se positionnent comme de féroces rivales l'une par rapport aux autres. La période du confinement l'a encore illustré. En mars dernier, Emirates et Etihad cessaient leurs liaisons passagers pour se concentrer sur le transport de fret et, occasionnellement, les vols de rapatriement. Dans le même temps, Qatar Airways a mis toute son énergie à maintenir près d'un tiers de ses vols réguliers qu'elle irriguait en rapatriement de personnes, transports de fournitures médicales et autres fret. Comme le rappellent nos confrères de Aerotime, avec 17,8 % du marché mondial, la compagnie qatarie est même devenue le plus gros transporteur du monde durant quelques semaines.

Entre les deux compagnies émiraties d'un côté et la compagnie qatarie de l'autre, la rivalité qui s'exerce dépasse de loin le monde de l'aérien. La compagnie a en effet lancé une procédure d'arbitrage international à l'encontre des Emirats arabes unis (EAU) - ainsi que contre Bahreïn, l'Arabie Saoudite et l'Egypte. Ces quatre Etats ont en effet imposé un blocus aérien, maritime et terrestre contre le Qatar. Les arbitrages visent à obtenir 5 milliards USD de réparation. On est donc très loin d'un panarabisme uni et solidaire.

Destins communs

Mais si la crise exacerbe la concurrence entre ces trois acteurs, elle a aussi pour effet contradictoire de leur rappeler qu'elles partagent, à leur corps défendant, une communauté de destins. Abu Dhabi pour Etihad, Dubaï pour Emirates - deux des sept capitales émiraties et Doha, capitale du Qatar, pour Qatar Airways sont en effet sur des positions fermes quant à l'entrée sur leur territoire des voyageurs de l'OCDE, et notamment français. Les règles en vigueur diffèrent cependant entre ces trois destinations, de l'obligation d'un test PCR négatif effectué dans les 72 heures avant le vol pour Dubaï à une fermeture pure et simple pour tous les Français, à l'exception, après autorisation, des résidents pour Abu Dhabi.

Contraintes

Mais même dans le cas le moins contraignant - la présentation d'un test négatif, les écueils ne manquent pas. Ainsi, par exemple, Emirates précise-t-elle qu'elle ne devra être tenue responsable dans le cas d'un test effectué dont les résultats ne seraient délivrés qu'après la date de vol prévue... Ou encore : si un test est nécessaire pour se rendre sur une destination au départ de la France, il sera nécessaire pour le retour avec, en cas de test positif, l'obligation de rester plusieurs jours supplémentaires sur place. La contrainte est si élevée qu'Emirates prend à sa charge l'ensemble des frais si un pareil cas advient.

Car pour des raisons moins rationnellement médicales qui seraient basées, notamment, sur la circulation du virus sur tel territoire, que pour des considérations diplomatiques s'appuyant sur des négociations donnant-donnant, c'est généralement la réciprocité des mesures qui prévaut. Fatma Almehairi, Country Manager France d'Etihad : "Les discussions entre la France et les Emirats Arabes Unis (EAU) se poursuivent sur l'assouplissement des mesures mais c'est très dur".

Fret

Dans ces conditions, forcément, remplir des avions relève de la gageure. Pour Emirates, les vols au départ de la France se concentrent sur Paris-CDG au détriment de Lyon et Nice. Cédric Renard, directeur Général France de la compagnie, explique : "En Septembre 2019, Emirates a opéré 90 vols au départ de Paris, 30 au départ de Lyon et 30 au départ de Nice, soit 150 vols depuis la France. En septembre 2020, 60 vols auront été opérés au départ de Paris. Nous proposons au départ de la province française des pré/post acheminements pour rejoindre CDG en TGV.

60 vols contre 150, une baisse très substantielle (et économiquement intenable à terme) de 60 %, certes, mais qui s'avère modérée au regard des circonstances. Et que dire des 12 vols quotidiens d'Etihad au départ de la France contre... 14 un an auparavant ? "Ce sont de vols passagers mais nous transportons également du fret", nous éclaire Fatma Almehairi. Dans ces deux cas, la solution tient en un mot : B777, ce fameux "triple-sept" permettant le transport mixte de fret et de voyageurs et qui, bien que sorti des usines Boeing en 1994, semble avoir été conçu pour répondre à la situation actuelle. De quoi sauver les meubles.

