Les dirigeants des principales compagnies aériennes européennes se sont réunis au Airlines for Europe (A4E) Summit. Pour des échanges parfois tendus autour des carburants durables.
Ben Smith (CEO d'Air France-KLM), Carsten Spohr (Lufthansa Group), Luis Gallego (IAG, International Airlines Group, maison-mère de British Airways, Iberia, Vueling et Aer Lingus), Michael O'Leary (Ryanair), Jozsef Varadi (Wizz Air) et Pieter Elbers (easyJet). C’est le casting Première classe de la session de travail organisée par Airlines for Europe (A4E), la principale association représentant les transporteurs du continent, organisée à Bruxelles le 27 mars dernier.
La rencontre intervenait alors que l'Union européenne a considérablement renforcé ses exigences environnementales avec l'adoption du paquet "Fit for 55" (en octobre 2023) qui impose notamment l'incorporation progressive de carburants d'aviation durables (SAF) et la fin des quotas gratuits d'émissions de CO2.
Dès lors, les discussions ont largement porté sur les objectifs de décarbonation du secteur, avec des positions parfois tranchées de la part des dirigeants qui, tout en soulignant les efforts de leur compagnie, soulignaient les insuffisances d’acteurs tiers - industriels comme institutionnels et politiques.
La filière SAF au cœur des débats
Ainsi Ben Smith, a exprimé des inquiétudes sur le rythme imposé par Bruxelles : "Le rythme imposé par la Commission européenne n'est pas tenable (...) les objectifs de 2030 pour l'incorporation de SAF à hauteur de 10% sont irréalistes sans une politique industrielle ambitieuse."
Le PDG d’Air France fut en cela rejoint par Luis Gallego : "La production actuelle de SAF en Europe ne couvre qu'environ 0,5% des besoins du secteur" (et malgré les investissements massifs annoncés) la montée en puissance de la production ne pourra pas suivre le rythme des obligations d'incorporation sans une période de transition plus réaliste."
Cette préoccupation a été corroborée par Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, qui a confirmé que "même avec les investissements massifs que nous réalisons, l'industrie européenne des SAF ne pourra pas produire les volumes requis par la réglementation d'ici 2030 sans un soutien public considérable et des délais supplémentaires."
Appels à un réajustement du calendrier, fin de non-recevoir
Prenant acte de ces constats, Carsten Spohr, CEO de Lufthansa Group, a sur la nécessité d'une "approche pragmatique et progressive" qui tienne compte des réalités industrielles et économiques du secteur, incluant le report de l’échéance 2030.
Face à ces demandes, Apostolos Tzitzikostas, Commissaire européen pour le Transport durable et le Tourisme, a maintenu une position ferme : "La Commission entend les préoccupations du secteur aérien, mais nous ne reviendrons pas sur nos objectifs climatiques. Le Pacte vert européen est non négociable." Tout en ouvrant la porte à des mesures d'accompagnement : "Nous sommes prêts à discuter des moyens d'accompagner cette transition."
Pascal Canfin, Président de la commission Environnement du Parlement européen, a été encore plus catégorique : "Les compagnies aériennes ne peuvent pas continuer à repousser leurs obligations climatiques. Le secteur a bénéficié d'aides massives pendant la pandémie, il est temps qu'il prenne ses responsabilités. Nous n'accepterons aucun recul sur le calendrier d'incorporation des SAF ou sur la taxation du kérosène."
Un compromis en perspective ?
C’est peut-être autour de la position de l’hôte du Sommet, Ourania Georgoutsakou, présidente d’A4E, qu’un terrain d’entente pourrait être trouvé : au lieu d'un simple report, elle a mis sur la table la possibilité d’un "mécanisme d'ajustement temporel" qui lierait les objectifs d'incorporation de SAF à la capacité réelle de production européenne, avec une clause de révision annuelle.
Cette proposition prévoit le maintien de l'objectif final de 2050 (neutralité carbone) mais suggère une approche plus flexible pour les échéances intermédiaires, notamment celle de 2030, considérée comme la plus problématique.
La réunion s'est conclue par la création d'un groupe de travail associant la Commission européenne, les compagnies aériennes, les équipementiers et les producteurs de carburants alternatifs. Ce groupe, qui doit rendre ses conclusions lors du sommet européen de l'aviation prévu à Berlin en octobre 2025, pourrait proposer des solutions intermédiaires, comme un système de flexibilité permettant de reporter une partie des obligations d'une année sur l'autre, ou des mécanismes de soutien renforcés pour accélérer la production de SAF en Europe.