Olivier Hours (IATA) : « NDC, ce n’est que la première pièce du puzzle »

1
926
Olivier Hours (IATA) :

Head of distribution strategy au sein de l'IATA, Olivier Hours nous a accordé une longue interview. Dans cet entretien passionnant, il replace l'enjeu "NDC" dans un contexte plus global, comme la première pièce d'un puzzle qui, au complet (et enrichi du ONE Order, notamment), offre un panorama de ce que sera l'expérience du voyageur aérien dans un futur proche.

Lorsqu’un acteur de l’écosystème business travel a l’opportunité de s’entretenir avec un représentant de l’IATA, nul doute que la norme NDC sera au cœur de ses interrogations. Pourtant, désormais, l’IATA se concentre sur d’autres sujets…

Olivier Hours : Personnellement, ça fait plus d’un an que je n'ai pas donné d’interview sur la norme New Distribution Capability (NDC). A la fin du mois d’octobre, l’Association Internationale du Transport Aérien (IATA) va organiser une grande conférence, et la norme NDC n’y sera pas mentionnée explicitement, mais intégrée dans un contexte plus global de la transformation digitale de l’industrie. Les acteurs (compagnies aériennes, intermédiaires de la distribution, fournisseurs de technologie) se sont déjà emparés du sujet. Et effectivement, aujourd’hui, l’IATA se concentre davantage sur les autres pièces d’un puzzle dont la norme NDC n’était que la première.

Pourtant, les inquiétudes persistent chez certains acteurs. Certaines d’entre elles reposent sur une incompréhension des motivations du changement de standard de distribution…

Le principe fondamental de la norme NDC, c’est la relation client. Dans la distribution traditionnelle, les compagnies aériennes n’ont pas la relation client car il y a un intermédiaire : le GDS qui construit l’offre pour les agences de voyages. Le rôle de la compagnie se réduit alors à répondre à une demande de disponibilité : “Est-ce que votre classe de réservation est ouverte ou fermée ?” Je pense qu’il n’y a aucune autre industrie où l’on construit une offre pour un tiers sans savoir qui il est, d’où il vient, ce qu’il veut… Dans un monde EDIFACT, les compagnies aériennes sont aveugles. Or, et c’est là le deuxième principe, plus on connaît le client, meilleure est l’offre. Cette relation client, la compagnie aérienne l’a dans la vente directe, sur son site internet. La norme NDC permet de l’avoir aussi dans la vente indirecte, via les agences de voyage.

Pourtant les GDS ou les agences ont pu avoir le sentiment que la norme NDC cherchait à les contourner…

Il est vrai que le modèle GDS était solidement installé mais ils auront toujours un rôle important d’agrégateur à jouer dans ce nouvel environnement et ils sont en train de mettre ce nouveau type de service à disposition de leurs agences.  Et concernant les agences, c’est un contresens total. L’objectif de la norme NDC est que la relation client dont j’ai parlé existe aussi et au même niveau quand la vente est intermédiée. C’est une opportunité pour les agences : la norme NDC leur permet de proposer la même relation au client que si la vente était directe… avec en plus toute la valeur ajoutée de la vente indirecte, c’est-à-dire la comparaison multi fournisseurs, un « servicing » plus complet, du conseil…

Une opportunité… dont les acteurs mettent du temps à se saisir ! 

Il faut relativiser. Il y a eu des premières discussions avec le Department of Transport (DOT, Ministère des Transports aux Etats-Unis), puis un premier standard officiel en 2015. Entre 2015 et 2018, c’est une période de latence, il est vrai, certains acteurs hésitaient alors à se lancer. En 2018, les GDS y vont. Ensuite les choses s’accélèrent - même si la pandémie a eu un impact important. Les grosses TMC globales s’y sont mises aussi, mais avec des problématiques d’intégration à leur plateforme qui sont complexes : il ne s’agit pas uniquement de créer une offre, c’est aussi garder l’information, l’émission automatique, le système des frais de service, le “mid” et le “backoffice”… Les TMC ne vont pas toutes au même rythme, ce qui est normal considérant qu’il s’agit de la transformation d’un écosystème qui est complexe.

On est en tout cas dans une phase de très forte accélération. Le bon rythme, c’est celui de l’industrie. Le rôle de l’IATA est de travailler avec l’industrie pour fournir des standards, des workflows, de l’architecture et ensuite, l’industrie déploie à son propre rythme.

De toute façon, on n’aura jamais 100% des compagnies via la norme NDC…

Je ne dirais pas ça : c’est le marché qui décidera. L’adoption se fait en fonction de la perception de la valeur. Et concernant NDC, je ne serais pas aussi catégorique que vous : si une compagnie qui n’a pas mis en place la norme NDC constate des pertes de profitabilité ou de parts de marché, elle y passera certainement. Et avec des investissements moindres qu’aujourd’hui : plus il y a d’adoption, plus il y a de standardisation de la technologie, plus les coûts baissent. Mais en tout cas, il n’y a pas d’obligation. On est dans un système libéral à l’image du marché extrêmement concurrentiel qu’est le transport aérien : une offre très large, une transparence des prix via les comparateurs… Essayez de savoir combien coûte une bouteille de soda ou une barre chocolatée dans la grande distribution : c’est plus difficile. 

