Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes. Créateur du World Air Transport Forum et de l’APG, il estime, dans cette tribune, que la formation de pilotes, la livraison d'appareils et le défi écologique constituent les principaux enjeux à venir pour l'aérien.
Cette année encore de nombreux défis attendent le transport aérien. Celui-ci a d’ailleurs terminé 2024 de manière bien triste avec le crash de la compagnie sud-coréenne Jeju Air qui a fait 179 morts suite, selon les premières investigations, à une ingestion d’oiseaux et l’explosion de l’appareil, un Boeing 737-800 contre un mur en fin de piste alors que l’équipage n’avait pas réussi à sortir le train d’atterrissage. Voilà vraiment une accumulation de drames dont l’enquête pourra sans doute fournir les explications puisque les boîtes noires ont été retrouvées.
Une semaine auparavant un Embraer 190 de la compagnie Azerbaïdjan Airlines a été frappé par un missile tiré, semble-t-il, par une batterie antiaérienne russe par erreur. Cela nous ramène au premier défi du transport aérien : la sécurité des vols. Ces deux accidents si différents tant par leur cause que par leur environnement prouvent que la sécurité n’est jamais complètement assurée en dépit des extraordinaires progrès enregistrés dans ce domaine.
Construction et formation
L’autre défi majeur tient à la construction aéronautique. La demande de transport a poursuivi sa croissance et on attend plus de 5 milliards de passagers cette année. Cela représente près de 10.000 passagers chaque minute. Or, pour faire face à ce marché en continuelle expansion en dépit des freins écologiques mis à sa croissance, il faudra des avions et des pilotes en quantités jamais vues.
D’ici à 2035, dans seulement dix ans, il faudra former 400.000 pilotes et construire quelques 40.000 appareils. Mais les nouveaux avions sont de plus en plus sophistiques et leur construction réclame un nombre croissant d’intervenants : plus de 400 sous-traitants pour chacun des deux principaux constructeurs, Airbus et Boeing. Et ceux-ci, mais aussi Embraer, Comac et ATR peinent à suivre la cadence des commandes passées par les compagnies aériennes.
Ces dernières ont la hantise de ne pas pouvoir transporter leur marché et de laisser la place à leurs concurrents. Elles prévoient leurs programmes d’exploitation avec plusieurs d’années d’avance en fonction des dates de livraisons des appareils commandés. Or, ces échéances ont très peu de chances d’être tenues, tout au moins tant que Boeing n’aura pas retrouvé sa pleine capacité de production et ce n’est pas gagné tout au moins cette année.
Décarbonation et communication
Et puis n’oublions pas le considérable défi écologique qui pénalise ce secteur d’activité depuis une bonne dizaine d’années. Certes, les questions environnementales pèsent depuis plus longtemps que cela sur les transporteurs et les aéroports dont les riverains voudraient profiter des opportunités d’emploi plutôt bien payés sans subir le moindre bruit. Mais l’écologie est devenue une question globale tout au moins pour les pays occidentaux gérés par des systèmes démocratiques et donc dépendants des groupes de pression en particulier écologiques.
Le transport aérien doit poursuivre avec acharnement son objectif de décarbonation et cela coûtera des sommes colossales qui devront bien être payées par les utilisateurs de ce moyen de transport. Mais il doit également organiser sa communication pour défendre sa position vis-à-vis des populations car tel est bien l’enjeu. Or il a besoin, pour ce faire, de mettre en commun tous les acteurs, depuis les agents de voyages jusqu’aux contrôleurs aériens en passant par les aéroports, les compagnies aériennes, les constructeurs, les fournisseurs de services... Sauf que pour le moment on ne voit pas se profiler un organisme collecteur de fonds capable de créer un lobbying mondial efficace. Il serait plus que souhaitable de créer un tel outil dès 2025.
Lobbying et pricing
Et puis les aéroports seront eux aussi confrontés à la gestion de la croissance alors que leur environnement gouvernemental, largement influencé par le lobby écologiste, n’a qu’un seul but : faire baisser le nombre de mouvements. Déjà, certaines grandes plateformes sont touchées par des restrictions purement administratives, c’est le cas d’Amsterdam Schipol mais aussi de Paris-Orly pour ne parler que de l’Europe. Ils ne pourront pas défendre leur position tous seuls, mais ils peuvent être les moteurs de la création du lobby mondial dont on voit bien la nécessité.
Reste un dernier défi, celui des tarifs. Ces derniers ont augmenté de manière significative après le Covid et c’est une bonne chose. Les récents accidents totalement imprévus montrent que le transport aérien est une activité extrêmement complexe, il ne peut pas être vendu avec des tarifs qui ne le respectent pas. La grande braderie met dans la tête du public que le transport aérien ne vaut finalement rien puisqu’on peut l’acheter à des tarifs incroyablement bas. Voilà qui rend un très mauvais service à ce secteur d’activité. Le défi pourrait être d’interdire une fois pour toutes les tarifs affichés au-dessous du prix de revient, même si c’est pour garnir le dernier siège des vols.