Lettre ouverte à M. Alexandre de Juniac, Directeur général de l’IATA

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Monsieur le Directeur Général,

Je ne vous aurais certainement pas envoyé cette lettre ouverte avant votre récente intervention chez BFM au cours de laquelle vous avez « supplié à genoux » les clients d’aider les compagnies aériennes en acceptant massivement les vouchers en lieu et place des remboursements auxquels ils ont droit.

Certes en tant que Directeur Général de la prestigieuse institution que vous dirigez, car en tant que Directeur Général, c’est vous qui en êtes le vrai patron, vous remplissez vos fonctions en appelant les consommateurs au secours du transport aérien. On ne saurait surtout pas vous le reprocher.

Seulement il y a un « hic ». En fait vous demandez aux clients de faire confiance à la pérennité de chacune des compagnies aériennes alors que vous connaissez parfaitement leur vulnérabilité. Voilà le problème. Pourquoi les personnes qui se sont parfois endettées pour acheter leurs billets très longtemps à l’avance, car cela les arrangeait bien sûr, mais cela faisait aussi les affaires des transporteurs qui ainsi disposaient d’une trésorerie à peu de frais, auraient-elles confiance dans la sécurité de leur argent ? Au fond, les clients se comportent comme les compagnies aériennes vis-à-vis de leurs distributeurs, je veux nommer les agents de voyages. Pour valider ces derniers et les autoriser à utiliser le BSP, IATA a mis en place un système de contraintes fortes tout en se défaussant
lorsqu’une agence ou un gros consolidateur faisait défaut.

L’observateur extérieur que je suis constate tout de même une grande absence d’équité dans la relation entre votre organisme et les agents de voyages qui ont certes le défaut de ne pas avoir monté un organisme mondial capable de discuter avec IATA sur un pied d’égalité. Les clients qui réclament le remboursement des sommes payées auprès des compagnies aériennes ne font que marquer une défiance quant à la fiabilité du transport aérien, et ils ont bien raison, ne serait-ce qu’en entendant les propos alarmistes que les responsables de ce secteur d’activité et vous même au premier chef tiennent à longueur de journée.

La relation serait tout à fait différente si IATA avait mis en place un fonds de garantie des sommes déposées par les clients, comme cela est réclamé depuis des années. Le sujet a été plusieurs fois mis à l’ordre du jour des « Boards » de IATA par le passé en particulier
sous la direction de Tony Tyler, votre prédécesseur. Les études ont d’ailleurs été menées presque jusqu’au point d’achèvement. Le coût d’un tel fonds se situant entre 0,50 $ et 1 $ par passager/segment.

Seulement les grands transporteurs, en fait ceux qui siègent au Board of Governors ont toujours fait obstacle à sa mise en service au prétexte que les gros ne voulaient pas
payer pour les plus petits qualifiés de plus fragiles. Or que voyons-nous maintenant ? Les colosses ont des pieds d’argile et ils ne peuvent survivre que par les avances faites par les clients. Sur les 30 membres de l’actuel Board of Governors, la plupart ont dû faire massivement appel à leurs gouvernements pour survivre, certains comme LATAM ou Avianca sont entrés sous le régime du Chapitre 11 aux Etats Unis, ce qui équivaut à un dépôt de bilan. D’autres et non des moindres ont annoncé de considérables réductions d’effectifs : 22.000 chez Lufthansa, 19.000 pour Air Canada, autour de 10.000 dans le groupe Air France/KLM, 44.000 chez American Airlines, pour ne citer que quelques-uns d’entre eux.

Comment voulez-vous que dans ces conditions, les clients fassent confiance aux compagnies pour sécuriser leur argent ? Il est probablement temps de relancer ce serpent de mer qu’est le fonds de garantie des compagnies aériennes. Il serait surprenant que les grands opposants du passé continuent à maintenir leur position négative. Il ne faut pas compter sur les transporteurs pour prendre une telle initiative, mais elle peut très bien venir de la direction de IATA et de vous en particulier. Il est possible qu’elle ait de la peine à passer au filtre du Board of Governors, et encore, mais elle serait probablement soutenue par un vote de l’Assemblée Générale.

Si une telle initiative était prise, elle ne coûterait d’ailleurs rien aux transporteurs qui n’auraient aucune difficulté à rajouter le coût dans leurs grilles tarifaires déjà si compliquées, elle redonnerait non seulement confiance aux clients, mais elle resserrerait les liens avec les agents de voyages. Le transport aérien est composé d’une chaîne dont les principaux maillons sont les transporteurs, les aéroports et les distributeurs. Retisser des liens forts entre les acteurs, voilà un projet digne de IATA et de votre direction.

Recevez, Monsieur le Directeur Général, mes respectueuses salutations.