Radio France a révélé, vendredi dernier, les résultats d’une enquête accablante pour Air France, concernant des actes de violences sexistes et sexuelles au sein de la compagnie.
Et le pire, c’est qu’on n’est même pas surpris…
Les révélations, dues à la cellule investigation de Radio France, à propos des violences sexistes et sexuelles au sein d’Air France font partie de ces étalages aussi repoussants que salvateurs auxquels on assiste avec une intensité exponentiellement accrue depuis la vague #metoo de 2017.
Système
Il n’y avait aucune raison objective d’imaginer que les collaborateurs (“mâles dans la plupart des cas”, ajoute-t-on dans un excès de formalisme) de la compagnie pavillon se départissent de comportements constatés dans à peu près tous les milieux, professionnels ou non - à tel point que d’aucuns, dont nous sommes, les considèrent comme “systémiques”. On peut même penser que la promiscuité inhérente aux rotations aériennes - puisque ce sont des personnels navigants qui sont impliqués - les encourage, les facilite.
Il n’y avait aucune raison objective, non plus, que cette même compagnie échappe au “coming out” de certaines victimes (dans ce cas, grâce au louable travail de journalistes), à tout le moins lassées de l’impunité de ceux qu’il convient de considérer comme des suspects. Un respect de la présomption d’innocence qui dit le vrai scandale de cette écœurante actualité : sur les cas dont il est question, la justice n’est pas passée.
Impunité
Parce que, pour que la justice se saisisse de ces cas, encore faudrait-il qu’une première étape soit franchie, confortant les victimes de la pertinence d'un éventuel recours : qu’au sein de la compagnie, le travail - d’écoute, d’investigation, de sanctions - soit fait. Ce n’est manifestement pas le cas, ou bien, pour le dire pudiquement, de façon très défaillante.
Faut-il donc que le sentiment d’impunité (des organisations, comme un miroir à celui des individus) soit puissant pour que toutes les mesures de vigilance et de diligence, de bienveillance et de coercition, ne soient pas prises dans le domaine des agressions sexistes et sexuelles au sein de l’entreprise. Le service communication d’Air France, avec qui DeplacementsPros parle régulièrement, évidemment, est rempli de gens intelligents, à la tournure d’esprit très “corporate”.
Dès lors, cynisme pour cynisme, faisant l’économie du souci de bien-être et de sécurité des personnes, se contentant de raisonner en termes de “réputation d’entreprise” et autres “valeur de la marque”, ce service communication, qui se dépense tant sur les dossiers “sustainability”, ce service-là n’a-t-il pas la force de dire au board : “Là, sur ces sujets “cul”, faut arrêter les conneries” ?
Un jour, on saura
Car, forcément, désormais, depuis cette extraordinaire vague “MeToo”, UN JOUR, ON SAURA. Quel que soit le milieu ou l’entreprise - des médias, du médical, de l’éducation, de la justice, de la finance, de la logistique, ou de l’écosystème des aquariums d’appartement - UN JOUR, ON SAURA. CE N’EST QU’UNE QUESTION DE TEMPS. Et c’est pourquoi il nous semble approprié de parler de “révolution” quand on évoque le mouvement enclenché, grâce au courage et à la dignité d’Asia Argento, un jour d’octobre 2017.
Ce manque d’action d’Air France - dont on n’ose imaginer (avec pas mal d’efforts) qu’il soit le pendant d’une volonté de dissimulation - sur ce sujet est d'autant moins pardonnable que, comme on l’a dit, le contexte des rotations de vols, notamment sur le long et le moyen courrier, offre un terrain d’expression - disons-le comme ça - propice à la libération des prédateurs.
Domination
Mais il y a autre chose… Dans l’aérien, la composition du personnel volant est particulièrement hiérarchisée et genrée en fonction des postes (la base de la pyramide étant - quelle surprise, là encore ! - très féminisée) : commandant de bord, copilote, officier de relève (sur le long-courrier), chef de cabine principal, chefs de cabine (sur certains vols), hôtesses de l’air/stewards. Et cette stratification constitue un facteur de risque supplémentaire.
A ce titre, quand Juliette, “harcelée sexuellement à plusieurs reprises, toujours par des supérieurs hiérarchiques”, citée par Radio France, déclare : “C’est pas normal de garder des prédateurs sexuels à bord des avions (aussi) pour les passagers”, on n’est pas vraiment sur la même longueur d'onde. Les clients encourent, selon nous, peu de risque : il manque, à ces individus à la testostérone mal placée, à la considération des femmes complètement désorientée, un élément pour qu’ils passent à l’acte en toute décontraction : ce rapport de domination, non pas uniquement sexuée mais aussi professionnelle, qui leur fait pousser des ailes. Ailes qui les élèvent vers des sommets d’audace, de désinhibition, d’agressivité, de violence.
DeplacementsPros est loin de disposer des ressources du service investigation de Radio France, mais il se fera toujours l’avocat et, si l’on veut bien lui confier ce rôle, le porte-parole des victimes de tels actes dans cette industrie du “travel” qui, sur ces sujets, n’est peut-être pas plus dégueulasse que les autres. Mais qui est dégueulasse aussi.