Vous considérez que la norme NDC n’est qu'une pièce du puzzle. Expliquez-nous…

Oui, ce n’est qu’une pièce, mais une pièce essentielle, qui permet à la compagnie d’avoir la connaissance du client. Et cela pour améliorer son expérience. Aujourd'hui, technologiquement, rien n’empêche un client de prendre son smartphone, de s'identifier vocalement, puis de dire “Comme chaque semaine je vais à mon siège social à Berlin et il me faut mon avion et mon hôtel, pouvez-vous m’envoyer une offre ?

A partir de ce début de processus d’achat, il faut qu’il y ait, derrière, une technologie capable de répondre. Il faut qu’il y ait des standards aussi. Mais en termes de flux, la technologie existe : j’ai une identification digitale, j’ai mon passeport électronique enregistré, mon certificat de santé (type Covid), mon visa, mes préférences (siège hublot par exemple).

Une fluidité dans l’achat et la possibilité d’acheter son billet d’avion et son hôtel en une commande. C’est l’initiative “ONE Order” ?

One Order, c’est un identifiant unique, la fusion du dossier de réservation, du billet électronique, du reçu pour autres services - appelé « EMD ». One Order exige une transformation assez significative des systèmes commerciaux des compagnies aériennes, pour une très grande amélioration de l’expérience. Mais ce n’est pas tout. Actuellement, le check-in se fait 24 heures avant le vol ou un peu plus pour les compagnies low-cost. L'idée est qu’à la fin du premier échange avec le client, un siège soit déjà choisi - par le client ou par la compagnie et validé par le client - et qu’il soit prêt à voyager dès cette étape. Ensuite, une fois ce siège choisi, que manque-t-il au client ? Éventuellement son passeport. Puis sa carte d’embarquement. Mais là aussi, il faut que le processus soit transparent. Il faut donc rattacher à l’Order un QR-code ou bien une fonctionnalité NFC (la Near Field communication, technologie permettant l'échange d'informations entre des périphériques jusqu'à une distance d'environ 10 cm, ndlr). Ce qu'on veut, c’est remonter dans la chaîne des étapes pour éliminer celles qui ne sont plus nécessaires et qui sont autant de sources potentielles d’anxiété. Pouvoir dire : “Nous, compagnie aérienne, avons toute l’information qu’il nous faut, vous pouvez voyager tranquille”. 

Pour que cela soit possible, il faut partager ses données digitales, éventuellement biométriques. La confiance est donc nécessaire…

Oui, il faudra une approbation à la question “Êtes-vous ok pour partager vos données biométriques ?” Avec toutes les protections de données appropriées en place, les informations biométriques et autres données personnelles sont sécurisées. Une fois l’achat effectué, le client n’a plus qu’à passer devant un écran à l’aéroport pour s’identifier et embarquer, rendant le processus beaucoup plus fluide et rapide.

Et vous avez raison, la confiance est clé. Mais l’UE vient d’acter qu’à partir de 2026, nous aurons tous une signature électronique et une identité digitale. Quand nous serons habitués à l’utiliser auprès des administrations, des entreprises publiques, il y a fort à penser que nous serons confiants dans le système. 

C’est la même chose pour le paiement. Si les informations sont bien sauvegardées au bon endroit, le paiement doit devenir très fluide et intuitif : qu’au même moment, dans une même validation, le voyageur choisisse son offre, partage son passeport et effectue son paiement. 

C’est donc davantage le cadre réglementaire et la volonté d’échanger l’information qui sont déterminantes…

Oui car, encore une fois, techniquement, on sera capable de le faire. L’enjeu est que, via les plateformes, l’information soit disponible à tout moment, sur tous les canaux, à tous les points de contact qui le nécessitent. Je donne un exemple… J’embarque, j’atterris, j’attends une demi-heure autour du carrousel et constate que mon bagage est égaré… Je fais la queue pour déclarer la perte… C’est comme s'il y avait un monde du commercial et un monde de l’opérationnel. Avec une communication efficace entre les systèmes je pourrais avoir, une fois arrivé à destination, une alerte de la compagnie m’indiquant “Votre bagage n’a pas été embarqué, il arrive par le vol suivant, voici tel dédommagement, etc.”. Autre exemple plus simple : vous avez acheté du wifi à bord et le service ne fonctionne pas dans votre avion. Il faut que vous en soyez informé bien avant le vol, pour prendre vos dispositions. Là encore, l’enjeu est la transmission de l'information entre différentes bases de données, à partir desquelles l’information va vers le client et le staff qui la gère… Permettre cet échange, c’est ce qu’on est en train de faire.

