Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes, créateur du World Air Transport Forum et de l’APG World Connect. Dans cette tribune, il en appelle à une solidarité de l'ensemble des acteurs du secteur aérien.
Je suis un peu interloqué... Lors de la dernière assemblée générale de IATA tenue à Boston du 3 au 5 octobre, son nouveau, si l’on peut dire, Directeur Général Willie Walsh, s’est fendu d’une violente diatribe contre les aéroports accusés d’augmenter drastiquement leurs redevances afin de compenser les pertes liées à la pandémie.
Balle dans le pied
Voilà une charge qui non seulement ne sert à rien, mais qui est même contraire aux intérêts du transport aérien. C’est, toutes proportions gardées, comme si dans une armée l’infanterie luttait contre l’artillerie qui elle-même se retournait contre l’aviation, laquelle accablerait la marine. On voit bien que la seule conséquence serait d’oublier le but ultime qui est de défendre le ou les pays dont elle dépend et pas de se battre contre elle-même. A accuser les aéroports, Willie Walsh va finir par oublier l’enjeu majeur du transport aérien qui est de se faire accepter par les populations et par conséquent de résoudre ce qui est pour le moment la quadrature du cercle : réduire si possible à zéro l’impact CO² du secteur d’activité, tout en poursuivant sa croissance.
Au lieu de se déchirer dans une même famille il est urgent de mettre tous les acteurs d’accord pour rendre le transport aérien acceptable et de faire en sorte que son utilité ne soit plus remise en cause. Soyons clairs, lorsque les compagnies aériennes attaquent, en public, les aéroports, elles affaiblissent leur propre image. Et c’est ainsi que les aéroports se plaignent eux aussi des transporteurs qui accusent les constructeurs et les sociétés de leasing de faire trop d’argent sur leur dos, tout en se plaignant des services de la navigation aérienne. Voilà un cercle de conflits sans fin et stérile.
Tir groupé
Les médias se sont emparés du transport aérien pour en faire le symbole de la pollution de la planète. C’est très facile et cela fait de belles images dans les reportages télévisés et les messages des réseaux sociaux. Et pendant ce temps-là que font les acteurs du transport aérien ? Ils se tapent dessus. Ils feraient mieux de mettre en commun l’énergie qu’ils mettent à se disputer pour créer enfin un puissant lobbying afin au moins de rétablir simplement des vérités largement contrebattues par les opposants écologistes. Seulement cela va coûter cher. Il est un peu envisageable de mettre en route un puissant vecteur de communication sans un budget d’au moins 2 millions d’euros pendant plusieurs années rien qu’en France. Tout le monde doit s’y mettre, en fonction de ses possibilités : constructeurs, aéroports, compagnies aériennes, sous-traitants, et même l’aviation civile.
Reste à trouver qui peut initier et coordonner un tel projet. A priori, en France, la FNAM serait bien placée à la condition de fusionner avec le SCARA et l’UNCAF. A moins qu’un grand cabinet de conseil comme par exemple Roland Berger ne prenne cela en compte. Il faut occuper les plateaux télévisés, produire une documentation de qualité, discuter avec les parlementaires, fournir des informations aux médias et disposer d’un porte-parole efficace. On ne peut hélas pas compter sur IATA dont l’objet est de défendre les transporteurs fusse en attaquant les autres acteurs du même secteur d’activité.
Tir nourri
Et puis, il faut bien prendre en compte que la seule manière d’arriver à la neutralité carbone en 2050, c’est-à-dire dans moins de trente ans, consiste à investir massivement dans la recherche. Pour cela il faudra bien dégager de considérables budgets. Ceux-ci doivent provenir du transport aérien lui-même. Il faut se rendre à l’évidence, la seule vraie source possible est la taxation. On me dira que les compagnies aériennes sont déjà accablées de taxes, ce n’est d’ailleurs pas si vrai et ce n’est pas une raison pour ne pas financer ce qui conditionnera leur propre survie.
Le seul obstacle consiste à faire en sorte que tous les transporteurs soient amenés à supporter les mêmes taxes avec les mêmes montants afin que cette surcharge n’entraine pas de distorsion de concurrence. Seul le législateur européen ou international dispose de l’autorité nécessaire. Les prix du transport aérien doivent augmenter ne serait-ce que pour financer son avenir. Une taxe de 2 € par vol sur les 4,5 milliards de clients, cela fait 9 milliards d’euros par an soit plus de 100 milliards d’ici à 2035. Et que l’on ne me dise pas que cela renchérit trop les prix des billets d’avion, car bien entendu une telle taxe doit être payée par les utilisateurs, quand on voit les guerres tarifaires stupides que se livrent les compagnies entre elles.
Plutôt que d’attaquer tel ou tel acteur du transport aérien, Mr Willie Walsh ferait mieux de discuter en privé avec ceux qui resteront ses partenaires qu’il le veuille ou non. Il dispose d’une grande autorité, autant la mettre au service d’une grande cause : la pérennité de l’aviation commerciale.