La lutte des géants

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Jean-Louis Baroux, expert du marché de l’aérien, nous délivre au travers de sa tribune, son point de vue sur l’évolution du marché. Cette semaine, il focalise sur les trois grandes alliances et de leur main mise sur le marché.

Fin août Carsten Sphor le CEO du groupe Lufthansa a lancé un propos qui curieusement n’a pas fait beaucoup réagir les médias. Or c’était ni plus ni moins qu’une déclaration de guerre aux « petits » transporteurs, puisqu’il prévoyait la concentration du transport aérien européen entre seulement 3 acteurs. Ceux-ci sont bien connus : outre le groupe allemand, il s’agit d’Air France-KLM et de IAG (International Airlines Group). Les acteurs de la cour des grands vont devoir s’expliquer entre eux. Il est intéressant d’examiner leurs forces et faiblesses.

Lufthansa Group

Commençons par le plus important. Le groupe a été créé autour de Lufthansa qui a progressivement avalé les compagnies du centre de l’Europe. Ainsi il détient la totalité de 8 transporteurs : Lufthansa bien sûr, Lufthansa City Line et Eurowings en Allemagne, deux compagnies suisses : Swiss International Air Lines et Edelweiss, et puis Brussels Airlines, Austrian Airlines et Air Dolomiti en Italie. En plus il détient 50% de Sun Express en partenariat avec Turkish Airlines. Après avoir passé quelques moments difficiles marqués par les premiers conflits sociaux de son histoire, le groupe a retrouvé une santé presque insolente. 130 millions de passagers, un chiffre d’affaires de 35,84 milliards d’Euros, un résultat net de 2 364 milliards d’Euros. Il dispose de 728 appareils et a passé commande de 201 avions supplémentaires, dont 50% de long-courriers. Sa force essentielle réside dans la cohérence de ses prises de participations et sa capacité à maitriser les stratégies de chaque compagnie.

Air France-KLM

C’est aussi un acteur de premier plan. Sa force est également sa faiblesse. Il est constitué de deux entités fortes dotées chacune d’une culture très affirmée. KLM est très hollandaise alors qu’Air France est très française. Cela parait une évidence, mais cette richesse dans le biculturel est aussi un facteur de grandes difficultés pour prendre des décisions. Néanmoins le groupe pèse un poids très significatif : 101 millions de passagers, un chiffre d’affaires de 26 512 milliards d’Euros pour un résultat encore modeste, mais tout de même positif de 411 millions d’Euros. Sa flotte de 550 appareils est certes un peu disparate et de gros efforts sont faits pour la rationaliser avec une commande de 256 avions dont une grosse partie est constituée par des Airbus 220. Le groupe détient en plus des intérêts minoritaires dans 13 transporteurs ce qui lui permet d’avoir une vision très internationale, voilà qui constitue un avantage certain. Reste qu’il est encore tiraillé entre les égos néerlandais et français, à tel point que les États s’en sont mêlés et que cela ne simplifie pas la prise de décisions.

IAG (International Airlines Group)

Tout comme Air France-KLM, il est constitué autour de deux compagnies historiques British Airways et Iberia. Ce qui pouvait passer comme l’union de la carpe et du lapin s’est finalement avéré une réussite. Certes British Airways a pris les commandes, mais Wille Walsh a eu la bonne idée de mettre un Espagnol, Alex Cruz ex CEO de Vueling, à la tête de la maison-mère : British Airways. Outre les filiales d’Iberia : Air Nostrum, et Vueling, et celles de British Airways : BMI et Open Skies le groupe a mis la main sur Aer Lingus et créé un « low costs » long courrier : Level. Il a une santé financière florissante. Avec seulement dirait-on 24 406 milliards d’€ de chiffre d’affaires, il dégage un résultat net de 2 897 milliards d’Euros, soit largement plus que le groupe Lufthansa, le tout avec 570 avions. Lors du dernier Salon du Bourget, il a passé une commande massive de 200 Boeing 737 Max à la surprise générale. C’est un pari risqué qui peut s’avérer très gagnant si l’appareil peut être remis en service au début 2020.

Ces trois groupes paraissent indéboulonnables et à même de supporter les aléas prévisibles. D’abord tous seront largement impactés par le Brexit si une solution convenable n’est pas trouvée. Tout le monde la recherche, mais personne n’arrive à l’accoucher. Et puis il faudra bien compter avec les ambitions des grands « low costs » qui vont attaquer directement la clientèle de base des trois géants. Ces derniers vont probablement avoir une sorte de modus vivendi pour ne pas s’attaquer trop fortement tant que la situation ne se sera pas stabilisée.

Et puis il faudra encore compter sur les autres transporteurs européens, certes de plus petite taille, mais qui n’ont pas pour autant la volonté de disparaître. Je ne crois absolument pas que seuls les très grands groupes survivront. Je suis dans le métier depuis près de 50 ans et la proportion entre les très grandes compagnies et les petites n’a pas vraiment variée. De très gros transporteurs ont disparu, de formidables fusions ont été réalisées et pourtant le nombre de compagnies continue à croitre. C’est assez dire si le transport aérien est attractif.