GLVA23 – Le futur de l’aérien domestique est transversal

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« Le transport aérien domestique a-t-il encore un avenir ? » Tel était le thème de la table ronde à laquelle participaient, lors de cette 3ème édition du GLVA, Paul Chiambaretto – CHAIRE PEGASE, Reginald Otten – EASYJET et Thomas Juin – UNION DES AEROPORTS FRANCAIS. Un intitulé qui ressemblait à s’y méprendre à un hommage nécrologique courtois mais ferme. Erreur ! L’avenir de l’aérien domestique, en France, serait radieux à défaut d’être radial. Explications.

La loi Climat et résilience interdisant notamment les vols intérieurs lorsqu’existe une alternative « train » de 2h30 ou moins (ceci assorti de nombreuses exceptions dont la notion de désenclavement de certains territoires ou encore le pourcentage de passagers en correspondance vers un aéroport) a bien sûr été centrale dans les débats. Quoique de débats, à ce sujet, il n’y eut point.

Symbolique

Cette disposition a globalement été jugée symbolique. D’une part parce que les trajets aériens impactés sont peu émettrices de CO2. Les liaisons de moins de 500 km au départ de 31 pays européens représentent 28% des vols et 6% des émissions, quand les liaisons de plus de 4.000 km au départ des mêmes pays représentent 6% des vols et 47% des émissions. 

D’autre part parce que le report modal a déjà eu lieu. « Il a déjà été fait sur Lyon, Lille, Bruxelles etc. C’est un phénomène naturel. Cette loi est le clou symbolique sur le cercueil » (de liaisons de toute façon vouées au cimetière), explique Paul Chiambaretto.  « Le secteur aérien est très agile, ajoute Thomas Juin : quand une ligne n’est plus utile, elle est supprimée.« 

Le même Thomas Juin de compléter le réquisitoire de deux arguments supplémentaires. D’abord la contrainte que fait peser ce dispositif sur « la liberté de choix du consommateur » – à ce titre, l’UAF se réserve la possibilité d’un recours auprès du Conseil d’Etat. D’autre part, l’absence d’étude d’impact : « Que vont faire les 500 ou 600.000 passagers annuels qui utilisent l’aérien entre Paris et Bordeaux ? Prendre des jets privés ? On ne sait pas…« 

Transversal

Et de préciser, concernant cette aviation d’affaires : « La moitié des vols opérés en France sont des vols domestiques. Pourquoi ? Parce qu’on manque de lignes commerciales transversales. » Ce sont donc ces liaisons inter-régionales qui constitueraient l’avenir du réseau domestique français. D’ailleurs, ces dernières années, quand les liaisons radiales (au départ ou à destination de Paris) augmentaient de 5%, les lignes radiales augmentaient de 70%.

La nécessité de décarbonation serait aussi un puissant levier de développement de ces liaisons. Dès 2024, les émissions de l’aérien devront être compensées. Ces lignes de faible distance (moins de 1.000 km), transportant peu de passagers, seraient le terrain de jeu idéal pour l’aviation à hydrogène. « Ce seront des avions totalement décarbonés, précise Thomas Juin, qui transporteront une vingtaine de passagers, dès 2030, peut-être même 2026 ou 2027« . Selon nos informations, si Easyjet et Rolls-Royce travaillent bien à un appareil à hydrogène à l’horizon 2030, la mise en service de l’équivalent d’Airbus est prévue pour 2035.

Mais puisque l’optimisme envahit tout à coup le plateau, Paul Chiambaretto enchaîne : « Si on considère cette aviation décarbonée et qu’on y ajoute le maillage aéroportuaire français, le réseau peut devenir non plus uniquement inter-régional mais intra-régionale, permettant un développement local fort avec, notamment, la création de pôles d’excellence. » On en a la tête qui tourne ! 

Le BT insatisfait

Pour revenir à plus de certitudes, en 2022 l’aérien domestique a transporté 26 millions de passagers dont 10 millions sur ces lignes transversales sur lesquelles la demande serait donc forte. Mais en ce qui concerne le voyage d’affaires, c’est l’offre de vols intérieurs en général (incluant le radial) qui est insatisfaisante depuis, notamment, le retrait d’Air France.

90% des sièges de 2019, seulement, sont à la vente aujourd’hui. Mais cette statistique ne dit pas tout. Comme le signale Paul Chiambaretto, « quatre vols avec le même nombre de sièges que douze vols auparavant, comme c’était le cas des destinations qui ont perdu leurs navettes« , ce n’est pas la même chose pour une clientèle dont la fréquence des vols est essentielle.

Transavia a partiellement repris le relais d’AF et ce sont les autres compagnies lowcost qui comblent, bien qu’imparfaitement. On compte sur elles : « Depuis cinq ou dix, elles sont de plus en plus intégrées aux outils business travel, elles sont prises en compte dans les programmes de fidélité… Ca avance mais on n’y est pas encore : c’est une période de transition« . Dès lors, outre Volotea notamment, EasyJet a toute sa place. D’ailleurs, précise Reginald Otten, « 40% des billets que nous vendons en France sont des vols domestiques« .

Reste que la vraie solution, pour Thomas Juin, c’est le ferroviaire qui doit s’adapter, prendre en compte le fait qu’elle doit désormais traiter une autre clientèle que le loisir et l’affinitaire : « La SNCF doit faire cet effort sur les trajets où il n’y a plus de liaisons aériennes. Sur la ligne Clermont Ferrand-Paris, par exemple, pour les salariés de Michelin« . Et quand la personne qui en appelle au train pour « soigner » des fabricants de pneus automobiles est le Président de l’Union des aéroports français, ça prend tout son poids.