Pudeur

Mais Cédric Renard ajoute : "En France, la compagnie a envoyé un signal fort avec le retour de l'A380 dès le 15 juillet : c'est la seule compagnie à opérer un A380 quotidiennement sur CDG (en complément de l'autre quotidien opéré sur le B777)". Le terme important, ici, c'est "signal". Emirates, comme les autres veut redonner confiance, signifier qu'elle se projette dans l'avenir, parler de voyage plutôt que de Covid, éloigner de son nom la dimension anxiogène de la pandémie. Sur les sites de ces compagnies, les informations sur les restrictions sanitaires imposées par les territoires de leur hub - pourtant capitales - sont en retrait par rapport aux mesures prises par la compagnie elle-même. C'est le site d'Emirates qui offre l'accès à l'information réglementaire en fonction de sa provenance et de sa résidence le plus direct et le plus complet. Chez Qatar Airways, il faut fouiller en bas de homepage. 

"New Premium"

L'équilibre est dur à trouver entre information pratique indispensable et volonté de ne pas trop en faire à défaut d'être anxiogène. D'autant que, dans le même temps, la communication sur les mesures de sécurité sanitaire prises à bord est capitale : un jeu d'équilibriste, donc, et un nouvel argument de vente. Les compagnies du Golfe ont toujours axé leur communication sur leur haute qualité de service. Désormais, pour décliner le "new normal" dont parlent les Anglo-Saxons à propos des nouveaux standards que la crise sanitaire impose, c'est comme si émergeait un "new Premium" qui s'adresse notamment aux voyageurs d'affaires.

Ainsi au cattering de qualité, aux classes avant soignées, à la qualité de leur hub, de leurs salons ou de leurs services avec chauffeur s'ajoutent des labels maison, tels Etihad Wellness, à base de gels hydroalcooliques, de masques de protection, d'écrans anti-microbiens sur les comptoirs de transfert, de services de nettoyage zélés des cabines... Une nouvelle ligne ajoutée aux critères d'excellence qui pourrait se résumer par les propos de Cédric Renard pour le compte d'Emirates : "Notre promesse d’excellence Fly Better a été renforcée avec le Fly Safer, avec un ensemble complet de protocoles et de mesures sanitaires."

Flexibilité

L'autre argument de vente clé de cette reprise du business travel qui se fait attendre, "c'est de se préparer à la reprise avec les TMC et les entreprises clientes, de les rassurer sur la flexibilité des options commerciales : billets modifiables ou échangeables sans frais, avoir ou remboursement en cas d'annulation", explique Fatma Almehairi pour Etihad. Quant à Qatar Airways, elle met en avant son "milliard d’euros (1,2 milliard US, ndr) de remboursements auprès de 600.000 passagers depuis mars dernier soit 96% des demandes reçues."

"Nous ne sommes pas en mesure d’estimer précisément quelle sera la reprise de l'aviation d'affaires, car les restrictions de voyage restent en place dans de nombreux pays du monde et la situation sanitaire évolue chaque jour. Nous suivons de près l'évolution de la situation et nous espérons accueillir très prochainement un plus grand nombre de voyageurs d'affaires", nous a déclaré Cédric Renard, d'Emirates, mais ces paroles auraient pu être prononcées par les speakers des deux autres compagnies.

Milliards

Au final, les trois compagnies souffrent de ce qui constitue leur ADN : le long-courrier. Avec des situations qu'on peu différencier : une douloureuse situation d'attente de l'évolution des restrictions internationales pour toutes mais rendue plus difficile encore pour une Etihad au prise à des problèmes financiers bien antérieurs au Covid et à un réseau qui se rétrécissait déjà avant la crise ; et amoindri pour Qatar Airways grâce à sa stratégie relativement payante de maintien d'un tiers de ses lignes durant le printemps dernier.

Les chiffres le confirment : selon les données de l'IATA, les EAU vont perdre près de 26 milliards de dollars en raison de la réduction des activités des compagnies aériennes (principalement Emirates et Etihad) depuis la crise. La perte ne devrait être "que" de 3 milliards de dollars pour Qatar Airways.