Le commerce des slots, nouvel eldorado ?

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La Commission européenne va s’emparer du sujet des règles d’attribution des slots des aéroports de l’UE. L’analyse de Jean-Louis Baroux, président d’APG Academy.

La Commission européenne veut relancer la possibilité de ventes des créneaux de décollage et atterrissage dans les principaux aéroports européens, ceux qui sont dits coordonnés. Il s’agit des très grandes plateformes du continent. En France seuls 4 aéroports entrent dans cette catégorie ; Charles de Gaulle, Orly, Lyon St Exupéry et Nice Côte d’Azur. L’attribution des slots est faite selon une directive de la CEE qui date du 18 janvier 1993. Dans notre pays, elle est gérée par le COHOR : Comité de Coordination des Horaires, dirigé par Eric Herbane depuis octobre 1996, à la satisfaction générale, il faut le dire.

En fait, les régulateurs considèrent que les slots ne doivent pas avoir de valeur marchande afin que tous les opérateurs, riches ou non, aient la possibilité d’utiliser les infrastructures créées par les Etats et administrées en suivent des règles de neutralité. Et il faut bien remarquer que jusque-là, en dépit de certaines frustrations le système marche plutôt bien.

Seulement la société évolue et une pression de plus en plus forte s’exercé sur les grands aéroports. Il faut dire que depuis la fin des années 1980, c’est-à-dire plus de 30 ans, les infrastructures n’ont pas beaucoup évolué en Europe. Les seules grandes installations ont été Milan Malpensa, Munich et plus récemment Istanbul, si on fait abstraction des aérogares nouvelles. Or, pendant ce temps, le trafic s’est considérablement accru en particulier sous l’effet de l’arrivée massive des transporteurs low costs. Faut-il rappeler que Ryanair est devenu le premier transporteur européen en termes de passagers avec plus de 130 millions transportés en 2018 ? Au cours des 10 dernières années, le trafic des 10 plus grands aéroports européens s’est accru de 44% soit 184 millions de passagers supplémentaires. En 2018 ils ont traité ensemble 606 614 000 de passagers.  Alors il ne faut pas s’étonner de la congestion de nos installations.

Pour les compagnies, le problème de l’accès à ces grandes plateformes va être de plus en plus aigu. Elles ont commandé des centaines d’avions  et ceux-ci seront livrés un jour ou l’autre. Il faudra bien les utiliser. Certes les aéroports de moindre importance verront leur trafic se développer rapidement, mais alors il faudra aussi les coordonner un jour ou l’autre. En France uniquement, on évoque Toulouse et Nantes par exemple. La question reste posée : pourra-t-on encore longtemps gérer cette pénurie de la manière où elle l’a été au cours des 30 dernières années ou va-t-on en venir aux lois du marché. C’est vers quoi semble de diriger la Commission européenne.

D’ailleurs, ce marché existe déjà, en Grande Bretagne. Dernièrement, EasyJet a acheté pour 36 millions de livres 18 paires de slots en été en 8 en hiver à Gatwick ainsi que 6 paires en été et 1 en hiver à Bristol. Il s’agit des créneaux laissés disponibles par la faillite de Thomas Cook Airlines. Cela porte la paire de créneaux annuelle à 2,77 millions de livres soit 3,2 millions d’euros. Si la Commission va au bout de ses réflexions et qu’elle autorise finalement la vente des créneaux sur les aéroports européens, cela aura plusieurs effets très positifs.

D’abord il n’y aura plus aucune suspicion de favoritisme, car seule loi de l’offre et de la demande arbitrera. Mais et surtout, cette ouverture représentera une véritable manne pour les compagnies historiques qui détiennent pour le moment ces fameux slots. Rien qu’à Orly, la plateforme française la plus demandée, le groupe Air France doit opérer pas loin de 250 paires de slots. Cela représente tout de même 800 millions d’euros en valeur de « pas de porte ». De quoi renforcer sérieusement le bilan de l’entreprise.

Bien sûr il y aura de fortes réticences. Certains transporteurs se verront rejetés vers des aéroports moins fréquentés. Les nouveaux entrants devront débourser des sommes considérables pour exercer leur activité, alors qu’actuellement ils bénéficient de droits gratuits. Les petits transporteurs seront amenés à disparaître de ces aéroports mais alors ils vendront cher le droit pour les plus gros d’exploiter leurs créneaux. C’est à un énorme changement dans l’organisation du transport aérien qu’il faudra alors s’attendre.

Est-on prêt à cela ? Au fond pourquoi changer ce qui a jusqu’à présent si bien réussi ? Mais est-il possible de résister à la pression des marchés ? Voilà ce sur quoi la Commission Européenne devra trancher.

Bon courage !