Vous faisiez allusion à un achat d’aérien et d’hébergement dans le même temps, avec fluidité. Là encore cela suppose encore de l’échange d’informations…

Quand on consomme de l’aérien, on consomme souvent aussi de l’hôtellerie, de la location de voiture… Aujourd’hui, tous ces acteurs travaillent en silos - pour des raisons de confidentialité des données, de méconnaissance des informations qu’on peut partager, bien souvent. Tout cela donne une expérience client très sous-optimale : si votre vol est annulé, vous devez annuler votre hôtel vous-même. Idem si, avec la géolocalisation, on voit que vous êtes dans un embouteillage et que vous allez rater votre avion, vous devez quand même tout faire vous-même. Et je pourrais multiplier les cas. Tout cela devrait être fluide. On pourrait le faire avec plus d’échanges et de coopérations. Donc on discute avec les autres secteurs sur la technologie appropriée, les bons standards, pour interagir et s’assurer qu’on a le bon cadre juridique. Imaginez : vous réservez une compagnie X ; elle sait que vous êtes un voyageur d’affaires et que vous aurez besoin d’une location de voiture. Si à la fin de la réservation pour le vol, la compagnie vous demande : “Êtes-vous d'accord pour que je partage votre situation de voyage (sans vos données personnelles) dans le but de mieux vous servir ?” Si oui, alors la compagnie va pouvoir dire à votre agence de location de voiture “Votre client est bien dans l’avion mais celui-ci a une heure de retard”, par exemple. 

On a commencé à parler avec des acteurs et avec des consultants aussi. Et l’intérêt est vraiment partagé - que ce soit dans l’hôtellerie ou l’intermodalité en termes de transport. Et je pense que ça va aller croissant.

Pour toutes ces innovations, pensez-vous que les acteurs “mastodontes” qui sont concernés aient l’agilité requise ?

Il existe un schéma récurrent dans les industries technologiquement avancées, comme le secteur du voyage, notamment l’aérien, l’hôtellerie ou la location de voitures. Prenons l’exemple de l’aérien : il y a des acteurs historiques bien établis, comme les GDS et les SBT (Self booking tools). Ensuite, des tiers arrivent avec des processus plus optimisés, ce qui fait que les compagnies perdent un peu de contrôle. Elles réinvestissent alors dans la technologie pour reprendre la main, et la norme NDC est l’un des éléments de ce réinvestissement. Il en va de même de la norme ONE Order, de l’identification digitale et des futurs moyens de paiement. Les fournisseurs (ici les compagnies aériennes) reprennent le contrôle non pas pour contourner les intermédiaires, mais pour bénéficier d’une stratégie multicanal plus agile et plus tournée vers le client.

Vous répétez cette idée, elle vous tient à cœur…

Oui, car l’idée que les compagnies voudraient ne vendre qu’en direct est totalement fausse, tout simplement parce que certains voyageurs préfèrent passer par une agence, parce qu’il y a des besoins particuliers, ou des marchés lointains où telle compagnie est moins visible - l’équilibre est donc nécessaire. D'ailleurs, on voit que les compagnies low-cost se dirigent progressivement aussi vers davantage de vente indirecte.

La bonne approche pour une stratégie de distribution doit, selon moi, commencer par ces questions : quel est le marché ? Où sont les clients ? Comment vais-je les atteindre et les servir, par quel type de canal ? A quel coût ? On voit bien que le coût n’est pas toujours le premier levier, pas du tout : ce n’est qu’à la fin qu’on regarde le coût et qu’on arbitre.

Le message principal est qu’il y a aujourd'hui une opportunité pour améliorer fondamentalement l’expérience client avec de meilleurs produits, de meilleurs services, de la fluidité. Cela nécessite peut-être de revoir certaines relations entre les acteurs de l’industrie… Mais, vraiment, tout le monde a à y gagner : le client, le distributeur, la compagnie, le GDS. Une fois que certains l’ont compris, ils sont partis très vite. D’autres sont plus prudents - ce qui se respecte - mais maintenant, la dynamique est là.

Vous nous avez parlé des chantiers en cours. Y en a-t-il d’autres dont le départ reste à impulser ?

Pour améliorer l’expérience client, nous avons discuté et continuons de discuter avec les fournisseurs de technologie, les acteurs de la distribution, les opérateurs au sol et les autres secteurs du voyage. Nous parlons également avec les aéroports, bien sûr. Cependant, avec tant de sujets à aborder avec ces derniers, le parcours client n’a pas reçu toute l’attention qu’il mérite. Mais cela va changer grâce à ces nouvelles normes et la collaboration au niveau de l’industrie. Nous allons continuer ces discussions avec les acteurs principaux dans les semaines et le mois à venir.

 

1 COMMENTAIRE

  1. Très bel article, certainement le meilleur sur l’innovation dans le secteur aérien, avec un vrai contenu et une vision claire du rétroplanning de ce qui va se passer d’ici 2030.
    David a su simplifier, avec des mots accessibles, les messages de l’expert incontournable Olivier Hours, le Monsieur Innovation chez IATA.
    J’espère qu’en 2027, on viendra se plaindre en disant que tout va trop vite et qu’on ne savait pas !
    Maintenant, tout le monde sait que la deuxième fusée est lancée

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici