Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes. Créateur du World Air Transport Forum et de l’APG. Dans cette tribune il parle d'un faux départ, d'un quasi crash et d'un redécollage, celui de la cote de l'A380...
L’A380, c’est l’histoire d’un succès transformé en échec pour finir par devenir une réussite pour les transporteurs capables de le rentabiliser. Cette histoire a commencé par une esquisse dès 1988 car il fallait, à l’époque, se positionner en face d’un Boeing triomphant. Pour autant,
Il a fallu attendre 7 ans pour que le projet démarre, en 1995, et 10 de plus avant pour le premier vol, le 27 avril 2005. La première compagnie livrée a été Singapore Airlines qui a réalisé le premier vol commercial le 15 octobre 2007.
Le coût de développement a été faramineux : au total, y compris les pénalités pour retards de livraisons, il s’est monté à 26,5 milliards de dollars, alors que la première estimation n’était, si l’on peut dire, que de 8 milliards de dollars. Ces énormes investissements n’ont d’ailleurs pas tous été supportés par Airbus : les motoristes et les grands équipementiers en ont pris leur part.
Et le bel oiseau s’est envolé. Je me souviens très bien de la première fois que je l’ai vu voler : c’était au Salon de Bourget, et ce qui frappait était à la fois son énorme taille et un très faible bruit par rapport aux appareils très gros porteurs, à l’époque, les Boeing 747/400.
"10 ans de retard"
La première étude de marché faisait état d’un potentiel de 2.046 appareils sur 20 ans, estimation rapidement ramenée à 1.300. C’était sans compter le développement des bimoteur capables d’enlever entre 200 et 400 passagers sur des distances de 7.000 à 15.000 km. Au dire des experts y compris de Tom Enders, l’ancien patron d’Airbus, cet appareil est arrivé sur le marché 10 ans trop tard, un peu comme, à la fin des années 1950, le fameux Lockheed Constellation qui a été littéralement tué par l’arrivée des longs courriers à réaction, à commencer par le Boeing 707.
Alors les ventes se sont effondrées et seulement 251 A380 ont été construits et livrés à 13 opérateurs, le premier d’entre eux - et de loin - étant Emirates avec 123 commandes, soit la moitié du parc, le dernier A 380 a été livré en 2021. Et le COVID est tombé sur le transport aérien le réduisant quasiment à néant en seulement un mois, car les Etats ont fermé leurs frontières dans un infernal jeu de dominos. Toutes les flottes ont été stockées dans les déserts, là où les appareils pouvaient être le mieux conservés et lorsque les pays se sont progressivement rouverts, les compagnies aériennes ont remis en service leurs appareils avec une grande prudence.
Plus question alors de faire voler le plus grand modèle car elles n’avaient pas confiance à leur capacité de le remplir. De grandes compagnies comme Air France, Asiana, China Southern, Malaysian Airlines ou Thai International, ont tout simplement sorti l’A380 de leur flotte en se condamnant à ne plus jamais l’opérer.
Mais la demande de transport s’est à nouveau envolée. Les prémices se sont fait sentir dès 2022 et le trafic a explosé en 2023. Certes cela n’a pas été homogène, les grands marchés asiatiques ne se sont ouverts que tardivement mais lorsque cela a été le cas, les clients se sont à nouveau rué sur le transport aérien.
Le malheur des uns...
Mais à peu près au même moment, l’un des deux grands constructeurs, Boeing, s’est trouvé dans une situation réellement catastrophique ce qui l’a empêché de livrer les appareils commandés en urgence par les opérateurs lorsqu’ils se sont rendus compte de la nécessité de faire face à une demande insoupçonnée.
Alors, il ne restait plus qu’à remettre en service le gros avion, capable de remplacer à lui tout seul deux biréacteurs de bonne taille comme le Boeing 787. C’est ainsi que, progressivement, dix compagnies ont remis en service tout ou partie de leurs A380. A tout seigneur tout honneur, Emirates qui a toujours eu foi en cet avion, a remis en opération 95 A380, et en a même racheté cinq à un loueur de Guernesey pour seulement 200 millions de dollars alors que le prix catalogue, d’ailleurs jamais appliqué était de 437 millions de dollars pièce.
Il est d’ailleurs curieux qu’Emirates ait toujours considéré l’A 380 comme une machine à cash alors que ses concurrents ne savent pas vraiment comment le rentabiliser. Reste que British Airways a remis en route ses 12 appareils, Lufthansa les 8 qui lui restent, Qantas 8 sur 10 et Singapore Airlines la moitié des ses 24 machines. Et tout dernièrement, Etihad Airways a annoncé la reprise des ses sols en A380 entre Abu-Dhabi et Paris.
Que retenir de tout cela ? D’abord que la demande de transport aérien, loin de fléchir, reste très dynamique. Dès lors, la capacité des A380 devient incontournable pour pallier les difficultés de livraison de Boeing, dont on ne sait pas quand elles se termineront. Il est possible que les transporteurs qui ont sorti ce modèle de leur flotte soient amenés à le regretter. Enfin, il est clair que le transport aérien aura besoin d’un très gros porteur, de l’ordre de 100 places pour résoudre l’impossible équation qui consiste à satisfaire la demande de transport tout en atteignant les objectifs de décarbonation annoncés pour 2050.
« Enfin, il est clair que le transport aérien aura besoin d’un très gros porteur, de l’ordre de 100 places… »
1000 places ?
Savez-vous ce que sont devenus ceux d’AF ?