Misterfly vs IATA : erreur de cible

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La semaine dernière, Nicolas Brumelot, fondateur et actionnaire de la TMC MisterFly, exprimait sa détresse et pointait du doigt IATA, dans une lettre ouverte, car la distribution, dont sa société risque de payer très cher le manque de trésorerie généré par le non-remboursement des titres de transport. Mais IATA est-elle la responsable de cette mise en danger ?

De nombreuses entreprises se retrouvent en grande difficulté, car leur trésorerie s’effondre et ne leur permettra pas de tenir bien longtemps. Même si le gouvernement promet de payer le chômage partiel ou d’indemniser les indépendants, il faudra avancer la trésorerie, car l’Etat, aussi volontaire soit-il, ne pourra techniquement pas soutenir immédiatement les entreprises de notre pays. Dans cet environnement financier on ne peut plus sombre, IATA, l’association des compagnies aériennes mondiales a décidé qu’il n’y aura pas d’assouplissement des règles du BSP (le règlement des billets d’avion aux compagnies aériennes).

Ne nous trompons pas de responsable…

Depuis la parution de la lettre ouverte de Nicolas Brumelot, fondateur et actionnaire de MisterFly, il commence à régner, dans les commentaires et sur les réseaux sociaux, une atmosphère quelque peu nauséabonde de lynchage personnel à l’encontre du Président de l’IATA, Alexandre de Juniac…

Nous pouvons parfaitement comprendre la tension d’un chef d’entreprise qui voit le travail acharné de nombreuses années de sa vie s’écrouler, son entreprise peut-être disparaître et le spectre d’un dépôt de bilan se rapprocher. En ce sens, le cri d’alarme et d’angoisse de Nicolas Brumelot est justifié et sûrement partagé par de nombreux autres chef(fe)s d’entreprise de notre secteur. Toutefois, sur le sujet des conditions de règlements du BSP, Alexandre de Juniac n’est que le messager et nullement le décisionnaire. Il devient donc essentiel de clarifier la chaîne de décision et de dégager les responsabilités.

L’IATA n’encaisse aucun règlement

IATA est une association, dont les membres qui en établissent les règles de fonctionnement (que ce soient les résolutions ou les modalités du BSP) sont les compagnies aériennes elles-mêmes. Il est essentiel de rappeler que IATA n’émet aucun billet ni n’encaisse aucun règlement. Seules les compagnies le font.

Les règles de fonctionnement, pour la plupart inchangées depuis plusieurs dizaines d’années malgré les bouleversements techniques et commerciaux, ont été proposées, votées et mises en œuvre par les compagnies aériennes membres de l’IATA et elles seules sont donc en mesure de les modifier ou de les adapter.

Ainsi, les délais de règlement, pour le marché français, passés de mensuel à bimensuel en mai 2017, la limitation des lignes d’encours (RHC ou Remittance Holding Capacity) mise en place en 2019 ou encore le durcissement des conditions financières pour les agences sont toutes issues des votes des représentants des compagnies aériennes.

Le BSP en faute ?

Commençons par rappeler ce qu’est le BSP : Le BSP (Billing and Settlement Plan) est un mécanisme de compensation financière entre les agences de voyages agrées IATA et les compagnies aériennes pour faciliter la gestion de la facturation, le suivi des lignes de crédit accordées et les règlements des agences. Il s’agit donc d’un outil technique, au même titre que le « GIE Carte bleue » gère les transactions des cartes de crédit en France, alors que les encours sont accordés par les banques. Les encaissements faits au travers du BSP (un par agence et par période) sont donc reversés à chaque compagnie dans leur intégralité quelques jours après collecte. Un décalage de règlement du BSP, comme demandé par certains, entraîne donc immédiatement une perte de trésorerie pour les compagnies et c’est pour cette raison que ces dernières, comme tout un chacun fait en ce moment, tentent de préserver aussi leur survie en maximisant leur trésorerie pour passer cette crise.

Je t’aime moi non plus

Se pose alors la question des relations entre compagnies et agences, et de la notion de partenaires, si souvent évoquée dans les différentes publications et réunions plénières. C’est dans une crise de cette ampleur que l’on est en capacité de juger de la réalité de ce mot. L’expression : « Il n’y a pas d’amour, mais que des preuves d’amour » n’a jamais été aussi actuelle. Les 3 principaux groupes aériens européens (Air France-KLM, le Groupe Lufthansa et IAG) sont-ils prêts à soutenir les structures économiquement plus fragiles que sont les agences ? Celles qui sont soutenues par les finances publiques n’ont-elles pas une obligation morale à le faire ? Les premières décisions annoncées semblent montrer que c’est d’abord la stratégie du chacun pour soi qui prime, ce qui n’a rien de honteux dans une telle crise, mais qu’il faudra assumer à l’avenir. On demande bien de mettre son masque à oxygène dans l’avion avant d’aider son voisin…

Cette crise met douloureusement en lumière une réalité contractuelle et économique trop longtemps refoulée : la relation entre les compagnies aériennes et les agences est une relation client-fournisseur et chacun a la responsabilité de son revenu, de ses charges et de sa politique commerciale.

L’IATA n’est pas responsable de tous les maux

Nicolas Brumelot déplore la décision unilatérale des compagnies, dont Air France et Transavia qui ont pour premier actionnaire l’Etat, de ne pas rembourser les billets annulés. Il décrit les mécanismes mis en place par les compagnies membres de l’IATA pour la protéger, il lance un cri d’alarme pour la survie de son entreprise qui voit ainsi sa trésorerie asséchée ; c’est compréhensible et justifiable. Mais pointer du doigt et livrer à la vindicte Alexandre de Juniac comme principal responsable de la mort annoncée de la distribution ne semble pas correspondre à la réalité de la situation.

Que la base contractuelle des résolutions IATA soit à réécrire, cela semble une évidence. Que la puissance de IATA et de ses membres soit contrôlée et encadrée fait du sens. Que cette crise, entre autres changements de l’industrie, conduise à une redéfinition des relations entre les compagnies aériennes et les distributeurs est une absolue nécessité.

Il faut assainir les relations

Les difficultés ou les erreurs des uns sont stigmatisées par une certaine « bien-pensance », afin de se faire bien voir par la partie adverse ou de ne pas subir le courroux d’un acteur hégémonique. Ce temps est révolu et les survivants (distribution et compagnies) devront redéfinir ensemble leurs relations. Il leur faudra travailler en appliquant les règles du commerce, celles qui mettent en place un système permettant à un fournisseur et un client de travailler de façon encadrée avec des accords contractuels équitables définis de façon bilatérale et professionnelle.

Côté achat, tant côté client final que distribution, il faudra comprendre qu’il est impératif de ne pas mettre tous les œufs dans le même panier. Il sera nécessaire d’apporter une vraie valeur ajoutée pour que le client final comprenne cette stratégie. Quant à la relation mandant/mandataire entre la distribution et les compagnies aériennes, elle devra être clarifiée et même retravaillée et renégociée afin que chacun puisse se protéger et exercer les activités de son cœur de métier dans la sérénité… tout en attendant l’arrivée de la prochaine crise.