Grèves en France : Ryanair a-t-elle raison de s’en prendre à l’UE ?

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Ryanair demande à Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, de permettre le survol du territoire français même en cas de grèves des contrôleurs aériens. Pas sûr que la compagnie s'adresse à la bonne personne...

Ryanair est très colère et le fait savoir. Ce lundi 27 mars, la compagnie irlandaise a publié un communiqué faisant état de son interpellation de la Commission européenne et sa présidente, Ursula von der Leyen, dans des termes âpres et un ton virulent. Extrait :

"Ryanair (...) a condamné (...) ce lundi 27 mars l'annulation continue des vols au-dessus de la France en raison des grèves répétées du contrôle aérien français. Comme toujours, la législation française sur le service minimum est utilisée pour protéger les vols intérieurs français, mais les vols européens en provenance d'Allemagne, d'Espagne, d'Italie, du Royaume-Uni et d'Irlande sont annulés uniquement parce qu'un syndicat français mineur de contrôle aérien ferme régulièrement le ciel européen."

USAC-CGT

Evidemment, on imagine la Commission habituée à une partition plus diplomatique. Mais c'est aussi la France qui est directement visée. Nous avons interrogé Jean-Pierre Sauvage, président du Board of Airlines Representatives (des DG de compagnies aériennes), pas vraiment du style à tenir des piquets de grève.

D'ailleurs, lorsqu'il est interrogé sur ce sujet, le président du BAR contextualise à sa manière : "Les contrôleurs aériens sont à la retraite à 59 ans. Cette réforme ne les concerne pas : leur mouvement est purement politique. C'est le fait, non pas du SNCTA (Syndicat national des contrôleurs du trafic aérien, majoritaire à 60%, ndr), mais de l'USAC-CGT. Ils sont très présents à Orly notamment, d'où les perturbations qui affectent cet aéroport".

A propos de cette dernière organisation professionnelle, si elle n'est que la deuxième chez les contrôleurs aériens, elle est aussi la première au sein de la DGAC (Direction générale de l'Aviation civile). Donc quand Ryanair parle d'un "syndicat français mineur", elle veut certainement dire "minoritaire" : la faute à Google Trad, vraisemblablement.

Des allégations douteuses

Mais toute réserve qu'il émette à l'encontre du mouvement, notamment sa dimension politique - comprendre : non corrélée aux intérêts de la profession, Jean-Pierre Sauvage, après avoir souligné la nature constitutionnelle du droit de grève en France, reste circonspect face aux allégations de Ryanair. Reprenons-les une à une, celles présentes dans l'extrait ci-dessus, mais également les autres...

Ryanair : "la législation française sur le service minimum est utilisée pour protéger les vols intérieurs français"

Jean-Pierre Sauvage : "Quand la DGAC demande l'annulation d'une partie des vols, ce sont les compagnies qui ont la main pour choisir les vols qui seront annulés. Et les vols annulés ne sont pas forcément des vols domestiques : le critère peut par exemple être la rentabilité. En outre, s'il y a bien une prime aux vols intérieurs, c'est que la continuité du territoire doit être favorisée en vertu d'une mission de service public".

Ryanair : "les vols européens en provenance d'Allemagne, d'Espagne, d'Italie, du Royaume-Uni et d'Irlande sont annulés"

Jean-Pierre Sauvage : "57% du trafic aérien français consiste en un survol du territoire sur l'axe nord-sud, c'est donc un enjeu. Mais il y a une réalité qui s'impose à tous en cas de grève et donc de manque de personnel : un contrôleur aérien ne peut traiter qu'un nombre déterminé de vols. S'il y a moins de contrôleur, il y a moins de vols, c'est automatique. Que les vols ne faisant que survoler la France soit défavorisés me semble douteux. Ou alors c'est à cause de la mission de service public dont je parlais."

Contre-intuitivement, le communiqué de Ryanair apporte de l'eau au moulin à l'opinion de Jean-Pierre Sauvage. Il y est précisé : "Au cours du week-end dernier (les 25 et 26 avril, ndr), plus de 25 % des 9 000 vols programmés de Ryanair ont été retardés en raison de perturbations de l'ATC français, et 230 vols (41.000 passagers) ont été annulés pour se conformer aux restrictions de capacité de l'ATC français".

230 vols annulés ? Ce sont donc 2,5% des vols Ryanair qui n'ont pas eu lieu. Quant aux 25% de vols retardés, ils sont à mettre en relation avec les recommandations de la DGAC pour le week-end en question : -30% de vols sur l’aéroport de Paris-Orly, -20% sur les aéroports de Marseille-Provence, Bordeaux et Lyon.

Service minimum

En outre, Ryanair se range derrière les recommandations d'Eurocontrol à la Commission pour répondre aux grèves ATC : "imposer des exigences de service minimum ATC avec une nette réduction des vols intérieurs; tous les survols sont autorisés sans retards ATC; préavis de grève minimum pour permettre aux compagnies aériennes de reprogrammer les vols ou d'en informer les passagers."

Jean-Pierre Sauvage, sur ce point, est plutôt d'accord : "Nous réclamons que les salariés de la DGAC soient soumis à la loi Diard". Ce dispositif législatif datant de 2012 impose aux grévistes de se déclarer 48 heures minimum avant le début du mouvement. Sauf que si la Loi Diard ne s'applique pas aux contrôleurs aériens, c'est qu'ils sont soumis, depuis 1985, à un régime plus contraignant, celui du service minimum en vertu de la continuité du service public.

Ainsi, les 4.026 ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne (ICNA), dont les 3.462 d'entre eux affectés à des fonctions de contrôle de la circulation aérienne, ont-ils l'obligation, en cas de débrayage, d'être "couverts" par un préavis déposé 5 jours auparavant. Et dans le mouvement actuel, c'est bien le cas : un préavis intersyndical a été signé dès le 21 février au niveau du ministère des Transports, et celui-ci couvre bel et bien les agents de la DGAC depuis le 4 mars et jusqu'au 31 mars. Certes, le 11 février dernier, une partie des contrôleurs s'est mise en grève sans préavis. Ce faisant, ils se sont mis hors-la-loi. On en peut donc pas faire de ce cas particulier - dont les textes prévoient que les fauteurs soient soumis à des sanctions - l'argument d'une critique systémique.

Lire entre les lignes

Mais ce dispositif de service minimum porte bien son nom : il impose, sous forme d'astreintes, que 50% du trafic soit assuré. Et c'est là que les choses se complexifient... On l'a dit : la DGAC n'a imposé aux compagnies qu'elles n'annulent que 30% de leurs vols, au plus (une fois et seulement à Orly).

Donc quand Ryanair demande d' "imposer des exigences de service minimum ATC avec une nette réduction des vols intérieurs", elle réclame en fait un service minimum tel que prévu par la législation française, sans tenir compte de la mobilisation attendue : non pas 30, 20, 15 ou, pour la plupart des aéroports, 0% de vols annulés mais bien 50%. Ainsi les contrôleurs non grévistes auront-ils tout le loisir d'opérer les survols du territoire...

Ce serait bien pour Ryanair, moins pour les usagers français. Et d'autre part, son interpellation devrait s'adresser non pas à Ursula von der Leyen, mais au board de la DGAC, ou à son ministre de tutelle. Sinon, en cas de grèves en France, il y a une autre solution : le contournement du territoire.